Écriture littéraire

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  • ANDRZEJEWSKI Bogomit Witalis, S. PILASZEWICZ et W. TYLOCH, 1985, Literatures in African Languages : Theoretical Issues and Sample Surveys, Cambridge/Varsovie, Cambridge University Press/Wiedza Powszechna, 425 p.
  • GARNIER Xavier et Alain RICARD (dir.), 2006, L’Effet roman. Arrivée du roman dans les langues d’Afrique, Paris, L’Harmattan, 311 p.
  • GÉRARD Albert, 1981, African Language Literatures, Washington/Londres, Three Continents Press/Longman, 398 p.
  • MOHAMADOU Aliou, 2017, « L’usage de la graphie arabe en peul », in Ursula BAUMGARDT (dir.), 2017, Actes » Littératures en langues africaines Production et diffusion, Paris, Karthala, pp. 95 – 108
  • NGANDU NKASHAMA Pius, 1992, Littératures et écritures en langues africaines, Paris, L’Harmattan, 407 p.
  • OED, Anja et REUSTER-JAHN, Uta, (ed.), 2008, Beyond the Language Issue. Production, Mediation and Reception of Creative Writing in African Languages. Proceedings of the 8th International Janheinz Jahn Symposium on African Literatures, 17-20 November 2004, University of Mainz, Cologne, Rüdiger Köppe Verlag, 293 p

Littérature orale et écriture littéraire

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  • BAUMGARDT Ursula, 2008, « La littérature orale n’est pas un vase clos », in Ursula BAUMGARDT et DERIVE Jean (dir.), 2008, Littératures orales africaines, perspectives théoriques et méthodologiques, Paris, Karthala, pp. 245-272.
  • BAUMGARDT Ursula (dir.), 2012, Littératures en langues africaines, Dictionnaire des créatrices, Paris, Éditions des femmes, (15 articles sur des créatrices s’exprimant en langues africaines).
  • BAUMGARDT Ursula et Jean DERIVE (dir.), 2013, Littérature africaine et oralité, Paris, Karthala, 165 p.
  • BAUMGARDT Ursula, 2017 (dir.), Littératures en langues africaines. Production et diffusion, Paris, Karthala, 361p.
  • BAUMGARDT Ursula, 2017, « Incidences du contexte de communication en littérature orale et en écriture littéraire », in Ursula BAUMGARDT, 2017 (dir.), pp 227 – 235

Translittération

La translittération consiste à substituer l’écriture d’un texte dans un alphabet donné par celle dans un autre alphabet, sans aucune intervention dans le texte.
Elle concerne aussi bien les textes oraux transcrits que les textes écrits. Dans les littératures en langues africaines, cette opération est souvent nécessaire pour une meilleure accessibilité des textes à un public non familiarisé avec des alphabets spécifiques.
Ainsi, les manuscrits écrits ou transcrits en ajami sont couramment translittérés en alphabet latin. Dans une édition scientifique, on présentera dans ce cas les deux versions en vis-à-vis, accompagnées de la traduction.
On peut citer comme autres exemples l’alphabet amharique, ou le nko, écriture plus récente adoptée pour écrire les langues mandingues.

Ursula Baumgardt

Variabilité

L’oralité implique nécessairement la variabilité. Selon la définition de Paul Zumthor (1994, pp. 28-29), une œuvre produite en contexte d’oralité comprend à la fois le texte (l’énoncé linguistique) et la totalité des facteurs de la performance. Définie de cette manière, l’œuvre n’est pas reproductible à l’identique, car ses deux éléments constitutifs sont susceptibles de varier.

