Nnanga Kôn / Le Revenant Albinos

 

 

Nnanga Kôn / Le Revenant Albinos

de Jean-L. Njemba Medu

[Jean-Louis Njemba Medou]

 

 

Mots-clés

bulu, Cameroun — écriture littéraire, roman — village, traditions; mort; guerre, évangélisation

Contexte

Jean-Louis Njemba Medou, 1902-1966, était instituteur auprès des missionnaires de l’église presbytérienne américaine installée à Ebolowa (sud du Cameroun). Il devient ensuite fonctionnaire de l’Enseignement public et occupe souvent le poste de directeur d’école. Affecté à la direction de l’enseignement, il est envoyé en 1952 à l’École normale supérieure de Saint-Cloud (France) pour un stage pédagogique. Après un accident de la circulation en 1957, ne pouvant plus garder longtemps la station debout qu’exige le métier d’enseignant, il change de corps de métier. Il est nommé Secrétaire d’administration en 1964. Il termine sa carrière en tant que deuxième adjoint préfectoral à Bafia. Atteint d’hypertension et épuisé, il meurt le 22 janvier 1966.

Le roman, paru en 1939, réfère à l’arrivée d’un missionnaire blanc en pays bulu, Adolph Clemens Good (1856-1894), le 8 septembre 1893. Son apparence effrayante de fantôme aux cheveux de barbe de maïs lui valut le pseudonyme de Nnanga Kôn « Le Revenant Albinos », d’où le titre du roman. On l’appellera plus tard Ngôtô Zambe « Rançon de Dieu », i.e. celui qui vient racheter le peuple de Dieu en versant son sang.

 

 

Descriptif de l’œuvre

La première page de couverture mentionne: « Kalate Nnanga Kôn A ne Jean L. Njemba Medu A nga Tili. Samuel BIEN a nga ko Bikanga [L’histoire de Nnanga Kôn telle que Jean-L. Njemba Medu l’a écrite. Les illustrations sont de Samuel BIEN] ». Le lieu d’édition n’est pas indiqué sur cette page. La quatrième de couverture est vide.

Le roman s’ouvre sur un appel tambouriné invitant les hommes à la chasse au filet.

Le village Monezula mène une vie tranquille. Ses habitants vaquent à leurs occupations. Le partage du gibier qui se fait suivant une tradition bien établie donne à chacun des participants ce qui lui revient. Si les travaux des champs occupent les Bulu pendant la journée, les après-midi sont réservés aux activités sportives pour les jeunes gens, avant le repas du soir dans la case du lignage. Puis s’enchaîne le temps des causeries familiales, des devinettes, proverbes, contes, légendes et d’autres récits. Les soirées au clair de lune sont particulièrement appréciées. Les compétitions de lutte appartiennent à ces moments où les jeunes Bulu de Monezula savent rivaliser avec leurs voisins les Fang. L’observation des malheurs entravant la vie villageoise appelle aussitôt le rite de purification, cérémonie parmi tant d’autres qui régulent cette communauté, pour assainir l’espace où vit la population.

Dans ce village où les rapports sont amicaux et pacifiques, voici qu’un soir, alors que la causerie battait son plein, le tam-tam de la lance, qui appelle les Bulu à la guerre se met à crépiter annonçant l’arrivée d’un albinos fantôme Nnanga Kôn dans la contrée. Le décès d’Éla Mvondo, patriarche du lignage, introduit le lecteur aux cérémonies et pratiques autour du deuil d’un grand homme. Des esclaves et des veuves, dont Angoneman, doivent être exécutés, afin d’accompagner le maître au pays des ancêtres. C’est ce moment que choisit Nnanga Kôn pour apparaître brusquement dans le village. Il sauve Angoneman d’une mort certaine. Cette dernière accepte de le suivre vers la côte où il vit avec sa famille. Les Bulu s’organisent pour aller récupérer cette femme qui revient de droit au successeur d’Éla Mvondo, Mvondo Éla.

Le roman se termine sur la conversion d’Angoneman et de son mari, Mvondo Éla.

Références

    • Traduction anglaise:

Le livre a connu quatre éditions:

— Août 1939  2000 ex.

— Juillet 1953 5000 ex.

— Juin 1976   3000 ex.

— Juin 1986   3000 ex.

L’édition de 1986 est augmentée d’un texte d’ÉBÔ’Ô ONDUA, Léa [veuve de Njemba Medou], Mimboan a mefulu ya me melu kôa: kalate mame ya melu mvus [Pratiques, coutumes d’autrefois: livre sur la vie d’antan].

 

    • Traduction:

Une traduction française (FAME NDONGO, Jacques, 1998).

