par
Hanitra Sylvia ANDRIAMAMPIANINA
Professeure de littérature comparée, université de Toliara (Madagascar)
Mots-clés:
Madagascar, région d’Extrême Sud, Androy ; malgache, malagasy, parler ntandroy – oralité, conte – collecte de littérature orale ; édition de littérature orale
Résumé:
Cette étude analyse l’un des problèmes auxquels est confrontée la littérature orale : la collecte et l’édition des textes oraux. En rappelant les exigences méthodologiques, elle illustre certaines questions à travers l’exemple d’un recueil dédié à la littérature orale ntandroy dans l’Extrême Sud de Madagascar.
L’ouvrage illustre l’importance primordiale de la documentation reposant sur la collecte, la traduction et l’édition scientifique qui restent souvent lacunaires. Cette situation est plus complexe lorsque la langue utilisée par la littérature orale en question n’est pas une langue officielle et plutôt minoritaire.
Introduction
La documentation de la littérature orale est un défi permanent qui pose de très nombreuses questions de méthodologie. Une interrogation centrale concerne la collecte, car celle-ci est la condition incontournable pour l’établissement de corpus accessibles, édités et consultables pour l’analyse. En effet, à la différence des textes littéraires publiés et « prêts à être analysés », en littérature orale, la constitution du corpus est , – idéalement pourrait-on souhaiter –, partie intégrante de la recherche. L’établissement des textes ne se limite pas à la « simple documentation initiale », au contraire, c’est une opération complexe qui a des incidences sur les textes collectés et publiés. Pour cette raison, elle doit être intégrée dans la recherche car elle suppose de nombreuses qualifications spécifiques. Par ailleurs, elle participe à la représentation de la littérature orale construite par son édition.
À titre d’exemple, nous interrogeons un recueil de textes de littérature orale de l’extrême Sud de Madagascar. Il s’agit d’une littérature orale peu documentée, en l’occurrence les Korojy i Ndroike (Discours de valeur de l’Androy), textes collectés dans l’Androy dans les années 80 par François BENOLO et édité en 1989. Nous ne prenons en considération ici que la méthodologie de la collecte et la visée de cette dernière. Le deuxième volet de la recherche, à savoir la transcription, la traduction et l’édition des textes, ne sera pas abordé ici.
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La collecte, questions de méthodologie générale
Un premier niveau souvent abordé porte sur la technique d’enregistrement : support audio ou audiovisuel ; incidences de la présence d’une caméra sur les énonciateurs ; qualité et fiabilité du matériel ; collecte en équipe ou individuellement ? Un niveau plus général : comment documenter les littératures orales du passé qui n’ont pas été enregistrées sur des supports audio et / ou audiovisuels ?
Depuis une vingtaine d’années, une question est intégrée de manière pertinente et incontournable dans la collecte, à savoir celle de la propriété intellectuelle des textes produits en oralité, édités et publiés sous le nom du / des chercheur/s, impliqué/s ou non dans la collecte.
Les réponses à ces questions techniques participent de la méthodologie de la collecte. Celle-ci est souvent exploratoire, révélant le résultat au moment de la collecte, et fondée sur des observations complétées occasionnellement par des entretiens. Outre les méthodes inspirées de l’anthropologie et de l’enquête de terrain, comme l’immersion, l’observation participante et l’entretien, la collecte de la littérature orale prendra en considération les conditions dans lesquelles celle-ci est produite : en performance dans des circonstances cérémonielles ou rituelles, ou au contraire dans des contextes bien définis mais peu formalisés. Par ailleurs, la collecte précisera si elle est réalisée en contexte « naturel » et en performance, ou si au contraire, l’énonciation est sollicitée ou encore produite en contexte de néo-oralité1. Un troisième critère définitoire concerne l’objectif et la réalisation de la collecte : est-elle « extensive » pour obtenir une compréhension globale d’une littérature orale donnée, est-elle plutôt « intensive » en focalisant l’attention sur un genre oral, un groupe d’énonciateurs voire des thématiques, ou bien est-elle « ciblée » pour rechercher un thème voire un motif spécifiques ?