Variabilité de la performance et du texte

La variabilité au niveau de la performance concerne tous les éléments paralinguistiques (la gestuelle, la voix, la diction, la mimique etc,) le lieu, le temps et les participants (l’énonciateur lui-même et le public, ainsi que la relation entre ces deux derniers). Une question importante qui peut donner accès à la portée idéologique de la littérature orale se pose ici : « le choix des textes ou la manière de les dire varient-ils en fonction du public ? »

Sur le plan de l’énoncé, les variantes observées sont essentiellement stylistiques : présence ou non de mots expressifs, changement de termes lexicaux ou de structures syntaxiques, ce qui peut éventuellement avoir une incidence sur le rythme, par exemple. Elle est par ailleurs observable en fonction de la longueur des textes. En effet, s’il s’agit d’énoncés brefs et formulaires comme les proverbes, elle est plutôt limitée ; les textes sacrés, du fait de leur caractère rituel, tendent aussi à réduire au maximum la variabilité, car les croyances locales menacent parfois de sanctions graves celui qui en modifierait l’énoncé. En revanche, des textes plus longs, moins contraints et qui ont une fonction plus ludique, admettent des variations plus importantes autour du thème de base.

Degrés et niveaux de variabilité

La variabilité peut se manifester d’un énonciateur à un autre, voire dans le discours d’un même énonciateur. Le degré change en fonction de plusieurs paramètres, parmi lesquels figurent la relation entre l’énonciateur et le public, la longueur des textes, leur intégration dans des rituels ou non, l’importance du style formulaire dans un genre donné et l’organisation des performances.

En ce qui concerne l’organisation des textes, la variabilité concerne les niveaux figuratif et fonctionnel. Elle peut être abordée en tant que phénomène intra- et interculturel. Dans tous les cas se pose la question de l’« original ».

En contexte d’oralité, dans la majorité des cas, on ne peut pas établir un texte de référence au sens de texte « original ». De manière pragmatique, on confère le statut de « texte de référence » à la première version publiée, ou bien, lorsqu’il s’agit d’un corpus inédit, à la première version enregistrée, tout en précisant que ce texte remplit seulement la fonction de point de comparaison.

Deux perspectives théoriques différentes

D’un point de vue théorique, l’étude de la variabilité se situe dans deux perspectives différentes et complémentaires, selon que l’on veut établir, au-delà des différences, un schéma commun à toutes les versions attestées, ou que l’on a pour objectif de relever les différences entre des versions pour les étudier de manière plus détaillée.

Dans la première approche, souvent réalisée à propos des textes narratifs comme les contes, on cherche un dénominateur commun dans un ensemble de réalisations, en faisant abstraction du niveau figuratif. On établit une version modélisée, un texte construit dans une certaine mesure par les chercheurs. Le modèle – en tant que schéma narratif et fonctionnel – est donc issu de l’analyse de plusieurs réalisations, sans que le niveau figuratif ne soit pris en compte. Si plusieurs performances se ramènent, du point de vue narratologique, à la version modélisée, elles sont considérées comme une même version, indépendamment des variantes figuratives[1] qui y sont attestées. Par contre, les variations fonctionnelles[2] sont comprises comme les variantes d’une même version modélisée si elles restent limitées et ne remettent pas en cause le schéma narratif global. L’intérêt de ce type d’analyse est de dégager, par exemple, des contes types afin d’en étudier la diffusion.

La deuxième orientation est plus attentive à l’observation de la performance et à l’importance du niveau figuratif pour la construction du sens sur le plan métaphorique et symbolique. Dans cette perspective, toute performance produit une version, et on aura donc autant de versions que de réalisations, qu’il s’agisse des productions d’un même énonciateur ou d’énonciateurs différents. Ici, l’intérêt porte moins sur la classification des textes que sur le souci de relever toute la palette des différences attestées dans le plus grand nombre de versions possibles.

Dans la pratique, les deux approches se complètent, comme l’illustrent l’analyse des représentations d’un personnage dans différents contes[3] ou la comparaison de 150 versions du conte-type de « La fille difficile », très répandu en Afrique de l’Ouest et Centrale (Veronika Görög-Karady et Christiane Seydou 2001).

