Fantastique

 

Cette catégorie modale, née en Occident, a historiquement surtout concerné les récits (romans, nouvelles, contes…) et éventuellement la poésie lorsqu’elle comporte une dimension narrative. Qu’on songe par exemple à certaines ballades de Goethe (« Le Roi des aulnes ») de Heine (« La Lorelei » dont Apollinaire a également donné une version dans ses Rhénanes). Le concept a été largement théorisé, notamment par Todorov (Introduction à la littérature fantastique, Le Seuil, 1970, aujourd’hui dans la collection « Points »).

Dans tous les travaux consacrés à cette notion, ce qui est consensuel, c’est que le principe même du plaisir tiré de l’intervention de ce qu’on appelle le « fantastique » repose par principe sur le doute, ce qui le rend nécessairement inquiétant. A la certitude de la perception sensible du réel positif, s’opposent des indices subtilement angoissants pouvant laisser supposer la possibilité de l’existence d’un monde supra-sensible étrange et éventuellement dangereux, sans pour autant qu’on puisse jamais établir la preuve de cette existence.

Un tel concept ne saurait fonctionner tel quel dans les littératures d’Afrique, quelle que soit leur langue d’écriture. Dans les cultures africaines en effet, il n’existe pas de coupure radicale analogue à celle que fait l’Occident entre « représentations du réel » et « représentations de l’imaginaire », ces dernières n’étant plus nécessairement pensées comme telles. On est plutôt en présence d’un continuum, les deux types de représentations pouvant être considérés comme l’expression du « réel ». En effet, par philosophie et par foi, au sens où Philippe Descola (Par-delà nature et culture, Gallimard, nrf, 2005) envisage les différents types de rapports des cultures au monde, en Afrique, la postulation du réel ne se réduit pas à l’expérience sensible qu’on en a. Le supra-sensible est censé lui aussi participer d’un réel qu’on ne perçoit que dans certaines circonstances et sous certaines conditions et, à ce titre, il appartient à la nature, n’ayant donc plus rien de surnaturel. Les manifestations de ce monde supra-sensible ne sont pas pour autant familières et peuvent aussi être inquiétantes dans les œuvres littéraires africaines, ce qui permet de continuer à engendrer une certaine angoisse à la lecture de narrations où elles apparaissent dans l’intrigue, mais cette peur-là n’est plus fondée sur le doute, plutôt sur le danger objectif que représentent de tels phénomènes. Cette différence est fondamentale.

Jean Derive