Mots-clés
peul, fulfulde de l’Aadamaawa (Cameroun et États voisins) — oralité, histoire, kiistawol — femme insatisfaite, marabout, adultère
Production du corpus
Haman Koyrânga, 73 ans, cultivateur et marabout, père de dix enfants
Le conteur est réputé pour ses histoires salaces.
Contexte de production
Hodandé [Hoɗannde] (Dargala) 26/02/2011
Le conte a été enregistré le matin suite à un rendez-vous qui avait été pris avec deux conteurs et plusieurs conteuses.
Descriptif
Une femme insatisfaite de son mari va demander une solution à un marabout. Tour à tour et à l’insu l’un de l’autre, la femme et le mari vont se plaindre chez le marabout. Celui-ci promet à chacun d’améliorer la situation. En fait, les choses ne font qu’empirer.
Collecte et édition
Collecté sous la direction de: Hadidja Konaï
Image et son: Henry Tourneux
Transcription et traduction: Boubakary Abdoulaye et Henry Tourneux
Annotation: Henry Tourneux
Debbo ummii yehi haa goɗɗo feere, |
Une femme se rendit chez quelqu’un, |
haa mallum. | chez un marabout. |
O wi’i : « Mallum, gorko am oo ɗon ɓilli yam. | Elle dit : « Mallum[1], mon mari m’embête. |
O feecinanaay yam no ngiɗmi. | Il ne me donne pas assez comme je le veux. |
Mi ɗon yiɗi ngaɗanaa yam o tokkoo yam | Je veux que tu fasses en sorte qu’il m’obéisse |
bana rawaandu tokkotoo jawmum. » | comme un chien obéit à son maître. » |
Nder taalol ɗum woni. | C’est dans le conte que ça se trouve[2]. |
Mallum wi’i mo : | La marabout lui dit : |
« Booɗɗum ! Walaa ayibe ! | « Bon ! Il n’y a pas de problème ! |
Haala yewgo amaana, | [Mais il peut être] question de trahir la confiance, |
yewgo amaana », mallum wi’i mo. | de trahir la confiance », lui dit le marabout. |
« – Ammaa, yewgo amaana kam o wi’i, | « – Mais, trahir la confiance, dit-elle, |
mi hasdi. | j’y consens. |
– Ko ndokkataami ? » | – Que me donneras-tu ? » |
Ɓe mbolwidi, ɓe narri. | Ils ont discuté et ont trouvé un accord. |
« – A hokkan ? | « – Me l’accorderas-tu ? |
– Mi hokkan. » | – Je te l’accorderai. » |
Mallum wi’i mo : | Le marabout lui dit : |
« Ooho ! War tuggu[3] hoondu maa haa ɗoo. » | « D’accord ! Viens mettre ton doigt ici ! » |
Jabbi jabbe haa lesdi wi’i : | Il fait des trous dans le sable et il dit : |
« War tuggu hoondu ! » | « Viens mettre le doigt ! » |
O tuggi. | Elle le mit. |
O laari, o wi’i yoo : | Il l’a vu et lui a dit : |
« – Na keeddiɗɗaa’en ɗoo, | « – Tes voisins, |
woodi mo keedduɗaa, | il y a quelqu’un dans ton voisinage, |
debbo keeddaa[4], | la femme de ton voisin[5], |
keeddiɗɗaa oon, | ton propre voisin, |
gorko keeddiɗɗaa mal oon ɗoon, | le mari de ta voisine lui-même, |
ɗon waɗa dabare haa wurtine har ngonɗaa, ɓaŋe. | manœuvre pour te faire sortir d’où tu es pour qu’il t’épouse. |
– Ayyee ! | – Ah bon ? |
Kumarsaaŋ wayne oon wara ɓaŋammi ? | Tel commerçant viendra m’épouser ? |
Miin oon hannde mi heɓi o ɓaŋi yam kam, | Moi-même, aujourd’hui, je découvre qu’il m’épouse ? |
ko mbaɗanmi her leggal joorngal ngaal, to naa ngam bone gendal. | Qu’est-ce que je vais faire avec ce bois sec[6], à part de mal cohabiter ? |
