Biographie

Née en Grèce au IVème siècle avant Jésus-Christ, la biographie apparaît étymologiquement comme le fait d’écrire la vie d’une personne (de bios vie et graphein écrire).

Si l’on s’en tient à cette définition relativement large, la biographie recouvre en partie des genres tels que le panégyrique, l’éloge, l’oraison funèbre… Pourtant, le terme même de biographie apparaît relativement tardivement dans les langues européennes, au tournant du XVIème et du XVIIème (ainsi en anglais, en allemand et en français). Il dénote alors une certaine rigueur scientifique en regard des termes précédemment cités et exclut les développements ultérieurs de biographie romancée ou fictive. Le genre sous-entend, du moins au départ, que l’existence de la personne dont la vie est relatée est avérée (ou supposée telle).

Si le terme est donc apparu relativement tardivement (on lui préfère auparavant les appellations « Vie de » ou « Histoire de »), le genre lui-même est ancien, lié à la nécessité dans toute culture de garder mémoire des hauts faits d’une personne ou d’une lignée, comme en témoigne par exemple l’importance du griot dans un certain nombre de sociétés africaines. Le rôle didactique de la biographie est essentiel : on conserve la mémoire d’une vie digne d’être connue et transmise, notamment parce qu’elle transmet des valeurs partagées par la société d’origine. La question se pose alors du choix des vies relatés : il s’agit, la plupart du temps, d’hommes (plus rarement de femmes) de haute naissance ou bien dont les vies apparaissent exemplaires : vies des grands orateurs (ainsi les Vies rédigées par Plutarque (Plutarque, s. d.)), vie de saints (les hagiographies sont nombreuses), de personnages qui se sont distingués par leurs actions – notamment les faits d’armes. Une inflexion se produira par la suite, accompagnant l’évolution des sociétés. Les biographies d’individus plus « communs » entreront ainsi progressivement sur la scène littéraire à mesure que l’homme du peuple deviendra lui aussi objet de discours. Cette attention accordée à la vie de l’homme banal est cependant loin d’être dominante, et, dans le monde contemporain de l’édition, pour quelques titres consacrés aux existences de tout un chacun, combien plus nombreux sont ceux qui s’intéressent aux individus liés au pouvoir (sous quelque forme que prenne celui-ci : politique, médiatique, artistique…).

Lieu où s’exprime ce qu’une société valorise dans la vie d’un homme, la biographie s’est infléchie diversement selon les cultures. En Afrique, la dimension exemplaire et mémorielle reste importante, ce qui explique que les premières existences ayant fait l’objet de publications aient souvent été consacrées à des lignées royales. Le passage à l’écrit a souvent été motivé par le travail missionnaire ou par la colonisation (voir par exemple les biographies de rois du Borno rédigées en kanuri par Sigismund Wilhem Koelle en 1854) mais le fond biographique des littératures orales leur préexistait bien évidemment.

Si le parcours de l’individu est souvent englobé au sein de la lignée, cela n’est pas toujours le cas. L’attention portée à l’individu est bien réelle mais c’est le versant didactique de l’existence qui est mis en valeur : ainsi l’écrivain Shaban Robert (Robert, 1991), retraçant en swahili la vie de la chanteuse de taarab Siti binti Saad, souligne la conformité de la vie de celle-ci avec les valeurs de la société traditionnelle (alors que la vie de la chanteuse peut également apparaître transgressive à certains égards). Amadou Hampâté Bâ consacre son ouvrage Vie et enseignement de Tierno Bokar (Bâ, 1980) à une personnalité importante de la mystique soufie. Si en Occident, ce versant « d’exemplarité » existe bel et bien, il est cependant intéressant de noter que loin de louer la conformité aux valeurs traditionnelles, l’attention des biographes s’est à l’inverse de plus en plus souvent portée vers des parcours de vie « hors-normes » et volontiers transgressifs. L’ouvrage que consacre Emmanuel Carrère à Edouard Limonov (Carrère, 2014) peut en être un exemple, mais d’autres existent en nombre. Dans la littérature africaine, le parcours peut bien s’éloigner du « droit chemin » mais c’est le retour sur celui-ci qui est valorisé, comme peut en témoigner le récit rédigé en igbo par Pita Nwana Omenuko ou le repentir d’un marchand d’esclaves (Nwana et Ugochukwu, 2010). Ceci dit, on se trouve ici face à un cas de biographie romancée (celle du chef Igwegbe Odum), ce qui pose de manière intéressante les rapports entre informations biographiques et manière de les conserver entre formes littéraires variées.

Nathalie Carré

Bibliographie indicative :

    • Bâ A.H., 1980, Vie et enseignement de Tierno Bokar: le sage de Bandiagara, Paris, Seuil (Points), 254 p.
    • Carrère, E., 2014, Limonov, Folio, S.l., Gallimard, 488 p.
    • Nwana N., Ugochukwu F., 2010, Omenuko ou Le repentir d’un marchand d’esclaves: premier roman en langue igbo (Nigeria), Paris, Karthala.
    • Plutarque, s. d., Vies des hommes illustres.
    • Robert S., 1991, Wasifu wa Siti binti Saad, Dar es Salaam, Tanzania, Mkuki na Nyota.