Doomi golo / Les petits de la guenon

 

Doomi golo / Les petits de la guenon

de Bubakar Bόris Jόob

[Boubacar Boris Diop]

 

 

Mots-clés

wolof, Sénégal — écriture littéraire, roman ; romancier bilingue, auto-traduction — éducation ; génocide rwandais ; gouvernance en Afrique ; relations Europe-Afrique

 

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Contexte

Bubakar Bόris Jόob [Boubacar Boris Diop] est né à Dakar le 26 octobre 1946. Au moment de la parution de Doomi golo en 2003, il est déjà connu pour ses œuvres en français (cf. infra).

En 1998, dans le cadre du projet « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », le Festival de littérature africaine (Fest’Africa) et la Fondation de France invitent dix écrivains africains, dont Boubacar Boris Diop, à séjourner au Rwanda afin de témoigner sur le génocide qu’a vécu le pays quatre ans plus tôt. À l’issue de ce voyage, il publie son roman, écrit en français, Murambi, le livre des ossements. Il approfondit sa réflexion sur l’utilisation des langues nationales dans l’expression littéraire et entreprend d’écrire, en wolof, Doomi golo. En cela, il souscrit pleinement aux idées de deux grandes figures intellectuelles sénégalaises qui se sont illustrées dans la défense des langues africaines avant lui, Cheikh Anta Diop et Cheik Ndao.

Descriptif

La couverture de la première édition du roman (2003) est illustrée par un dessin montrant un adolescent devant un miroir qui lui renvoie l’image d’un singe. Sur celle de la deuxième édition (2012), l’image est remplacée par des cahiers disposés en deux groupes de trois séparés par un autre cahier derrière lequel on devine les ruines d’une ville africaine. La quatrième de couverture est en wolof ; comme le veut l’usage, elle présente succinctement le roman et donne un bref résumé du parcours de l’auteur.

Le roman, qui est de 283 pages (deuxième édition), se divise en deux parties de longueur inégale : Xaaj bu jëkk : Gone mat naa bàyyi cim réew [Première partie : La présence d’un jeune est nécessaire dans un pays] (pp. 7-213) ;  et Ñaareelu xaaj : Aali Këbóoy. Mag mat naa bàyyi cim réew [Deuxième partie : Aali Këbóoy. La présence d’un vieux est nécessaire dans un pays] (pp. 215-283).

Deux questions sont principalement abordées : les maux de l’Afrique et la nécessité de donner aux langues nationales africaines leur place en politique et dans l’administration, l’éducation et l’expression littéraire.

Références de l’œuvre

 

  • Première édition du roman :

JÓOB, Bubakar Bόris, 2003, Doomi Golo, Dakar, Papyrus, 347 p.

 

  • Deuxième édition :

JÓOB, Bubakar Bόris, 2012, Doomi Golo, Dakar, Papyrus, 283 p.

 

  • Traduction libre du roman par l’auteur :

DIOP, Boubacar Boris, 2009, Les petits de la guenon, Paris, Philippe Rey, 438 p.

DIOP, Boubacar Boris, 2013, Les petits de la guenon, Paris, Philippe Rey, [Format EPUB].

 

  • Traduction anglaise :

WÜLFING-LECKIE Vera & DIOP, Moustapha, 2016, Doomi Golo—The Hidden Notebooks, Michigan, Michigan State University Press, 307 p.

Romans en français de l’auteur

DIOP, Boubacar Boris,1981, Le Temps de Tamango, Paris, L’Harmattan, coll. « Encres noires 13 », 203 p. Réédition : 2002, Paris, Le Serpent à Plumes, coll. « Motifs 158 », 180 p. [Prix du bureau sénégalais du droit d’auteur].

DIOP, Boubacar Boris,1990, Les Tambours de la mémoire, Paris, L’Harmattan, coll. « Encres noires 76 », 237 p. [Grand prix de la République du Sénégal pour les Lettres].

DIOP, Boubacar Boris,1993, Les Traces de la meute, Paris, L’Harmattan, coll. « Encres noires 120 », 269 p.

DIOP, Boubacar Boris,1997, Le Cavalier et son ombre, Paris, Stock, 296 p. Réédition : 2010, Paris, Éditions Philippe Rey, 237 p. [Prix Tropiques].

DIOP, Boubacar Boris,2000, Murambi, le livre des ossements, Paris, Stock, 228 p. Rééditions enrichie d’une postface de l’auteur : (1) Paris, 2011, Éditions Zulma, 268 p. — (2) 213, Paris, Éditions Zulma, coll. « Z/a 10 », 220 p.