Selon quels objectifs, à quelle période et par qui les collectes sont-elles effectuées? Les questions porteront ici sur l’identité des collecteurs, les objectifs explicités ou non ; les moyens ; l’étendue de la collecte et sa durée ; la période et le contexte ; l’appartenance du collecteur à la culture sur laquelle porte la collecte ; le niveau de connaissance de la langue du collecteur ; la représentation qu’il a de la littérature orale et sa perception de ses énonciateurs. Un recueil a-t-il recours à l’anonymat, une conception qui situe la littérature plutôt au niveau de la transmission. En revanche, l’idée que les énonciateurs sont « auteurs » de leur création individuelle s’exprime en général en mentionnant leurs noms, comme c’est le cas par exemple de la publication de Véronique Corinus (2021), à la suite des ouvrages de référence d’Ursula Baumgardt (2000) et de Veronika Görög-Karady (1991), de même que les publications de Dominique Noye (1982, 1983) et les thèses de Marlène Milébou (2016) et de Martine Mariotti (1988), pour ne citer que ces travaux.
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Questions de méthodologie : un exemple
Il s’agit ici, de l’ouvrage de François Benolo, Korojy i Ndroike [Discours de valeur de l’Androy2, qui comprend quelques informations sur la collecte. Cependant, seule l’étude du contexte permettra de comprendre par déduction la visée de l’ouvrage.
2.1. La collecte
L’auteur présente la démarche qu’il a suivie pour obtenir les contes, passant des auditions individuelles à l’organisation de séances de contage. Il y rapporte également les contraintes de l’enregistrement audio, et, chose plutôt rare, l’obligation parfois de se faire envoyer des contes par écrit. Les questions soulevées sont bien connues en méthodologie de la littérature orale : la collecte, la transcription et la traduction.
Nous nous intéresserons d’avantage à la présentation de l’ouvrage et au contexte dans lequel la collecte s’est effectuée. En effet, la présentation physique de l’ouvrage lui-même soulève la problématique de l’édition des textes oraux.
2.2. L’ouvrage
Le premier volet est une note introductive de quatre pages datée du 20 janvier 1989. Le second volet est un recueil monolingue de cinquante contes collectés entre janvier 1979 et février 1989. Le troisième volet est une esquisse de la grammaire ntandroy. L’auteur écrit que le ntandroy appartient à la langue malagasy bien qu’il ait ses différences, et qu’il procède de la même grammaire et des mêmes racines. Le quatrième volet intitulé « Kaikaike » ou « Cris » réunit six poèmes écrits par François BENOLO lui-même, et un discours de bénédiction (tata) prononcé par son père lorsque l’auteur, après son ordination en tant que diacre, part pour la France pour ses études de théologie. Le cinquième et dernier volet est consacré à la présentation de quelques faits culturels ntandroy, tels la dénomination des jours et des mois, les noms de naissance relatifs aux signes du zodiaque, et les termes de respect utilisés à l’endroit des adultes et des autorités sociales.
L’ouvrage s’inscrit dans la tradition éditoriale de certains travaux sur les langues africaines, réunissant dans un même ouvrage une esquisse de la grammaire et quelques textes d’illustration, avec une prédilection pour les contes. Cependant, ici la quantité des textes est importante. On peut penser que les notes sur la langue sont complémentaires aux textes.