Variabilité intraculturelle

On peut aborder la variabilité intraculturelle au niveau des textes en observant les liens que les genres entretiennent entre eux dans une culture donnée. Ainsi, selon les cas, les contes et les proverbes peuvent être dits à la même occasion voire dans un même texte, car un proverbe peut servir de conclusion à un conte. Ici se pose la question de savoir, par exemple, quels sont les proverbes qui peuvent se trouver dans cette fonction ? Constituent-ils une catégorie spécifique ? De même, à propos de genres relativement proches comme l’épopée et le conte qui peuvent partager certains éléments narratifs, des questions similaires peuvent être posées.

Sous un autre angle, la variabilité peut être significative par rapport à l’extension d’une aire culturelle et par rapport à la différenciation des textes littéraires à l’intérieur de l’aire et en fonction des régions, comme c’est le cas de la littérature peule ou mandingue. Mais au-delà de cette observation, l’étude de la variabilité intra-culturelle peut ouvrir la voie à une véritable sociologie de la littérature orale : quels sont, en fonction de l’âge, du sexe et du statut social, les genres littéraires pratiqués ou préférés ? Quels sont les genres interdits ou réservés à quelle fraction du public ? Quels sont les textes figurant dans le répertoire des hommes et des femmes, des groupes sociaux dominants et dominés ? Ces mêmes questions sont, bien entendu, également pertinentes pour la description plus fine du public, ainsi que de la réception.

Variabilité interculturelle

Quant à la variabilité interculturelle, elle concerne entre autres les interprétations différentes d’une même problématique dans plusieurs cultures. L’interrogation peut porter sur l’absence ou la présence d’un thème ou d’un genre littéraire, elle peut suivre la circulation d’un même thème ou déterminer éventuellement quelle est la culture source dans un emprunt ou une adaptation. Dans l’ensemble, la variabilité interculturelle témoigne de la proximité ou de la distance entre deux cultures, ce qui peut être mis en évidence par des approches comparatives. Un exemple très éloquent concerne les représentations du mariage (Veronika Görög-Karady 1994 et 1997).

Ursula Baumgardt

Références bibliographiques

GÖRÖG-KARADY Veronika et Christiane Seydou (ed.), 2001, La Fille difficile : un conte-type africain, Paris, Éditions du Cnrs, 494 p. [cdrom inclus]

GÖRÖG-KARADY Veronika et Ursula Baumgardt (ed.), 1988, L’Enfant dans les contes africains, Paris, Cilf/Edicef, 189 p.

GÖRÖG-KARADY Veronika (ed.), 1994, Le Mariage dans les contes africains, Paris, Karthala, 227 p.

GÖRÖG-KARADY Veronika, 1997, L’Univers familial dans les contes africains. Liens de sang, liens d’alliance, Paris, L’Harmattan, 225 p.

ZUMTHOR Paul, 1994, Poésie et vocalité au moyen âge, Cahi@ers de Littérature orale, 36 – Oralité médiévale, Paris, pp. 10-34

[1] Variante figurative : on entend par là des réalisations particulières qui rendent compte d’une même fonction conceptuelle. Ainsi, la fonction de « protecteur », par exemple, peut être remplie par un personnage humain, animal ou végétal.

[2] Variante fonctionnelle : à la différence de la variante figurative, elle a des répercussions sur le déroulement narratif.

[3] Comme c’est le cas, par exemple, du personnage de l’enfant (Veronika Görög-Karady et Ursula Baumgardt, ed.,1988).

Transcription

Dans le but de créer un support qui permette leur analyse, mais également pour pérenniser les textes oraux, la recherche a recours à différents moyens : on peut les enregistrer sur des supports audio et/ou audiovisuels, ou bien les transcrire après les avoir enregistrés, sachant que cette dernière opération reste indispensable pour toute approche scientifique[1]. En effet, la transcription qui consiste à fixer par écrit une performance fournit un document consultable de façon illimitée. Elle entraîne en outre un changement de statut du texte oral.