DIOP, Boubacar Boris,2006, Kaveena, Éditions Philippe Rey, coll. « Littérature française » 299 p.

Bibliographie

DIOP, Papa Samba, 2013, « Doomi Golo de Buubakar Bόris Jόob. De la traduction littérale à la traduction française proposée par l’auteur. » in : KEÏTA, Abdoulaye, Au carrefour des littératures. Hommage à Lilyan Kesteloot, Paris, Karthala, pp. 327-350.

NDONG, Louis, 2017, « Écrire en langue wolof signifie militer pour les langues africaines ou Doomi Golo de Boubacar Boris Diop » in : BAMGARDT, Ursula (dir.), Littératures en langues africaines. Production et diffusion, Paris, Karthala, pp. 155-170.

WANE, Ibrahima, 2004, « Du français au wolof : la quête du récit chez Boubacar Boris Diop » in : Ethiopiques, n° 73, 2e semestre, pp. 1-12.

 

 


 

Doomo golo

Les petits de la guenon

 

Extrait

Première page du roman (2003: 11)

 

 

 

Leneen newu fi, Badu.

Il n’y a rien d’autre, Badou.

 

Lii rek : demal, maa ngi ñëw.

Seulement ceci : « Vas-y, j’arrive [je te suis]. »

 

Naka laa wax loolu, daldi déggaat woykat ba :

Dès que j’ai dit cela, les paroles du chanteur me sont revenues :

 

« Àddina amul solo, ndeysaan…

« Ce bas monde est hélas sans importance…

5

Ku ci dee yaa ñàkk sa bakkan ndeysaan. »

Si tu y meurs, c’est hélas toi qui as perdu ta vie. »

 

Booba gone laa woon, nekk ci sama diggu doole, yaakaar

En ce temps-là, j’étais jeune, dans la force de l’âge, croyant

 

ne dara tëwu ma. Maa fi dàqoon a fecc, bare bayre ba nga ne lii lu

que rien ne m’était impossible. J’étais le meilleur danseur, d’un succès inouï !

 

mu doon ! Fu ma jaaraan, janq ji di ma tooñ naan :

Là où je passais, les jeunes filles me provoquaient, c’étaient des :

 

Ngiraan Fay jàppal fii, Ngiraan Fay bàyyil faa !

« Nguirane Faye ! » par-ci, « Nguirane Faye ! » par-là.

10

Mba nga dégg ci jeeg ju ndaw ji ku ni :

Ou alors tu entendais une jeune dame dire :

 

Moo Ngiraan Fay, looy jaay maanaa nii ? Billaay yow ! Yal

« Mais Nguirane, pourquoi fais-tu le malin? Au nom de Dieu, toi !

 

na nga koote !

Maudit sois-tu ! »

 

Léegi mag dikk na. Maa ngi nii toog ci sama butu kër, fii ci

Maintenant je suis vieux. Je suis là assis devant ma maison, ici

 

gox bi ñu naan Ñarelaa, di xaar sunu boroom bi def ci man li gën.

dans le quartier dit Gnaréla, attendant le décret divin.

15

Teewul nag sama xel yépp nekk ci yow, Badu.

Il n’empêche cependant que toutes mes pensées vont à toi, Badou.

 

Xéy-na yaa nga ca dëkku naar ya, moo xam Alseeri la, walla

Peut-être que tu es au pays des Arabes, soit en Algérie ou

 

Marog mbaa Libaŋ. Foofa de lañu yaakaar ne fa nga nekk. Kenn amu ci nag lu ko wóor.

au Maroc ou au Liban. C’est là-bas que tu es, croit-on. Personne cependant n’a de certitude.

 

Am na sax ñu naan :

Il y en a même qui disent :

 

Kéwél kat du tëb doom ja bëtt. Badu Taal kay, xam ngeen ne topp na ciy tànki baayam Asan Taal. Ba fu coow liy mujje, Tugal ngeen koy déggi.

« Le petit de la gazelle ne peut passer en travers de la haie pendant que sa mère saute. » Badou Tall, vous savez qu’il marchera sur les traces de son père Assane Tall. Dans tous les cas, c’est de la France que vous entendrez parler de lui.