– Yoo, booɗɗum, walaa ayibe ! » | – Bon ! Bien ! Il n’y a pas de problème ! » |
Ɗum jooɗii. | Il se passa quelque temps. |
Mallum waɗani mo, o hooci. | Le marabout lui a fait [ce qu’il avait promis[7]], et elle l’a pris. |
« Njahaa mbaɗaa bannii ɗoo, | « Va faire comme ça, |
mbaɗaa bannii ɗoo. » | fais comme ça. » |
Gorko boo yehi haa mallum. | Le mari aussi alla trouver le marabout. |
O wi’i : « Mallum, na debbo oo ɗon waɗammi nii, | Il dit : « Mallum ! Cette femme me fait ci, |
ɗon waɗammi nii. | me fait ça. |
Gayɗi ngaymi corok o waɗantammi. » | C’est absolument tout ce que je déteste qu’elle me fait. » |
Mallum wi’i mo : « Waddu aan boo, o naastante. | Le marabout dit : « Apporte[8], toi aussi, et elle te respectera. |
To mi waɗani ma aan boo, | Si je te fais [qqch] à toi aussi, |
koo ndilluɗaa duroygo na’i, | même si tu vas faire paître les vaches, |
o tokkete. » | elle te suivra. |
Nder taali. | – C’est dans les contes[9] ! – |
O tokkete, o ɗaɓɓite lattooɗaa a debbo maako. | Elle te suivra, elle te cherchera pour que tu sois sa femme[10]. |
Kanko o gorko maaɗa. » | Elle, elle est ton mari[11]. » |
Hujja ɗon jooɗii hakkunde maɓɓe. | Le mensonge s’installe entre eux. |
Oo nananaaka, | Elle ne se fait pas dénoncer[12], |
oo nananaaka. | il ne se fait pas dénoncer. |
Mallum hawti ɓe ɗiɗo. | Le marabout les réunit tous les deux. |
Mallum huuwani mo. | Le marabout a « travaillé[13] » pour elle. |
O yehi o warti. | Elle est partie et revenue. |
O wi’i : « Mallum, | Elle dit : « Mallum ! |
kuugal kuuwanɗaami goo na ɗum tulliti. | Le travail que tu as fait pour moi… la situation a empiré. |
Naane no min ngonno, min ɗon mbolwida. | Avant, comme nous vivions, nous nous parlions entre nous. |
Hannde kam, koo jaabootiral walaa hakkunde amin. | Aujourd’hui, il n’y a même pas d’échange verbal entre nous. |
O yerdaaki yam, mi yerdaaki mo. | Il ne s’entend pas avec moi, je ne m’entends pas avec lui. |
Miin kam, ɓernde am ɗon ɓilii, | Moi, je suis amoureuse[14] |
ndaa haa keeddiɗɗam, | de mon voisin. |
mo mbiinooɗaami, ooɗo ɓaŋatam goo… | Celui dont tu m’avais dit qu’il m’épouserait. |
Mbaɗanaami lisaafi noon. | Fais ce qu’il faut[15] pour moi, |
Miin kam, min ɓaŋra gal toon. » | afin que je l’épouse[16]. » |
Debbo wi’i bana nii ɗoo. | Voilà ce qu’a dit la femme. |
Gorko boo, kanyum boo yehi wi’i debbo yoo : | Quant au mari, lui aussi, il est allé dire à la femme : |
« Debbo, miin e hoore am, | « Femme, moi-même, |
aan e hoore maa, en ngondi, ngondi ngendi goo… | et toi-même, nous sommes ensemble, ensemble, avons vécu ensemble… |
– ɗum taali – | – ce sont des contes[17] – |
ɗum yahanaay en. | ça n’a pas marché pour nous. |
E ammaa, mi yehi haa mallum. | Mais, je suis allé trouver le marabout. |
O wii yam yoo, a hersumjo am. | Il m’a dit que tu m’apportes la malchance. |
Ko naaɗɗaa[18] haa maako, kuuɗe maako fuu tampi. | Depuis que tu es entrée [dans son foyer], toutes ses[19] affaires ont périclité. |
Koo ɗereeji maako o heɓtanno haa babal kuuɗe maɓɓe goo, | Même les papiers[20] qu’il aurait dû retrouver à son lieu de travail, |
