Contexte

 

Une forte et ancienne tradition de la critique littéraire veut que soit pris en compte le contexte de production d’une œuvre pour en comprendre les enjeux, même si, selon les écoles, cette exigence est plus ou moins impérative : on se souvient de la querelle qui a fait rage dans les années 70 entre tenants du structuralisme et tenants de la sociocritique, l’approche du « texte clos » s’opposant à celle de « l’œuvre ouverte ».

Selon les périodes de l’histoire littéraire, cette notion de contexte a pu s’entendre dans des acceptions différentes. Trivialement, le contexte de l’œuvre, c’est d’abord l’ensemble des circonstances ponctuelles qui ont déterminé sa production, notamment eu égard à des données biographiques de l’auteur (Lanson). Mais c’est souvent aussi le contexte sociologique de cette production dans le cadre d’un champ institutionnel qui suppose des instances de légitimation et des attentes (Pêcheux, Duchet, Bourdieu…). De telles approches supposent alors une théorie de la structuration de la société et du fonctionnement social, comme ce fut par exemple le cas de la critique marxisante qui a mis l’accent sur les déterminismes sociaux pesant sur l’œuvre littéraire, dans le cadre de formations discursives (Pêcheux).

Dans le champ de production littéraire en langues africaines, l’attention portée au contexte est plus impérative que jamais. Tout d’abord parce que, dans la culture orale, le discours littéraire est forcément actualisé dans une « performance » qui est contextualisée de façon sensible (par un lieu, un temps, des acteurs à l’émission et à la réception). La littérature orale, dans sa dimension rituelle et cérémonielle, est en outre une littérature essentiellement de circonstance dont le sens ne peut être saisi que par rapport à ce contexte ponctuel immédiat (premier sens du concept). Par ailleurs, la littérature orale, dans ses fonctions de légitimation et de subversion, étant un enjeu de rapports de pouvoir et de contrepouvoirs entre des formations sociales délimitées par différents critères (âge, sexe, caste, fonction etc.), une attention particulière doit être portée, pour saisir la dimension idéologique de ces discours canoniques, à leur circulation sociale, en tenant compte de celui qui parle et de celui à qui il est prescrit (ou interdit) d’écouter (second sens du concept). Il n’est pas indifférent de savoir par exemple si un conte ou un proverbe est dit par un homme, une femme, un griot, un forgeron et à qui…

Dans la mesure où cette littérature en langues africaines, à l’oral comme à l’écrit, est fortement idéologique, avec une visée d’éducation sociale, la prise en compte du contexte sociologique (surtout dans la seconde acception du terme) est une donnée capitale de l’analyse de telles œuvres.

Jean Derive