Fixer un texte oral par écrit le fait passer de l’oralité première à l’oralité seconde, celle qui est médiatisée et dont les productions, à l’instar de celles de l’écrit, peuvent être matérialisées et stockées, car l’énoncé survit de cette façon au moment de sa création et existe de manière pérenne. Ce changement de statut permet sa diffusion au delà de son univers culturel de création, ce qui impose un ensemble de précautions méthodologiques dans son édition, notamment sa contextualisation précise sous forme d’introduction et d’explications.

Transcrire n’est pas écrire

L’opération de transcrire consiste à noter strictement ce qui a été dit. Le transcripteur n’est pas l’auteur du texte qu’il fixe fidèlement, sans ajouts ni suppressions. Tout au plus, il peut y apporter des annotations dans le but de rendre le texte mieux intelligible, ce qui peut s’avérer indispensable, car le texte est transposé dans un autre univers culturel et énoncé selon un mode de communication différent.

A propos de la transcription, on a parfois tendance à parler de manière erronnée de « passage de l’oral à l’écrit ». La transcription n’implique pas le passage à une rhétorique qui serait celle de la culture écrite. En effet, si la transcription est fidèle, l’œuvre transcrite continue à être régie par la rhétorique de l’oral. Contrairement à la conception d’une œuvre qui s’inscrit dès le départ dans une perspective de médiatisation – écrire un livre, faire un film, enregistrer un disque – les œuvres appartenant à l’oralité seconde ne sont pas, à l’origine, conçues pour quitter leur contexte de production. De ce fait, ces œuvres ne réfléchissent pas à la communication interculturelle ni à l’écart qui peut exister entre la culture de départ et celle à laquelle appartient le futur lecteur, auditeur ou spectateur. Pour cette raison, on ne peut justement pas considérer l’utilisation de « l’écriture » dans le contexte de l’oralité seconde comme un passage de l’oral à l’écrit, comme s’il existait une continuité entre ces deux statuts. Au contraire, un texte oral qui est transcrit, et de ce fait médiatisé, est justement sorti de son système de communication non médiatisée, ce qui constitue une rupture.

Une opération complexe

Travaillant sur des textes déjà établis et publiés, les spécialistes de la littérature ne sont pas familiarisés avec la transcription, une opération qui se situe à la confluence de la linguistique et de l’édition des textes. Le premier principe à respecter est celui de fidélité et de transparence, tout en sachant qu’il n’est pas possible de rendre dans tous ses aspects un texte tel qu’il a été dit. Malgré cette difficulté, plusieurs précautions méthodologiques permettent de se rapprocher au mieux du principe de fidélité et de transparence.

Identification et authentification de la performance

La transcription comprend l’identification de la performance. Il s’agit non seulement de l’authentifier (lieu, date, circonstances), mais également d’apporter des renseignements précieux par rapport aux conditions de l’enregistrement et à sa qualité, ou par rapport aux éventuelles incidences des conditions particulières sur l’œuvre. Ces précisions sont complétées par des informations détaillées sur la collecte.

La situation d’énonciation

La transcription rend compte de facteurs qui relèvent de la situation d’énonciation, qu’il s’agisse d’éléments paralinguistiques ou d’interactions avec le public. Un énonciateur peut avoir recours à un geste pour illustrer une action qu’il ne nomme pas. Par conséquent, l’énoncé linguistique peut paraître incomplet ou incompréhensible, alors que dans la situation d’énonciation, il est parfaitement cohérent. La transcription doit éclaircir cette donnée en ayant recours à une annotation. De même, il convient de marquer les interactions avec le public parmi lesquelles on peut citer le rire, le commentaire, le rectificatif, la réaffirmation, l’interruption etc. Elles constituent des éléments de réception des performances.