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Le contexte
Certes, l’auteur ne se présente pas d’emblée comme originaire de l’Androy. Toutefois, dans le Taroñe [note introductive], dans la section 2 et sous-section a, où il présente la méthodologie qu’il a adoptée pour transcrire les données collectées, son appartenance à la culture s’exprime en guise de justification de la méthode. En effet, après avoir procédé à la comparaison de certains textes à ceux qu’il a maintes fois entendus, voire contés, et les avoir analysés pour en identifier les passages arrangés ou modifiés par suppression de passages originaux, il reconnaît avoir réordonné les textes au niveau des répétitions qui relèvent, non des effets de contage, mais d’« erreurs », et que le conteur lui-même rattrape dans la suite. Il a donc choisi de supprimer ces passages d’erreurs rectifiés à l’oral. C’est pour justifier cette intervention que François Benolo écrit à la fin de la section que si c’était un chercheur étranger à la culture qui avait fait la collecte, celui-ci aurait tout retranscrit par respect de ce qu’on entend par « authenticité du récit ». Ce à quoi Benolo prend le risque de renoncer en procédant au « nettoyage » nécessaire car, écrit-il, tsy ndaty o aho fa tompo’e, [je ne suis pas un étranger, je suis propriétaire]. On pourrait dire que la performance est ici sacrifiée au texte transcrit. Mais nous n’allons pas nous étendre sur la question car ce qui nous intéresse, c’est le fait qu’en oralité, les renseignements personnels sur les chercheurs peuvent avoir une certaine importance, ne serait-ce que par rapport à la connaissance des langues concernées. Ceci est d’autant plus vrai qu’en littérature orale et à la différence de l’écriture littéraire, les langues concernées ont parfois le statut de langues minorées, non enseignées et moins bien connues.
Or, selon les exigences actuelles de la discipline, il n’est pas / plus envisageable de réaliser une collecte de textes de littérature orale sans connaître la langue. En effet, la collecte n’est pas un simple enregistrement mécanique ; elle est fondée sur une rencontre entre les chercheurs, les énonciateurs et les publics, rencontre qui ne peut se concevoir qu’à travers une communication directe.
3.1. L’auteur
Dans le cas de François Benolo, l’auteur a à son avantage les faits, non seulement d’être un natif de la région Androy, mais également d’être un traditionaliste. Chercheur et éditeur scientifique, il affirme son appartenance culturelle en publiant un recueil monolingue en ntandroy, en tant que locuteur de cette langue / de ce parler, minoré/e, non enseigné/e à Madagascar3. Ainsi, il apporte en plus une preuve indirecte de sa qualification scientifique ; celle-ci est à son tour étayée par sa maîtrise de l’écriture, illustrée dans le quatrième volet, les poèmes écrits en ntandroy par François Benolo. L’implication personnelle est ainsi attestée.
D’autres informations, plus explicites, concernent l’auteur. En effet, Il est prêtre lazariste et également professeur en anthropologie religieuse. Sa thèse de doctorat en Sciences des religions soutenue sous la direction de Michel Meslin en 1992 à l’université de Paris 4 en partenariat avec Institut catholique de Paris, est intitulée « Le Lolo, où le problème de la reviviscence des morts dans l’Androy (l’extrême-sud de Madagascar) : essai anthropologique pour une contribution à la théologie de la Résurrection ».
La portée de la thèse (1992) est présentée ainsi :
L’intérêt du sujet est double. Dans le domaine de l’anthropologie, nous connaîtrons le fondement de cette croyance discriminatoire envers ceux à qui est imputée la reviviscence. Quant au théologique, dans le sillage de l’inculturation, nous saurons l’incidence de cette croyance sur la foi en la résurrection. Pour ce faire, nous avons étudié deux clans : les Anatsosa et les Ntantotobato. Puis, comme l’évangélisation est à sa première phase dans l’Androy, nous avons pris connaissance de la manière dont les premiers chrétiens, selon le témoignage du nouveau testament, ont proclamé et élaboré leur foi en la résurrection. Et cette recherche nous a amené à suggérer quelques propositions pratiques pour la pastorale catéchétique et liturgique dans l’Androy.