20

Ci juroom ñaari téere yi ma la fiy bàyyil sax, am na bu ci tudd

D’ailleurs  parmi les sept cahiers que je te laisse, il y en a un qui s’intitule

 

Téereb Ndéey. Turam tegtal bu leer la : li nekk ci biir, maak yow

« Cahier des Confidences ». Son nom est révélateur : ce qui s’y trouve ne regarde

 

Doŋŋ noo ko séq. Yoonu keneen newu ci. Yaa ngi nii toog

que toi et moi. Cela ne regarde personne d’autre. Te voici assis

 

janook man, ma sëgg ba jot say nopp. Su ma ci tàbbalee ay

 en face de moi, je me penche jusqu’à ton oreille. Si j’y glisse des

 

kàddu, nga naj leen fa. Kàddu yooyu di wéq sa kaaŋ, di féqu ci

paroles, tu les y coinceras. Ces paroles s’agiteront dans ton crâne, se débattront

25

sa biir bopp, ngir rekk bëgg a génn ci biti, tasaaroo, nekk lu

dans ta tête, juste pour sortir, s’éparpiller, et devenir

 

askan wiy waxtaane. Nga gën leen faa naj, ndax ragal ñu jur ay ak téesante.

sujet de conversation pour le peuple. Tu les y coinceras de plus belle, par crainte qu’elles fassent naître des disputes.

 

Du tee nag sa xel di leen tojat ba ñu mokk rumbux […]

Il n’empêche cependant que ton esprit les décortiquera jusqu’au plus petit détail […].

Abdoulaye Keïta

Ay du weesu baay dee na… / Un malheur ne peut être pire que “papa est mort”…

 

 

 

Ay du weesu baay dee na… 

Un malheur ne peut être pire que “papa est mort”…

de  Mamadu Jara Juuf

 

 

 

Mots-clés

wolof, Sénégal — écriture littéraire, genre narratif ; anecdote comique, maye — parenté à plaisanterie ; relations entre Sérères et Diolas, entre Sérères et Peuls

 

Contexte

Mamadu Jara Juuf [Mamadou Diara Diouf] est professeur de français dans les lycées et collèges du Sénégal. Il écrit uniquement dans les langues nationales : dans sa langue maternelle, le saafi, et en wolof. Sa première œuvre est un recueil de poèmes en wolof, Takk taxawu [Se préparer à la lutte et faire face].

L’auteur a grandi en milieu rural. En tant qu’enseignant, il a exercé dans plusieurs régions du Sénégal. Il a ainsi acquis une bonne connaissance de la culture du terroir ; celle-ci lui a inspiré le thème central de l’ouvrage, le cousinage à plaisanterie.

Descriptif de l’œuvre

La publication est une plaquette de 36 pages, parue en 1996. Il s’agit d’un recueil d’« anecdotes comiques » maye, appartenant aux genres de la littérature orale en wolof1. Il est le premier d’une série de textes publiés sous l’étiquette de Fentaakon bi par l’Organisation sénégalaise d’appui au développement (OSAD). L’expression, qui est dérivée du verbe fent « créer, inventer », s’applique de façon générale au récit imaginaire et à la fiction. Sur la quatrième de couverture est expliquée en français la thématique de l’œuvre. L’information est suivie d’une note brève sur le parcours de l’auteur et d’un paragraphe expliquant les opportunités qui l’ont conduit à publier l’ouvrage.

La parenté ou cousinage à plaisanterie est une pratique courante en Afrique occidentale et centrale, pour ne citer que ces régions. Celle entre les Diolas et les Sérères ou entre ces derniers et les Peuls est bien connue. Elle existe également, dans une même communauté ; elle résulte dans ce cas, par exemple, du « cousinage » qu’entretiennent les individus à travers leurs patronymes (Faye et Diouf chez les Sérères, Ndiaye et Diop chez les Wolofs, Bah et Diallo chez les Peuls, Bah et Siisoko, etc). Mamadu Jara Juuf choisit ici le maye pour magnifier cette coutume. Il insiste sur la convivialité qu’elle induit.

Référence

Ay du weesu baay dee na… Maye ci wolof [Un malheur ne peut être pire que “papa est mort”… Anecdotes comiques en wolof], Fentaakon bi 1 [Fiction 1], Dakar, Organisation sénégalaise d’appui au développement (OSAD),1996, 36 p.

Bibliographie

KEÏTA, Abdoulaye, 2017, « Le “maye”, un genre oral adopté par les écrivains de langue wolof » in : BAMGARDT, Ursula (dir.), Littératures en langues africaines. Production et diffusion, Paris, Karthala, pp. 2012-222.