Changement de support et segmentation du texte

La transcription opère un changement de support : le son est transformé en « image » dans la mesure où on produit un texte « écrit » utilisant une graphie connue. Or, l’habitude de la lecture crée des attentes particulières par rapport au texte écrit, attentes auxquelles la transcription cherchera à répondre en présentant un texte lisible[2] tout en respectant le principe de fidélité. Dans ce contexte, la première opération est celle de la segmentation qui comprend la distinction de petites unités (phrases) et d’entités textuelles plus longues (paragraphes). Il existe des marqueurs linguistiques ou prosodiques qui segmentent le texte (pauses, interjections, intonation). Même si le texte est dit de manière ininterrompue, cette structuration peut intervenir pour éviter la présentation d’un texte en continu. La présentation sous forme de vers relève du même ordre.

Des problèmes plus inattendus peuvent se poser à propos de la matérialisation du discours direct et indirect et de certaines structures syntaxiques relevant selon les cas elles aussi de la parataxe, procédé de subordination marquée par juxtaposition, sans mot de liaison apparent.

Toutes ces questions peuvent être traitées en deux temps : lorsqu’on veut publier le texte, on accordera toute l’attention requise au problème de la lisibilité en détaillant les choix opérés ; en revanche, lorsqu’il s’agit d’un document de travail, la plus grande fidélité est requise, ce qui permet justement d’observer et d’analyser le texte de manière attentive.

Quelle graphie ?

De nombreuses langues africaines disposent actuellement d’une graphie latine conventionnelle avec, le cas échéant, des graphes particuliers pour noter des phonèmes spécifiques. La graphie choisie pour la transcription se conformera aux usages en cours et rappellera si nécessaire le système phonologique de la langue. Si celui n’est pas établi, la phase préalable consiste à le définir.

Alors que la phonologie se contente d’isoler les phonèmes, i.e. les sons distinctifs de la langue, la phonétique s’intéresse à la qualité et à la réalisation des sons. Cette différence peut poser des questions au niveau de la transcription des textes oraux, car on peut être tenté de pratiquer une transcription phonétique pour rester le plus près de l’énoncé réalisé. Or, dès lors que le système phonologique de la langue est établi, il est en général tout à fait satisfaisant de l’utiliser pour la transcription. Pour des besoins d’analyse stylistique, on peut être amené ponctuellement à une transcription phonétique d’extrait limités.

Transcription et variabilité

L’oralité comprend la variabilité. Or, le texte transcrit qui semble être un texte « écrit » peut être abordé de manière erronnée selon les mêmes critères qu’un texte qui s’inscrit dans une culture de l’écrit, notamment si celle-ci valorise la langue standard, l’écriture orthographique et l’absence de variantes. Pour éviter tout malentendu, la définition de la politique de transcription adoptée rappellera le traitement de la variabilité, analysera les types de variantes attestés dans le corpus transcrit et les signalera pour expliquer qu’un même terme peut être « écrit » de façons différentes, ce qui pourrait être interprété comme une faute ou un écart par rapport à la norme. Or, la transcription n’est justement pas une écriture « orthographique[3] » si on entend par là une écriture obéissant et établissant des normes ; au contraire, la transcription rend compte des variantes.

Ursula Baumgardt

Références bibliographiques

BAUMGARDT Ursula, 2013, Littérature orale et alphabétisation : quelques réflexions à partir du peul, Abdoulaye Keita (dir.) 2013, Au carrefour des littératures Afrique-Europe, Hommage à Lilyan Kesteloot, Paris, Karthala, pp. 199-214.

ONG Walter J., 1982, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, Londres/New-York, Methuen, 201 p. [2ème édition en 1989, Londres/New York, Routledge, 201 p.] {Chap. 1, 5, 8, 12}

ROULON-DOKO Paulette, 2008, Collecte, enquête, transcription, U. BAUMGART, J. DERIVE, (dir.) Littératures orales africaines. Perspectives théoriques et méthodologiques, (sous la dir. de, avec Jean DERIVE), Paris, Karthala, pp. 273-285

[1] Voir pour l’historique de la transcription, Paulette Roulon-Doko, 2008, pp. 281-287

[2] Voir U. Baumgardt, 2013, pp. 197 – 212.

