Mythes et contes de Madagascar (Tañala de l’Ikongo)

 

Mythes et contes de Madagascar

(Tañala de l’Ikongo)  L’empreinte du rêve

de

Philippe Beaujard

 

 

 

Mots-clés: Madagascar – oralité, contes, mythes, Tañala, Ikongo – rêves et angoisses

Éditeur scientifique: Textes collectés, traduits et commentés par Philippe Beaujard.

 

Descriptif:

Cet ouvrage est un recueil de vingt mythes et contes de 765 pages que Philippe Beaujard, historien, ethnologue et spécialiste de la littérature malgache, a collectés personnellement entre 1971 et 1976 et pendant des missions annuelles entre 1983 et 1995 chez les Tañala, dans la région d’Ikongo, à Madagascar.

Ce recueil comporte de nombreuses annotations ethnographiques et linguistiques. Comme le dit l’auteur : « [Les mythes et contes présentés] sont d’abord une exploration des rêves, des désirs et des angoisses de l’homme et de la société qui transmet ces récits, une exploration de tous les possibles » (p. 11).

L’intérêt majeur de cet ouvrage est double. D’une part, il donne accès à des contes oraux en parler tañala, une variante du malgache standard, très peu documenté. D’autre part, l’auteur donne une analyse interne et comparative de tous les récits selon le modèle de « l’école ethnolinguistique » de Geneviève Calame-Griaule.

L’ouvrage fournit également une documentation inédite sur la langue, telle qu’elle était pratiquée dans l’Ikongo, une région très enclavée et oubliée par les tenants du pouvoir. Tous ces mythes et contes tañala témoignent de la richesse du patrimoine oral malgache. L’auteur nous annonce, par ailleurs, la parution prochaine d’un troisième livre intitulé : Des ogres et des hommes. Contes du sud-est de Madagascar.

Cet ouvrage commence par un prélude suivi de deux grandes parties : la première consiste en la présentation des vingt récits ; la deuxième partie en neuf chapitres, interprète les récits. Suit un épilogue, puis une liste des cartes et une liste de figures.

Référence de l’ouvrage:

BEAUJARD, Philippe, Mythes et contes de Madagascar. (Tañala de l’Ikongo). L’empreinte du rêve, Paris, Maisonneuve et Larose, Nouvelles éditions / Hémisphères éditions, 2021, 765 p.

Bibliographie:

    • BEAUJARD, Philippe, Rituel et société à Madagascar : les Antemoro de la côte sud-est, Paris, Hémisphères éditions Maisonneuve et Larose, 2020, 913p.
    • BEAUJARD, Philippe., Dictionnaire malgache-français. Dialecte tañala, Sud-est de Madagascar. Avec recherches étymologiques, Paris, L’Harmattan, 1998, 891p.
    • BEAUJARD, Philippe, Mythe et société à Madagascar (Tanala de l’Ikongo). Le chasseur d’oiseaux et la princesse du ciel, Paris, L’Harmattan, 1991, 611p.

 


 

 

(Conte n°10 —Recueilli auprès d’un homme d’Anivorano, Manambondro, en 1976)

Ny niandohan’ny ampanzaka — L’origine des rois (pp. 60-65)

 

Extrait

 

 

1

Ny olona tato taloha hoe dia … Ity tany ity moa dia fandrambato, hoe taloha, tsisy an’io tany io, na dia raike. Ary ny olombelo, hoe, dia novelomin’I Zañahary tsotra izao. Kanefa itsika izao dia nivelomany fany, mbola navonany, hoe, namboly. Ka I Zañahary, mbola tambane, mbola nisy tohatra niakatra tañe, hoe.

Les hommes qui vivaient autrefois, dit-on, …ce qui est aujourd’hui la terre, en vérité, n’était jadis que rochers, dit-on, il n’y avait pas la moindre terre. Et les êtres humains, Dieu les faisait vivre simplement comme cela. Dieu nous faisait vivre, mais il cachait encore aux hommes [ce qu’était] l’agriculture1 Dieu se trouvait encore [dans le monde d’] en bas2, il y avait encore en ce temps-là une échelle qui permettait de monter [chez Dieu].

2

Dia hoy I Zañahary : « Ampitso anareo, hoy izy, sotoy nifoha dia aminahe etoy, fa iaho tsy ho eto. » Dia nandraiña ny andro, parapasy ny olo. Ao ka lihano, natory ; tsy tsaroany ny nandehanan’io olo io. Avy tañy moa dia nomen’I Zañahary aby ny fiveloma. Nody lahatañe. Avy ny olo, zahàna : « Kay ka anao ka mbola matory! – Ha! hoy I Iihano. – Ha, ahay dia avy lahatany Zañahary, tsisy raha koa fa dia tonganay aby ny zavatra rehetra añe. – Ha, dia handeha mandy aho », hoy i Iihano.