 

 


 

Ay du weesu baay dee na…

[Un malheur ne peut être pire que “papa est mort”…]

 

Extrait

 

 

Eñaap2

Mon compère

Ku gudd fan mbaate nga gudd tànk ci réew mi, mas nga dégg ñu naan Joolaa bëgg ñànkataŋ. Jombul sax loolu dëgg la, waaye ku ci sax booba gisoo Eñaap mu tiim wataboor.

Celui qui a une longue vie ou qui a parcouru largement le pays a déjà entendu parler de l’amour du Diola pour le riz cuit à la vapeur. C’est peut-être vrai, mais celui qui s’arrête là n’a pas encore vu Eñaap devant de la viande grillée.

Damaa amoon sama ñaari xarit yu bàyyikoo Jaatakundaa, kii ñu ko naan Yaaya, ki ci des Baysom. Boo gisee Yaaya ndaama lu xees la, bari solo, foo ko fekk muy ree. Baysom dafa di ron, di guy. Li dale Joxeer be Kamobël, wiiri Mulomp ba Jululu, foo ca tudd, ub na fa làmb.

J’avais deux amis venus de Diattacounda, l’un nommé Yaya et l’autre Baysome. Si tu vois Yaya, il est petit et de teint clair, très avenant, toujours souriant. Baysome tient à la fois du palmier et du baobab. De Diokher à Kamobeul, en passant par Mlomp et Diouloulou, il a partout remporté des tournois de lutte.

Keroog bi ñu ma ganesee, dafa yemmoo ak dëkk bi neex ba ñu toŋ-toŋ. Te sama gan ñi ma fonk leen lool ndax ba ma nekkee ak ñoom ce Kaasamaas, li ñu xam ne ittewoo na ko rekk dañu cay taxaw ba ma far kersawu.

Le jour où ils sont venus me rendre visite a coïncidé avec une période faste et on avait tué et partagé un animal. J’avais beaucoup d’estime pour mes visiteurs parce que quand j’étais avec eux en Casamance, ils s’étaient occupés de moi au point de me donner des scrupules.

Ma daldi woo Kolle ne ko : « Tey jii dey, am nga gan. Te teraanga, teraangaa koy fey. Ñaar ñii ngay gis, lépp loo xalaat ci lu baax rekk ba ma nekkee seen dëkk, defal nañu ma ko. Moo tax damaa bëgg baase yooyu nga ma daan toggal jamono ya may ub làmbi Faloox, kër Mambay, kër Mañuq ak Gàndigaal, ñeexu baase yooyu laa ne nga terale ko sama ñaari gaa ñi ».

J’appelai Collé et lui dis : « Aujourd’hui, tu as des invités. Et l’hospitalité se paye par l’hospitalité. Ces deux-là que tu vois, tout ce que tu trouves de bien, ils l’ont fait pour moi quand j’étais dans leur localité. C’est pourquoi je veux que le couscous que tu me mijotais à l’époque où j’emportais les tournois de lutte de Falokh, Keur Mambaye, Keur Magnouk et Gandigal, c’est avec cette sauce d’arachide-là que je veux que tu régales mes deux invités ».

Ndeysaan fekk nag soxna si di ku neex a waxal. Mu daldi delloo cere ja mu doon tay ca indéem, yónnee laaloy guy. Ba jant bay xonq ca sowu, fekk na mu bës ko ak diwu ñor ba mu ne nemm. Waxuma nga ñamko sax, waaye xet ga cay gillee ku mu ne sarax ci sa pàxi bakkan yi ba àgg ci sa ndoŋ li, boo doon as kooñoor su tekkiwul dara di nga am fitu song Duubal Lees walla Tubaabu Joor.

Ndeysaan ! c’est une dame d’un commerce facile. Elle remit le couscous qu’elle était en train de faire dans le couscoussier, envoya chercher du liant à base de feuilles de baobab. Au coucher du soleil, elle l’avait bien parfumé avec du beurre. Je ne parle même pas d’en goûter, mais si le fumet qui s’en dégageait entrait dans tes narines jusqu’à chatouiller ton occiput, même si tu étais un bon à rien, tu aurais l’audace de défier Double Less ou Toubabou Dior3.

Abdoulaye Keïta

 


 

Notes:

1  Sur le catalogue en ligne de l’OSAD, le livre est identifié comme étant un recueil de nouvelles.

2  Terme diola signifiant approximativement « mon gars, mon compère ».

3  Il s’agit de deux champions de lutte, réputés grands cogneurs.

Aawo bi / La première épouse

 

 

Aawo bi / La première épouse

de Maam Yunus Jeŋ

 

 

Mots-clés: 

wolof, Sénégal — écriture littéraire, roman ; romancière — mariage, polygamie, première épouse, coépouse, belle-famille ; griotte.