Dans une perspective comparable, son document de synthèse soumis pour l’obtention de l’HDR, présenté en 2017 à l’école doctorale La CADDETHIQUE de l’Université de Toamasina (Madagascar) sous la direction de Eugène Régis Mangalaza, porte le titre « Vivants et morts chez les Ntandroy : pour quelle anthropologie théologique ?».
Par ailleurs, l’auteur poursuit sa réflexion en 2018 par l’essai de 140 pages paru aux éditions Croix du Salut, Comment évangéliser les funérailles à Madagascar ? Inculturation de la Foi à travers les funérailles. Il évoque l’objectif de son travail en ces termes :
Nous voudrions proposer une manière de se prendre à cette évangélisation qui impliquera nécessairement l’intervention de Jésus-Christ donnant une nouvelle vision de la relation avec le Créateur déjà acceptée par les ancêtres et perpétuée par les descendants. Sans oublier qu’on sera toujours en contexte d’inculturation, c’est-à-dire ce ne sera pas une évangélisation imposée comme il était de la colonisation, mais bien plutôt une évangélisation par dialogue.
Cette publication s’inscrit de manière indirecte dans la continuité des travaux effectués par les missionnaires du 19ème siècle en vue d’évangéliser les populations de Madagascar. L’intérêt pour la langue locale, ici le ntandroy, est soutenu pour cet objectif.
3.2. La visée
Les textes publiés dans l’ouvrage sont collectés pendant les recherches doctorales de l’auteur.
Le titre Korojy i Ndroike, Discours de valeur de l’Androy, est fondé sur une métaphore. En effet, le korojy est une grande calebasse dans laquelle on conserve de l’eau, des aliments ou des objets précieux. Le terme désigne également une catégorie de la littérature orale de Madagascar, « discours de valeur ». Dans le sous-titre Talily – Hilala ntandroy, deux genres oraux relevant de cette catégorie sont mentionnés : talily « contes » et hilala « savoir, connaissance, sagesse ». Quant au deuxième terme du titre, Ndroike, c’est le diminutif affectueux du nom de la région Androy4. La publication participe de la valorisation culturelle. Elle témoigne de l’authenticité du texte et de la sincérité du chercheur qui met à la disposition du public une bénédiction qui lui est dédiée.
Nous citons et analysons ci-dessous la présentation de l’un des textes du recueil, à savoir la bénédiction (tata) qui est adressée à l’auteur par son père.
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L’exemple d’un genre oral, la bénédiction
La bénédiction fait partie des genres de la littérature orale, au même titre que son contraire la malédiction, mais également les prières. L’exemple cité ci-dessous présente plusieurs traits définitoires généraux. En effet, la bénédiction s’adresse spécifiquement à une personne, ou à un groupe. Elle est prononcée par une personne incarnant une autorité, représentée ici par le père. L’exemple cité est un discours qui a une structure clairement perceptible : il développe un argument organisé autour de la relation entre la tradition et l’innovation culturelles. L’argument est structuré comme suit :
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- invocation d’un Ancien (le père de la personne qui prononce la bénédiction) ;
- démarche innovante du fils ;
- maintien de la tradition malgré l’innovation ;
- adhésion des Anciens au projet nouveau ;
- éloignement du fils de la culture originelle ;
- bénédiction du fils selon les cérémonies ancestrales ;
- préservation de l’unité culturelle.
La question de cette relation se pose dans la famille à laquelle appartiennent la personne qui prononce la bénédiction et la personne qui reçoit cette dernière. Dans cette constellation, le père a un rôle central : il bénit son fils au nom des Anciens (son père à lui). Située dans l’histoire de la famille, la démarche innovante du fils par rapport aux Anciens est légitimée par le père.