Dieu dit [un jour] : « Demain, vous autres, dès votre réveil, vous monterez me voir, car moi, je ne serai [plus] ici [avec vous]. »3 Le matin venu, les hommes partirent [chez Dieu]. L’un d’eux [pourtant], dormait [encore] ; il ne remarqua pas le départ de ses [compagnons]. Lorsqu’ils arrivèrent là-bas, ma foi, Dieu leur donna toutes les choses qui font vivre. Ils revinrent, et en arrivant, trouvèrent là [notre dormeur] : « Pas possible ! Toi, tu dors encore ! Oh s’écria notre ami– ah, nous, nous sommes allés chez Dieu, il n’y a plus rien [pour toi] là-bas, nous avons reçu tout ce qu’il y avait là-bas. – Ah, je vais tout de même me rendre là-bas », répondit notre ami.

3

Niakatra Iihano, avy ao. « Ino? Hoy ny Zañahary, Taia ianao? – Natory iaho. – Ha! Ny zaka nataoko omaly iñy hoe « Mandehana atoy anareo hampitso mandraiña ka dia tsy nanananao eritreritra? Ha, diasy hihazakazahako hoy ny Zañahary, ao mbola misy tavela. »

 Kay ka moa kay ka ny fiveloma azon’ny olo, tavela ny tany. Ka tsisy hafa an’io tabàka hosohy io moa izy io, hoe, io tany io. « Itoy, hoy izy, nifonosiko itoy, tsy azon’ny zalahy fa, ô, nahatratra ianao. Izao, mifanaraha anareo laha avy ambany añy, mierà, fa tsy ho velo ny raha nindaony añy iñy raha tsy itoy tany itoy. – Ie », hoy Iihano.

Notre ami monta et arriva [chez Dieu]. « Qu’y a-t-il ? demanda Dieu. Où étais-tu, toi ? – Je dormais. – Quoi ! Alors, la parole que j’ai prononcée hier disant ‘Venez me voir demain matin’, tu ne t’en es pas soucié ? Bon, attends, je vais voir un peu, dit Dieu, il reste encore (un petit) quelque chose. »

Voilà en effet que si les gens avaient emporté les choses qui font vivre, ils avaient oublié la terre. Cette terre, ma foi, était tout à fait semblable à du tabac en poudre, à ce qu’il paraît. « Voici, dit-il, ce que j’ai enveloppé là-dedans, tes compagnons n’en ont pas eu, tu vois, tu as de la chance, tu as obtenu une grande chose. Mais entendez-vous entre vous, lorsque tu arriveras en bas, consultez-vous, car les choses qu’ils ont emportées ne pourront vivre sans cette terre. – Bien », répondit notre ami.

4

Dia nizotso, avy atoy.

« Dia akory ny tañe, hoy ny tañe.

– E, he, tañe, hoy izy, ka dia, tonganareo aby ny raha fiveloma fany, itoy ny tavela, hoy izy, ka itoy mahavelo ny raha toy iñy dia akambantsia.

– Ho, tsy mba haiko, hoy ny sarane. Izy samaky ny tory, ka iaho…? En en, adalain’ny raha fahatany eroy, bonibony raha eroy !

Ka dia hoy ny sarane :

– Ha, inoako izay. »

Natoitra am-pandrambato eo ilay tany io, dia naradradraraka eñy ny raha fiveloma iñe, raha vary, raha ino, dia nody an-draño moa.

Il redescendit, et arriva [sur la pierre].

« Eh bien, comment cela s’est-il passé, là-bas ? demandèrent-ils.

– Eh bien, je suis allé là-bas, dit-il, vous avez emporté toutes les choses qui font vivre, mais vous avez laissé ceci, dit-il, or c’est ceci qui fait vivre les [autres] choses, alors mettons cela en commun.

– Oh, il n’en est pas question, répliquèrent certains. Lui qui était resté plongé dans son sommeil, et moi… ? Non, on ne va pas se laisser embobiner par cette chose sans valeur, cette petite poussière-là !

Mais d’autres dirent :

– Ah, je crois à ce qu’il a dit. »

Il déposa la terre sur la pierre, et ils répandirent les choses qui font vivre, le riz et toutes les autres choses, puis ils rentrèrent chez eux.

5

Dia nitombo ary ilay tany iñe, dia naniry ilay vokatre. Itoy moa an’ny sarane, nararaka am-pandrambato iñe dia may eo, fa tsisy tany moa ka, may (izay ny aminazy). Farany dia nipody dia teñe moa, dia nilaina ny vokatre, dia nitombo, dia nitombo. Dia raha ela ny ela moa, dia nitombo ilay tany moa ; dia nandinika ary ny hatao an’ilay zalahy be tory : « Ahoana ny hatao amy ilay be tory? – Ha, hazay izy, fa raha io ny viñitre, sahira itsika. Hazay izy. » Dia nihaoña kômity : « Ino ny hataontsiana azy? – Ha, dia mba hataontsia mba manzaka ao, dia eñy izy dia… – En, tsy ampiasainantsia. – Toy izao… – Ha, vita. »