Contexte

Maam Yunus Jeŋ [Mame Younousse Dieng] (1939-2016), qui fut institutrice et directrice d’école, naquit au Sénégal à Tivaouane dans le Cayor. Elle passa son enfance dans une grande concession d’un foyer polygame, avec ses nombreux va-et-vient, ses bavardages et ses commérages, tout ce qui faisait le quotidien d’une société de culture orale. Dans la cour de la concession familiale, les griottes (géwel) racontaient souvent des récits de vie. C’est de là que lui vint l’inspiration du roman, qu’elle écrivit en à peine un mois.

Maam Yunus Jeŋ est la première romancière à écrire en wolof. Elle a également publié un roman en français, L’ombre en feu (Dieng, 1997).

 

 

Descriptif

Le genre dont relève l’œuvre est indiqué par l’expression Fentaakon bi, du verbe fent « créer, inventer ». L’ouvrage appartient à la collection Teere fent « ouvrage de fiction », dont il est le cinquième titre.

Le texte de quatrième de couverture est bilingue wolof-français. On y trouve une biographie sommaire de l’auteure.

Le roman est dédié à deux « premières épouses » aawo : la mère de l’auteure et Aram Fal, linguiste, pionnière dans l’édition en langues nationales. Dans les deux pages qui suivent la dédicace, Maam Yunus Jeŋ s’adresse à la personne qui lit le livre en lui demandant de ne pas se contenter de lire le roman ; il faut, à son tour, qu’elle prenne la plume et qu’elle l’imite. Dans son exhortation, elle insiste sur la facilité qu’il y a à écrire en langue nationale : il n’y a, là, rien d’extraordinaire, tout le monde peut raconter quelque chose ou discuter dans sa langue maternelle.

Le roman est le récit d’une griotte qui est arrivée en retard au rendez-vous qu’elle avait chez sa coiffeuse et qui s’explique : elle devait assister à une cérémonie d’au revoir organisée pour le départ à La Mecque de Ndeela, le personnage principal. Le motif du récit, initialement destiné à agrémenter une séance de coiffure, est l’occasion pour la griotte de montrer le mérite de Ndeela pour qui son mari a organisé un pèlerinage à La Mecque : l’acceptation d’un mariage difficile où elle doit cohabiter avec toute sa belle-famille, où elle doit supporter une co-épouse qu’elle a à adopter et où elle doit s’occuper d’une nombreuse progéniture.

Références

Aawo bi [Première épouse], fentaakon bi [fiction], Dakar, Organisation sénégalaise d’appui au développement (OSAD), Collection « Teere fent » [ouvrages de fiction], 1999, 2e édition, 76 p. [Première édition, Dakar, IFAN/Cheikh Anta Diop, 1992, 72 p.]

 

 


 

Aawo bi — [La première épouse]
Extrait

Première page du roman

 

 

Bi Penda Géwél yemee ci ndés giy lale fi taatu garab gi gëmewu ko, ndax sonn. Dafa dal ni futtéet mbubbam wékk ca sàkket wa ni réjj diju te naan : « dara mast a dàq lii ; man dama bég bay jooy ».

Quand Penda la griotte tomba sur la natte étalée sous l’arbre, elle n’en crut pas ses yeux, à cause de la fatigue. Elle enleva d’office son boubou et le suspendit à la tapate et s’affala en disant : « Rien n’est plus agréable que ceci ; moi je suis émue jusqu’aux larmes ».

Na ko Fama dégg, fëkk potu diw baak yoos ma génnsi te naan ko : « man déy xaar naa la ba tàyyi, xàddi woon na sax ; ragal naa ni sunu létt yii du yegg tey ; foo jógeeti bay jooy ?

Dès que Fama l’entendit, elle rafla le pot de pommade et les mèches et sortit en lui disant : « moi en tout cas je t’ai attendue en vain, j’avais fini par perdre espoir ; je crains que nos tresses ne puissent être achevées aujourd’hui ; d’où viens-tu encore jusqu’à pleurer ?

— Ay Faama, xanaa ca ngungem Màkka ma ; céy jii jëf !

— Ah Fama, de la cérémonie d’au revoir pour la Mecque ; ah quel geste !