[3] voir U. Baumgardt, 2013

Oralisation

Le terme de « oralisation » est parfois utilisé pour désigner la présence d’éléments de littérature orale dans des textes qui relèvent de l’écriture littéraire, comme, par exemple, les proverbes, les chansons etc. Cette opération peut être observée fréquemment et dans des réalisations très variables (U. Baumgardt, J. Derive, 2013).

Plus largement on utilise parfois « oralisation » pour tous les effets d’oralité qu’un scripteur peut introduire dans son texte : d’un point de vue linguistique, recours à la syntaxe de l’oral (parataxe, extraction topique, ellipses) ainsi qu’à la morphologie du langage parlé (élisions, approximations phonétiques) ; d’un point de vue rhétorique (apostrophes, interjections, fiction d’un narrataire).

Cependant, l’utilisation du terme « oralisation » pour désigner ce type d’opérations n’est pas tout à fait approprié si on se réfère au sens premier du terme : « dire à voix haute » un texte écrit, qui peut être appris ou lu.

Un exemple fréquent d’oralisation est attesté dans le cas de l’écriture de textes religieux en ajami par des lettrés musulmans que leurs élèves récitent. Ici, l’oralisation est un moyen très efficace de diffusion des textes.

Ursula Baumgardt

Bibliographie indicative

Ursula Baumgardt, Jean Derive (dir.), 2013, Littérature africaine et oralité, Paris, Karthala, 169 p.

Oralité

Le terme « oralité » du latin os / oris « bouche » désigne dans le domaine des pratiques langagières et de l’art verbal les productions qui sont réalisées oralement et qui relèvent du patrimoine culturel immatériel.

L’oralité, un mode culturel spécifique de communication verbale

Dans les « cultures de l’oralité », la communication passe prioritairement par les échanges verbaux et comprend, entre autres, le divertissement, la création et la transmission des savoirs (Cauvin 1980). Généralement, ces cultures ne fixent pas les échanges en question par écrit. Cet état de fait induit souvent la définition d’une telle société comme étant préoccupée par la seule transmission orale de la tradition, comme essentiellement rurale et inaccessible au progrès, mais surtout comme marquée par l’absence d’écriture, donc par un manque. Une telle perspective, comparative et négative, repose sur une interprétation erronée.

Pour éviter toute comparaison hâtive et dépréciative, une réflexion sur la communication en contexte d’oralité comme mode culturel spécifique de la communication verbale devrait être menée en amont[1]. En effet, en contexte d’écriture, la communication entre l’auteur et le lecteur est différée car elle passe par le support du livre, alors que dans le cadre de l’oralité, elle est directe. Dans ce cas, elle est non médiatisée, étant donné le fait que la performance réunit le producteur et l’auditeur de la parole dans un même espace / temps. La spécificité de ce mode de communication a plusieurs conséquences : à la différence de l’écrit, la parole n’est pas réversible, elle est consommée au moment de sa production et elle est soumise à la variabilite dans l’énonciation, ce qui n’empêche pas sa mémorisation.

L’« oral » et le « parlé »

Cependant, toute parole ne relève pas de l’oralité, car cette dernière dépasse largement le simple fait de s’exprimer oralement. Marcel Jousse (1925) et, après lui, Jacques Dournes (1976) ont bien distingué le “parlé” de l’”oral”, ce dernier étant conçu comme une énonciation consciemment proférée de manière spécifique, selon un art oratoire, dans le cadre d’une manifestation soumise à un certain degré de ritualisation » (J. Derive 2008, p. 17).

Les productions orales peuvent être accompagnées ou non de musique, voire de danses ou d’autres éléments d’interprétation scénique. La présence de l’énonciateur lui permet de recourir à l’expressivité corporelle, la voix, la mimique ou la gestuelle ; en outre, il peut tenir compte du public présent et installer avec lui une relation d’interlocution plus ou moins explicite.