L’innovation s’inscrit dans un cadre culturel auparavant inaccessible à la communauté : le monde des « Blancs », et plus particulièrement les études qui amènent le fils à devenir prêtre. Dans cette situation, la bénédiction prône le maintien de la tradition et rappelle l’adhésion des Anciens au projet nouveau. La fonction de la bénédiction est de concilier les Anciens et le jeune homme qui suit un chemin nouveau. Elle acquiert ainsi une portée sociale importante, celle d’éviter tout conflit générationnel et de préserver l’unité culturelle. Comme le veut la coutume : ne pas réserver un rituel de bénédiction à un seul individu ; par conséquent, la bénédiction du premier, le futur prêtre, entraîne celle du groupe des jeunes de sa génération qui vont rester au pays.
Texte de la bénédiction
Discours de bénédiction, tata, prononcé par son père pour l’auteur de l’ouvrage (pp. 163-164)5
La bénédiction est prononcée à l’occasion du départ de l’auteur en France pour les études de théologie, après son ordination en tant que diacre.
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Korojy i Ndroike (Talily – hilala ntandroy)
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Discours de valeur de l’Androy (Contes – Connaissances ntandroy)
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Invocation d’un Ancien
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1
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TATA
Ingo aba o ana’o o, o zafe’o o, atalily azo fa… Raha natao’o aze ty fianarañe toy, fa tsy raha nataoko an-kery io, tsy nataoko añ’ozatse. Fa katao manao aze ie, raha nierañe ama’o, raha nalaha’o. A lehe vaho omba ty omba’e ty fianarañe toy fa… raha tsy natao ty razañe ty hamampoera, raha tsy natao ty razagne ty mandeha ama ty vazaha añe zao, lehe atao ama ty ihenane toy, fa io ty ombà ty maha-roandria, manohy haroandria’o io, manohy ty hampanjaka’o.
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BÉNÉDICTION
Voilà, père6, ton fils, ton petit-fils, on t’informe que… Les études, c’est quelque chose que tu as rendu possible pour lui, je ne l’y ai pas obligé, je n’ai pas utilisé la force. Car s’il les a faites, c’est qu’il t’en a demandé la permission, et tu l’y as autorisé. Et les études vont leur chemin, car… être prêtre est quelque chose que les ancêtres n’ont pas fait, aller chez les Blancs c’est quelque chose que les ancêtres n’ont pas fait, mais on le fait maintenant, car c’est la route que prend le notable, il poursuit ta route de notable, il poursuit ta route de roi.
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Démarche innovante du fils
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2
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A naho vaho atao o foko’o o eto, i raha tsy nataon-droae’o y, tsy nataon-droaza’o y, azo atalily azo hitahia’o aze, azo atalily azo hitahia’o ahy. Tahio aba fa… hanao ty raha tsy nifatao’areo re navaho hatao’e.
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Ce que font les gens ici, ce que tes pères n’ont pas fait, ce que tes ancêtres n’ont pas fait, on peut t’en parler pour que tu le bénisses, on peut t’en parler pour que tu me bénisses. Bénis-le, père, car… il va faire ce que vous n’avez pas fait.
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Maintien de la tradition
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3
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Tsy nihazomanga’areo zao, fa nihazomanga ty vazaha añe zao, naho ie ka ty ho hazomanga’e. Itahio’areo aze hitahian’Andrianañahare aze : hahasoa aze, tsy hahavereñe aze, tsy hahavereñe ty sai’e, tsy hahavereñe ty havelo’e fa… raha ho an-tana’o eto io.
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Ce n’est pas votre hazomanga7, c’est le hazomanga des Blancs là-bas, et ce n’est pas non plus son hazomanga. Bénissez-le pour cela, afin que Dieu le bénisse : que cela lui apporte le bien, que cela ne le perde pas, qu’il n’en perde pas l’esprit, qu’il n’en perde pas la vie car… il sera chez toi, ici.