— Wallaay ndeysaan ! man dey biig laa fa demoon yóti ko daqaar. Gis nga àddina de, lu waay muñ mu jeex. Ndeela dey, paasam bi jombut ko ndax man dey fekkewuma lépp, waaye li ma jot a gis metti na.

— Comme c’est émouvant! moi, c’est hier soir que j’y suis allée lui apporter des tamarins. Tu vois la vie, tout ce qu’on supporte passe. Ndéla en tout cas, mérite bien ce billet parce que moi je n’ai pas assisté à tout, mais ce que j’en ai vu a été dur.

— Man maa teewe cocc ba coset, dara umpu ma ci ; déglul tey ma wax la fi Ndeela jaar ba agsi fii : Ndeelaa nga baaxoo dëkk buñ naa Dooxiif. Ay baayam a fay falu. Digganteem ak fii, am xéy la booy war, boo koy dox nag dinga yendu mbaa nga fanaan àll. Dêkk la boo xam ni, Yàlla wàcce na fag naat, dara jeexu fa : am nam ndox, suuf sa nangu na, jur ga tubaarfakàlla –xéewal ba dem na ba ci, nit ña sax da ñoo rafet. Bala nga ko doon gëm, nga gisoon Ndeela mii bim fiy wàccsi. Mast a réy naam, waaye taar ci moom la yemoon. Ndaama yëgut njool lees ko tudde woon ; nun géwél yi nu daa ko taasul naa ko : « gàtt, saf, nijaayam du ko wecceek njool mu tóoy » ! billaay barke Séex, booba loxo wubu ko. Ma ni ab taar ci moom la yemoon : loosam wi da noon rajj ak ndomboy bat, mu xees ba mel nib naar, taatam wi ni toŋŋ ni ku book leket !

— Moi j’ai vécu tout, du début à la fin, rien ne m’a échappé ; écoute aujourd’hui que je te dise l’itinéraire de Ndéla jusqu’à ce moment : Ndéla est originaire d’un village appelé Dooxiif [tu n’auras jamais faim]. La chefferie y est occupée par sa branche paternelle. Entre là-bas et ici, c’est une matinée si tu vas à cheval, si tu vas cependant à pied, tu passeras une journée et peut-être la nuit en chemin. C’est un village, où Dieu a fait descendre de l’abondance, rien n’y manque : ils ont de l’eau, le sol est fertile, le bétail, Dieu merci. La félicité est à ce point que les habitants sont beaux. Si tu en voulais des preuves, il fallait voir Ndéla à son arrivée. Elle n’a jamais été forte mais elle était la beauté même. On l’avait surnommée la petite qui ne se préoccupait pas des géants ; nous les griottes la chantions en disant : « Petite et succulente, son mari ne l’échangera pas contre une grande indolente » ! Au nom de Dieu et par la grâce de Cheikh, en ce temps-là aucune main ne l’avait abîmée. Je dis que la beauté se limitait à elle : son cou était garni de replis, elle était claire comme une Mauresque, son fessier évoquait une calebasse !

— Xanaa déet, Ndeela mii ?

— Ah non, cette Ndéla ?

— Des na di : gëtam yii, da daan saamandaay i seetu, gëñam yii nag, góor gu mu ko mas ni kaŋ, nga fàtte sa turu jabar !

— Ce n’est pas fini : ses yeux ressemblaient à des miroirs, quant à ses dents, l’homme à qui elle les montrait en oubliait le nom de sa femme !

— Nga ni ma ? Mbaa masta ree saa nijaay di.

— Que me racontes-tu ? J’espère qu’elle n’a jamais souri à mon mari.

— A, xawma de, waaye bari na góor ña mu gëlëmloo fii ci dëkk bi !

— Ah, je ne sais pas, mais il y a beaucoup d’hommes qu’elle a perturbés dans ce village !

Bibliographie

    • Dieme Saly Amy, Écriture littéraire en wolof : l’exemple de Mame Younousse Dieng, Mémoire de Master 2, Paris, INALCO, sept. 2014, 149 p.
    • Dieng, Mame Younousse, 1997, L’ombre en feu, Dakar, Les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1997, 233 p.
    • Fall, Guedj, 2006, « Aawo bi, un récit fondateur en langue wolof », Ethiopiques 76, 2e trimestre, pp. 137-155.
    • Keïta, Abdoulaye, 2013, « De l’alphabétisation à la littérature, la prise de parole didactique par les écrivaines wolof » in Journal des Africanistes, Tome 83 – Fascicule 1, pp. 156-179.

Abdoulaye Keïta

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