Création, représentations de la parole et régulation de sa circulation

Les spécificités de la communication en contexte d’oralité ont des incidences sur la notion de création, qui ne comprend pas seulement l’acte créateur initial. Ainsi, lorsqu’un auditoire prend connaissance d’une oeuvre à l’occasion d’une performance donnée, « elle est devenue une œuvre collective à laquelle ont – consciemment ou non – participé tous ceux qui l’ont re-créée dans le cadre d’une nouvelle interprétation » (J. Derive 2008, p. 19).

Ce mode de communication implique par ailleurs des représentations culturelles très élaborées de la parole ainsi que la régulation de sa circulation dans la société. Celle-ci fait l’objet d’un apprentissage dans la communication quotidienne et à travers les genres littéraires, car la parole est régulée de manière précises selon les critères suivants : « qui parle à qui, de quel sujet, de quelle manière, ou, quand et en présence de qui ».

Coexistence de deux modes de communication

Selon les cas, l’oralité peut, soit être le mode de communication prédominant, soit coexister avec l’écriture de façon à peu près équilibrée, soit ne plus être qu’un résidu minoritaire par rapport à la domination de l’écrit. Il convient que l’analyse de l’art verbal d’une société donnée souligne les particularités de chaque situation sans pour autant établir une hiérarchie entre ces modes de communication. Au contraire, il s’agit de souligner les spécificités de chacun et de décrire les types de relations qu’ils entretiennent entre eux.

Oralité première et seconde

L’arrivée des nouvelles technologies audio- et audiovisuelles a facilité l’enregistrement de l’art verbal et par la suite sa transcription, processus que W. J. Ong (1982) désigne par The Technologizing of the Word. Dans ce contexte, il distingue l’« oralité première », celle produite en contexte naturel, et celle médiatisée par la technologie audio ou audiovisuelle et qui relève de l’« oralité seconde », au même titre que les textes transcrits. La fixation des textes oraux et le passage au statut de l’oralité seconde permet non seulement leur conservation, mais également leur diffusion au-delà de leur contexte de production. Dans cette situation, la collecte, l’enquête et l’observation des pratiques sociales liées à la littérature orale sont particulièrement importantes, de même que la contextualisation précise des textes. La recherche s’appuie essentiellement sur l’oralité seconde et notamment sur les transcriptions.

Néo-oralité

Un phénomène plus récent est celui de la néo-oralité, terme par lequel on désigne des productions d’art verbal qui, tout en puisant dans un fonds culturel existant, l’adaptent à des circonstances nouvelles et le produisent dans des performances tout à fait différentes de celles de l’oralité première, par exemple sous forme de spectacles ou dans des festivals etc. De ce fait, la néo-oralité constitue un facteur important de renouvellement et de création en littérature orale.

Ursula Baumgardt

Bibliographie indicative

CALVET Louis-Jean, 1984, La Tradition orale, Paris, Puf, 126 p.

CAUVIN Jean, 1980b, Comprendre la parole traditionnelle, Issy les Moulinaux, Saint-Paul, 88 p.

DERIVE Jean 2008, L’oralité un mode de civilisation, U. BAUMGARDT, J. DERIVE (dir.), 2008, Littératures orales africaines. Perspectives théoriques et méthodologiques, pp. 17

JOUSSE Marcel, 1978, Le Parlant, la parole, le souffle, Paris, Gallimard, 329 p.

DOURNES Jacques, 1976, Le Parler des Jörai et le style oral de leur expression, Paris, POF, 343 p.

ONG Walter J., 1982, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, Londres/New-York, Methuen, 201 p. [2ème édition en 1989, Londres/New York, Routledge, 201 p.] {Chap. 1, 5, 8, 12}

ZUMTHOR Paul, 1983, Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 313 p.