ɗereeji fuu, ɓe nanngidi, o heɓtaay. | tous ces papiers, on les lui a tous bloqués, il ne les a pas retrouvés. |
Tampi koo ko wangi. » | Il s’est épuisé, sans que rien ne sorte. » |
O wii mo : « Bisimilla ! | Il [marabout] lui dit : « Bisimilla ! |
Jonta kam, war meemii[21] huyre ndee na, | Maintenant, viens toucher ce pion[22] ! |
Naane kam, a meemaayno booɗɗum. | Avant, tu ne l’avais pas bien touché. |
Yaa waddu gertogal. » | Va me chercher une poule. » |
Debbo nanngi gertogal waddi. | La femme a attrapé une poule et l’a apportée. |
O huuwani mo kuugal goo. | Il [marabout] lui a fait le « travail ». |
Gorko dari wii mo yoo : | Le mari a dit ouvertement [à sa femme] : |
« Hannde ɗoo ɗoo, gendal maa mi saftino goo, | « Aujourd’hui, la cohabitation avec toi dont j’avais marre, |
mi safti sey ngurtooɗaa tan ndillanaami. » | j’en ai assez, il faut que tu sortes et que tu t’en ailles. » |
Yehi kanyum boo. | Il est parti, lui aussi. |
Debbo keeddiɗɗiraawo mo oya wiino goo, | la voisine dont l’autre avait parlé, |
oon boo, jaka, ɗon narra bee debbo keeddiɗɗiiko goo. | lui aussi, alors, il s’entend avec la femme de son voisin. |
Oo, wurtii yehi naasti ooɗo. | Elle, elle est sortie [de chez son mari] et a épousé l’autre. |
Oo boo naasti ooɗo. | [Le mari] aussi a épousé l’autre. |
Narral sotti caka maɓɓe. | Il n’y a plus d’entente entre eux. |
Hoolaare sotti caka maɓɓe ba keenya goo. [Fin du récit] | Il n’y a plus de confiance entre eux comme [il y en avait] auparavant. [Fin du récit] |
Corpus inédit, © Copyright Henry Tourneux
Notes:
[1] Titre qu’on donne à un maître d’école coranique. Peut aussi être appliqué à un homme assez âgé, en signe de respect.
[2] Incise du conteur.
[3] Variante pour tiggu.
[4] Forme abrégée pour keeddiɗɗaa.
[5] Lapsus du conteur qui se reprend plus bas.
[6] La femme traite son mari de « bois sec » et ne voit pas qui pourrait l’obliger à continuer à vivre avec lui, si quelqu’un d’autre veut l’épouser.
[7] Il s’agit sans doute d’une amulette ou d’un charme.
[8] Le marabout demande que le mari aussi lui donne quelque chose pour qu’il « travaille » pour lui.
[9] Incise du conteur, pour dire qu’il s’agit d’une fiction.
[10] Lapsus du conteur. Lire « mari » au lieu d’« épouse ».
[11] Lire : « Elle, elle est ton épouse ».
[12] Le marabout ne trahit pas ses clients. Il n’informe ni le mari ni la femme de ce que son/sa partenaire va faire.
[13] Le « travail » dont il est question est une opération magique, basée généralement sur des écrits cabalistiques.
[14] Litt. : « Mon cœur est accroché ».
[15] Litt. : « Fais-moi le calcul ».
[16] Litt. : « afin que nous épousions de ce côté ».
[17] Incise du conteur.
[18] Réalisation de naatɗaa.
[19] A partir d’ici, le conteur s’emmêle » dans les références des pronoms personnels. Le mari est censé rapporter ce que le marabout lui a dit de sa femme.
[20] Le conteur fait allusion au dossier du fonctionnaire, qui a la fâcheuse habitude de se trouver bloqué quelque part dans un bureau, empêchant son titulaire de progresser dans la carrière.
[21]. On attendrait ici la forme meem.
[22] Pion que le marabout avait manipulé dans le sable.