 

    • Réécriture:

Une réécriture en roman poétique par Rachel Efoua Zengue en version bilingue (EFOUA ZENGUE, Rachel, 2005).

Bibliographie

    • ABOMO-MAURIN, Marie-Rose, 2017, « Production littéraire écrite en langues camerounaises: une carence problématique » in: BAMGARDT, Ursula (dir.), Littératures en langues africaines. Production et diffusion, Paris, Karthala, pp. 185-197.
    • ABOMO-MAURIN, Marie-Rose, 2006, « Nnanga Kon [L’abinos blanc] de Jean-Louis Njemba Medou (boulou, 1932): un roman unique », in Xavier Garnier et Alain Ricard (dir), 2006, L’effet roman: arrivée du roman dans les langues d’Afrique, Paris, L’Harmattan-Université Paris 13, pp. 75-90.
    • ANONYME, 1954, Esquisses des vies des missionnaires, Elat-Ebolowa, HMP.
    • ATANGANA, Karl, und MESSI, Paul, 1919, Jaunde-Texte, Hamburg, L. Friederrichsen & Co.
    • CRIAUD, Jean, 1990, La Geste des Spiritains: Histoire de l’Eglise au Cameroun, 1916-1990, Yaoundé, Imprimerie St-Paul.
    • EFOUA ZENGUE, Rachel, 2005, Jean-Louis Njemba Medou, Nnanga Kôn en poésie, roman poétique, Yaoundé, Clé. [Édition bilingue bulu/français].
    • ENGON AVEBE, Jacob, 1979, Kañete ya ényiñ Abate Mesi’i Markus, minkana, metiñ mé a bifia bi fek, Elat-Ebolowa, HMP.
    • FAME NDONGO, Jacques, 1989, Jean-Louis Njemba Medou, Nnanga Kôn. Récit traduit par… Yaoundé, Sopecam.
    • LAVERDIÈRE, Lucien, 1987, L’Africain et le missionnaire (l’image du missionnaire dans la littérature africaine d’expression française), essai de sociologie littéraire, Montréal, Éditions Bellarmin.
    • NJEMBA MEDOU, Jean-Louis, 1939, Nnanga Kôn, Elat-Ebolowa, HMP.
    • ONDOUA ENGUTU, 1954, Dulu bon be Afri Kara, Elat-Ebolowa, HMP. [Traduit par Marie-Rose Abomo-Maurin, 2012, Les Pérégrinations des descendants d’Afri Kara, Paris, OIF-L’Harmattan]
    • PHILOMBE, RENÉ, 1984, Le Livre camerounais et ses auteurs, Yaoundé, Semences Africaines.
    • TANG, Alice Delphine, 2014, Dom Juan en langue bassa /Dom Juan ni hob Bassa, Ngobel kaat i Molière ni hob bassa, Paris, L’Harmattan.

 

 


 

Nnanga Kôn

Le Revenant Albinos

 

Extrait

Étun VIII [Chapitre VIII], pp. 22-23

 

 

— Nde ñhe me nga bulan ke jome jôm be nga bo je zô’é; a zu koé na, aval môt étam e tele, ba benya bôtô; môt m’ajô nye nyô, te yeme yeme avale jôm a funane de; éyoñ me nga sili bôt be nga to valé, ane be nga yalane me na: ‘‘Ane Nnanga Kôn.’’

— Alors, je suis revenu sur mes pas pour comprendre la raison des clameurs que j’ai entendues. Je trouvai un homme étrange au milieu des adultes; l’homme dont je vous parle, il m’est difficile de vous dire à quoi il ressemblait vraiment. Et quand j’interrogeai ceux qui étaient autour de lui, ils me répondirent: “C’est le Revenant Albinos.”

— Nyôl é to to nye aya? Éla a sili.

— Comment est sa peau? demanda Éla.

— Nyôl é to nye ne fuummm! Ve ane w’abo ô yenek vôm môt a te mane wobane fem nyô. A taté mekul mebo, a kui asu. Esil ya nlô ve ane zele fôn, mis me vika’a ngebane nye nlô ane mis me ayañ. A be’e bitôp nkuk a be’e fe ji évok étota’ane mebo mebaane; mebo me to nye ñyalane a évindi jôm. Ane yôp e nga bialé bi nji tame yene avale môt ete!

— Sa peau est toute blanche! Comme lorsqu’on a plongé dans de la chaux. Depuis les pieds jusqu’à son visage. Ses cheveux ressemblaient à la barbe de maïs et ses yeux scintillaient comme ceux du serpent vert. Son torse était couvert de tissu, alors qu’un autre couvrait ses deux pieds. Ses pieds étaient protégés par un objet noir. Depuis la création du monde, nous n’avons jamais rencontré un tel être humain.