La terre, alors, s’étendit, et les choses qu’ils avaient semées poussèrent. Pour les autres, qui avaient semé les leurs sur la pierre, tout avait grillé, bien sûr, il n’y avait pas de terre (voilà ce qu’il en est). À la fin, ils s’en revinrent, et ils restèrent là [sans rien faire]. [Les autres récoltèrent] ce qu’ils avaient semé, et [la terre] s’étendit, s’étendit, le temps passa, et la terre, ma foi, s’étendit. Alors ils réfléchirent sur l’attitude à adopter envers notre ami le dormeur. « Comment faire avec le ‘Le Dormeur’? –  Ah, nous devons le respecter, car s’il se mettait en colère contre nous, nous serions bien en peine, nous devons le respecter. » Ils se réunirent en assemblée : « Qu’allons-nous faire de lui ? – Ah, faisons de lui notre roi, c’est lui là-bas, qui… – Oui, nous ne le ferons pas travailler. – Comme cela. – Bon, nous sommes d’accord. »

6

Dia nangeha moa izy : « Anao dia nangeha fa anao tsy nanahira antsika, satria ahay dia mihitrikitrike fa hoe nahazo ny fiveloma. Kay ka ny tena fiveloma ka nivela tafara. Raha tsy nipody tañy ianao, dia olo sahira ahay, raha lasa tamin’ny tany nombany ilay Zañahary. Ka raha avy eto, anao dia ambela andraño, dia mba nikômandy anay ny hataonao, ary dia anao izao niankinanay : raha nitrahananao dia tsisy zavatra vita ahay hivelomanay.

– Ha, marina, hoy izy, raha marina aminareo, hoy izy, ka dia tsy mañahy aho. »

Alors ils le firent venir : « Nous t’avons fait venir, car tu ne nous as pas causé d’embarras, nous, nous nous vantions en disant ‘Nous avons obtenu les choses qui font vivre’, et pourtant il est apparu que la chose la plus indispensable à la vie, nous l’avions laissée. Si tu n’étais pas revenu là-bas, ah, nous aurions été dans la peine, maintenant que Dieu nous a quitté.4 Puisque tu es ici, [sans travailler], tu n’auras qu’à nous commander, c’est sur toi que nous nous appuyons désormais ; si tu t’étais opposé [à nous], nous n’aurions rien récolté pour nous nourrir.

– Oui, c’est vrai, répondit-il, si cela vous paraît juste, je n’y vois pas d’inconvénient. »

7

Dia iza, hoe, niandohan’ny ampanzaka. Ka dia tadidio tsara e, aniova 5 ny andro dia izao : taloha, mpanzaka, ka tsy mba niady tany izy, tsy mba miady tany, satria raha tezitra izy, ha, sahira ilay iviñirane amy tany, ka dia tombo ny andro izao, dia na mpanzaka na ino, dia iadian’olo amy tany. Satria tsy mba tahaka hoe tany nome anazy, tsy izao no mahatonga hoe « tanin’ampanzaka, ha, mba ampanzaka, ampanzaka ny tompon-tany. » Tsy tany tolofan’olombelo, fa tolofan’i Zañahary, hoe, tamin’ny andro taloha niboahan’itoy tany itoy, fa fandrambato ny tato.

Voilà, dit-on, l’origine des rois rappelez-vous bien ceci, les choses ont changé, car jadis, les rois, ils n’avaient pas à disputer [leur] terre, on ne leur disputait pas la terre, car s’ils étaient courroucés, ah, ceux qui étaient l’objet de leur courroux étaient dans la peine, mais les jours ont passé, [et aujourd’hui], rois ou pas, on leur dispute la terre. En fait, on ne peut pas dire qu’on leur a donné la terre, ce n’est pas pour cette raison que l’on dit : « C’est une terre de roi, ah, le roi, ma foi, le roi est le maître de la terre. » 6 Ce n’est pas les hommes qui lui ont offert la terre, mais c’est Dieu qui la lui a donnée, dit-on, dans les temps anciens où la terre apparut, car auparavant, tout n’était ici que rocs.

Linah Ravonjiarisoa

Inalco/Plidam

 


 

Notes:

1  Phrase peu claire. On entendrait fambolena plutôt que mamboly

2  Dieu n’habitait pas encore le ciel, mais « en bas » (ambany), sur ce qui deviendra la terre dans une demeure élevée, toutefois, puisqu’il est question d’ « échelle » pour monter jusqu’à lui.

3  Dieu annonce son intention (le récit ne dit pas pourquoi) de quitter le monde d’en bas.

4  Litt. : Dieu est parti sur son chemin.

5  Aniova : forme non comprise ; peut-être pour laha niova.

6  La réalité du royaume tañala était plus complexe, puisque les autochtones étaient dits « maîtres de la terre. ». Le roi mpanzaka et l’anakandria, chef autochtone, répartissaient la terre, jadis abondante. Si des conflits de terrain entre des autochtones et le roi apparaissaient difficiles à envisager, en revanche, il pouvait y avoir des conflits entre nobles, et bien sûr des luttes entre royaumes rivaux.

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