[1] On peut se référer également à Louis-Jean Calvet, 1984 ou Paul Zumthor 1983.

Répertoire patrimonial

La déclaration de l’UNESCO

La littérature orale est considérée par l’UNESCO, dans sa déclaration du 17 octobre 2003, comme relevant du patrimoine culturel immatériel (PCI). Selon l’UNESCO, celui-ci comprend « les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel »[1].

Cette déclaration constitue un soutien réel au domaine car l’oralité n’est pas ouvertement définie comme un « manque » d’écriture », mais au contraire comme une valeur culturelle intrinsèque : elle stipule que la mémoire et la culture de l’oralité constituent un patrimoine universel à préserver et à valoriser ; elle aborde la littérature orale sous l’aspect de la tradition qui doit être sauvegardée ; et elle la considère en même temps comme un moyen précieux qui contribue à son tour à la transmission de la tradition. En effet, on regrette souvent que la tradition se perde sous l’influence de la modernité et notamment de la scolarisation.

La littérature orale en tant que répertoire patrimonial

La recherche, quant à elle, donne souvent une définition comparable selon laquelle la littérature orale relève de la transmission, de la mémoire et de la perpétuation de la tradition. Cette définition va de pair avec l’idée qu’elle est constituée de répertoires immuables. Dans bien des cas, les sociétés africaines se représentent d’ailleurs elles-mêmes la littérature orale sous l’aspect d’une mémoire collective, en s’appuyant sur des genres à caractère historique, voire historiographique, tels que la généalogie ou le récit épique.

Cette perspective a des implications théoriques importantes. Elle va de pair avec l’idée d’anonymat et d’absence d’auteur, ce qui aboutit à des conclusions réductrices. La littérature orale serait archaïque, liée au seul monde rural, définitivement ancrée dans le passé et ignorant la création. Définie de cette manière simplificatrice et comparée implicitement à l’écriture littéraire implicitement pensée comme moderne, créative et tournée vers l’avenir, la littérature orale apparaît comme ayant une moindre valeur culturelle.

Variabilité et dynamisme

Présenter la littérature orale sous le seul aspect du répertoire patrimonial nie en fait son dynamisme que l’on ne perçoit pas. Des recherches plus récentes ont montré que cette vision simplifiée ne correspond nullement à la réalité de son fonctionnement (U. Baumgardt et J. Derive, 2008, pp. 6). Les moyens techniques nouveaux d’enregistrement des textes oraux prouvent clairement leur variabilité (J. Derive, 1977, pp. 265-302). La littérature orale fait preuve de créativité à plusieurs niveaux (A.M. Dauphin-Tinturier et J. Derive, 2005) : créations nouvelles, recompositions et ajustement des performances selon les situations d’énonciation, entre autres (J. Derive Jean, 1990, pp. 215-225 ; S. Bornand, 2005). Par ailleurs, elle s’adapte aux contextes nouveaux, ne serait ce qu’au niveau de la néo-oralité.

Une toute autre forme, le répertoire individuel (U. Baumgardt 2000), illustre l’articulation entre la transmission et la sélection d’éléments transmis mais spécifiques pour construire une nouvelle entité. Ce processus relève de la création réalisée par un énonciateur en fonction de critères qui lui sont propres.

Tout en intégrant des répertoires patrimoniaux qui coexistent avec d’autres répertoires, la littérature orale fait preuve d’un grand dynamisme. Définie de cette manière, elle peut être perçue dans toute la complexité de son fonctionnement et de ses fonctions : transmission, création, maintien du lien social, expression littéraire, adaptation à des contextes sociaux nouveaux etc. Ceci ne veut pas dire que la littérature orale n’est pas confrontée à des changements radicaux. Une politique culturelle cohérente en sa faveur est nécessaire pour préserver cette vitalité. C’est l’idée qui sous-tend la déclaration de l’UNESCO.

Ursula Baumgardt

[1] http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00006

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