— Ye a kobo fo’o?

— Est-ce qu’il parle quand même?

— A kobo, ve jame da, bi te tu’a wô’ô mejô a jô; nkobô wé ô funa’ane nkobô fañ.

— Il parle, mais nous ne saisissons pas très bien le sens de ses paroles; on dirait qu’il parle fang.

— Môt ate a ne fo’o ve “Kôn”: te yene a ne bo jôm éfe?

— Cet homme est vraiment un « revenant »; il ne peut en être autrement!

— […] A kobô kobô z’avale mejôô?

— […] De quoi parle-t-il au fait?

— A kobô mejô m’awu a mejô m’ényiñ. A tote fe Zambe Nyamebe’e; ve jame da, b’ajô na, a ve bôt bitôp a nku bekôn ».

— Ce qu’il dit se rapporte à la mort et à la vie. Il évoque Dieu le Créateur; mais on raconte qu’il distribue des étoffes et du sel des revenants ».

Marie-Rose ABOMO-MAURIN

Àjònò Àlá / Les Trois Oyono

 

Un mvet boulou (Cameroun)

de Asomo Ngono Ela

 

 

Mots-clés

bulu, Cameroun — oralité, mvet, mbom mvet interprète du mvet, épopée, chant — conflit, guerre, le surnaturel

Éditeur scientifique

Gaspard Towo Atangana et Marie-Rose Abomo-Maurin.

 

 

 

Production du corpus

Récit épique boulou (mvet) interprété par Asomo Ngono Ela, une mbom mvet « interprète du mvet ». L’artiste psalmodiait ou chantait le texte, accompagnée de musiciens, d’un chœur mixte et en présence d’un public nombreux qui participait activement à la performance.

Collecte

Texte provenant des enregistrements réalisés entre 1963 et 1969 dans la région de Bengbis, au sud du Cameroun, dans le département de Dja-et-Lobo, par Gaspard Towo Atangana. Les séances ont lieu la nuit. L’enregistrement est assuré par un technicien du Centre Culturel Camerounais.

Descriptif

Le mvet est un genre chanté, répandu dans la forêt équatoriale au sud du Cameroun, au nord du Gabon, en Guinée équatoriale et dans l’extrême nord de Congo Brazzaville. Le terme désigne aussi bien l’instrument que les chants qu’il accompagne. Ceux-ci sont désignés par le terme de biban bi mvet (sing:eban mvet « chant de mvet »).

Le texte est un épisode d’un récit organisé en cinq chants. Les performances durent toute la nuit. L’artiste psalmodie ou chante le texte. Les thèmes principaux sont les conflits et les guerres.

Il est question dans le récit de trois jeunes Ekangs à la recherche de femme à épouser et qui s’appellent tous Oyono. Mais chez les Fangs-Boulous-Betis, le nom donné à l’enfant à sa naissance est suivi de celui de son père, s’il est vivant, et celui de sa mère si le père est décédé ou s’il n’a pas épousé la mère de l’enfant. Ainsi donc, s’il est ici question de trois Oyono, le premier s’appelle Oyono Medang, le second Oyono Mfoulou Mana et le troisième Oyono Meye me Nguini Ango Nkong. Mais, au cours du récit, Oyono Mfoulou Mana disparaît, sans qu’on puisse savoir pourquoi.

Édition du corpus

Transcription: première version par Gaspard Towo Atangana; version finale par Marie-Rose Abomo-Maurin.

Traduction: Marie-Rose Abomo-Maurin.

Introduction et notes: Françoise Towo.

Référence de l’ouvrage

TOWO ATANGANA Gaspard et ABOMO-MAURIN Marie-Rose (éds), 2009, Àjònò Àlá Les Trois Oyono Un mvet boulou (Cameroun) de Asomo Ngono Ela. Recueilli et traduit par Gaspard Towo Atangana, retranscrit et annoté par Marie-Rose Abomo-Maurin. Introduction et notes de Françoise Towo, Paris, Classiques africains 31, 256 p. [deux photos en noir et blanc représentent l’une, l’artiste en performance, et l’autre, ses accompagnateurs].

Bibliographie

    • ABOMO-MAURIN Marie-Rose, 2006, « L’épopée bulu du Sud-Cameroun: un genre en mutation ? L’exemple de Ayono Ala d’Asomo Ngono Ela », in Oralité africaine et création, sous la direction d’Anne-Marie Dauphin-Teinturier et Jean Derive, Paris, Karthala, p. 127-147.
    • ABOMO-MAURIN Marie-Rose, 2010, « La représentation de l’espace dans Àjònò Àlà, Les Trois Oyono, Un Mvet boulou (Cameroun) de Asomo Ngono Ela, édité par G. Towo-Atangana et M.-R. Abomo-Maurin, Classiques Africains, 2009) », in L’expression de l’espace dans les langues africaines II, Journal des Africanistes, T 79, Fascicule II, p. 127-153.
    • ABOMO-MAURIN Marie-Rose, 2013, « Asomo Ngono Ela (ou Okono Abeng) [Bisombo 1914 – id. v. 1970] », dans Béatrice Didier, Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber (dir.), Le dictionnaire universel des créatrices, Éditions des femmes, 2013, p. 291-292.
    • BIYOGO Grégoire, 2002, Encyclopédie du Mvet, T.1 et T.2, Ed. Cirad, Libreville.
    • ELLA Steeve, 2014, «Le Mvett et le Renouvellement des épistémès », Ayong, [en ligne], 24/11/2014, consulté le 28 juin 2018 et 22/10/2019, http://www.ayong.fr/pages/news/articles/page-3.html.
    • ENO BELINGA Samuel-Martin, 1978, Moneblum ou l’Homme bleu, Yaoundé, ouvrage publié avec le concours de l’Université de Yaoundé, version bilingue.
    • KOLETOU MANOUERE Blandine,  « L’énonciation temporelle dans Le Mvett de Tsira Ndong Ndoutoume », dans Les Temps épiques : Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée, sous la direction de Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin, Publications numériques du REARE, 15 novembre 2018  URL: http://publis-shs.univ-rouen.fr/reare/index.php?id=437.
    • NDONG NDOUTOUME Tsira, 1983, Le Mvet épopée fang,  Paris, Présence africaine.
    • NDONG NDOUTOUME Tsira, 1993, L’Homme, la mort et l’immortalité, Paris, l’Harmattan, 1993.
    • ONDO Angèle Christine, 2009, « L’espace corporel intérieur dans le mvet », Journal des africanistes, 79-2, pp. 155-170.
    • ONDO Angèle Christine, 2014, Mvett Ekang: forme et sens: L’épique dévoile le sens, Paris, l’Harmattan.
    • WOLF Paule et WOLF Paul (ed.), 1972, Un mvet de Zwè Nguéma: chant épique Fang, receuillis par Pepper Herbert, Paris, Armand Colin, 493 p. [autre édition: 1985, Un mvet de Zwè Nguema,  Chant épique Fang, Classiques Africains, 492 p.]

 

 


 

Àjònò Àlá Les Trois Oyono

Un mvet boulou (Cameroun)

de Asomo Ngono Ela
Extrait

 

DZÌÁ OSU — CHANT I

 

 


Le Chant I vient après un prélude d’une cinquantaine de vers chanté avec la participation du public qui intervient en chœur. Les passages en caractères romains sont des discours narratifs, ceux en caractères italiques sont chantés.

 

 

Bètàt, ’mvét dza dzó nǎ:

Pères, voici l’histoire que raconte le mvet:

dzàm é mànèjà táté Éŋóŋ

Un drame a éclaté à Engong-vaste-comme-des-flancs-d’éléphant,

Sí bə̀ndàè bə́ Zòlò Òbiàŋ, ’mvó’ò Ngémá

terre des petits-fils de Zolo Obiang, les descendants de Nguéma.

Ndə ’nláŋ wɔˊ dzó nǎ.

Voici ce que dit le récit.

tɔ́ŋ è nə̀ bə̀lɔ́ŋ, ngɔ̀m è nə̀ bə̀bòm

Tout cor son sonneur, tout tambour son batteur.

Àkútə ngɔ̀n ǎ bìsón òdən ngɔ̀n ǎ mìnà

La fille sotte raisonne, la fille vaine est menteuse.

Nànə́ Àsɔ̀mò à kɔ́bò à Mbiàŋ-Mànà-Àdà

Ainsi mère Asomo s’accompagne du Mbiang-Mana Ada

Èjɔ̀ŋ te mə̀ ngá jə́n ə́ sí Èngóŋ Àkùma…

Je vis donc à Engong, au pays d’Akouma…

Àmú mà wó’ó nǎ ñə́ à nə́ mòt ’mfùk,

Les « on-dit » rendent en effet l’homme menteur.

Mà jə́n nǎ ñə́ à nə́ bə̀bé àdzó.

Seul « je vis » 1 au récit donne l’accent du vrai.

Marie-Rose ABOMO-MAURIN

 


 

Notes:

1 C’est-à-dire « voir » avec les yeux d’un initié.

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