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Adhésion des Anciens au projet nouveau
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4
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Fa toe izao i natao’o y ty hoe : “Ho vazaha koahe o ajaja reo o vao?” Ho vazaha, hoa raho, f’ie tsy vaho ihe ro ho tra’e, katao ndra izaho misabo amin’Andrianañahare. Fa io ho vazaha. A ho avy am’iareo ihenane o, fa ho vazaha, ho am-boho’e. Ampahatraro ahy ty havazaha’e, ampahatraro ahy, e izao, ty hasoa’e aba fa… ihe ro fa nilosotse, fa tsy nitra’e. F’izaho angataho amin’Andrianañahare hahatrara’e ahe. Ho ela veloñe am’iareo, hahatratse ty hasoa’e, ho tra ty hasoa’e, ho soa raho, ho babeiareo an-karonkafotse.
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Car toi-même [l’Ancien] tu avais dit : « Les enfants vont devenir des Blancs ? » Ils vont devenir des Blancs, avais-je répondu, seulement, tu ne verras pas cela, même moi, je prie Dieu pour pouvoir voir cela. C’est certain, ils deviendront des Blancs. Et voilà que cela va leur arriver maintenant, ils deviendront des Blancs, ils vont au-delà. Fais en sorte que je voie cela, que je voie cela, et oui, le bien qui leur arrive, père, car… c’est toi qui es parti et n’auras pas pu voir cela. Mais moi, intercède auprès de Dieu pour que je vois cela. Que je vive longtemps parmi eux, pour voir le bien qui leur arrive, que leur bien me surprenne, que je sois bien, qu’ils me portent dans du panier en hafotse8.
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Éloignement de la culture originelle
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5
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Izao aba ty angataheñe ama’o, amin’Andrianañahare, hahasoa aze, hahatsara aze.
Hihinañe ty raha tsy nikamae ty razañe io, hihinañe ty raha tsy ni… e izao, tsy nikamae ty razañe añe ela, haehae. A lehe vaho eto ho kamae’e aby zay, ama ty vazaha añe, tsy ho tahi’e, tsy ho hakeo’e, fa hahasoa ty havelo’e, hahasoa ty fiaiña’e.
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C’est cela que nous te demandons, père, que nous demandons à Dieu, pour qu’il soit doublement bien.
Il va manger ce que les ancêtres n’ont pas mangé, il va manger ce que ne … et oui, ce que les ancêtres de tous les temps n’ont pas mangé, du plus loin que portent les connaissances. Mais maintenant, il va manger tout cela, chez les Blancs, que cela ne soit pas pour lui une source de blâme ni de tort, mais que cela soit bon pour son bien-être, pour sa vie.
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Bénédiction selon les cérémonies ancestrales
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6
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Izao ty angataheñe am’o vositse aman-tamanañe o aba ; angataheñe am’o vositse aman-tamanañe o Andrianañahare. Fa ihe Andrianañahare ty namboatse ty havelo ty olombelo. A fa raha namboara’o aze ty fivavaham-po tsy raha foroñeko. Namboara ty razañe ama ty rae ty añombe ama ty toake, io ty nifitahia ty razañe ama ty rae.
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Voici ce que nous demandons avec ce zébu castré et ce zébu femelle, père ; ce que nous demandons avec ce zébu castré et ce zébu femelle, Dieu9. Car c’est toi Dieu qui a créé la vie des humains. Tu les as créés pour la prière, ce n’est pas moi qui invente cela. Les ancêtres et les pères ont fait les zébus et le rhum, ceux-ci leur ont servi pour faire les bénédictions.
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7
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Izao ro angatahañe aze am’io. Tsy hisy mahadiso, tsy hisy mahaota, tsy hisy hampitrekotreko ty havelo’e. Izao ty angatahañe aze aba, izao ty angatahañe aze ene. Hahasoa aze, hahatsara aze.
[Antety kahe (ailiñe an-doha i tataeñe y ao i toake y)].
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Voici ce qui est demandé pour lui avec [ces zébus]. Que rien ne le mette dans ses torts, que rien ne le souille, que rien ne perturbe son bien-être. Voilà ce qui est demandé, pères, voilà ce qui est demandé, mères10. Pour qu’il soit doublement bien.
[Verse sur sa tête11 (le rhum est versé sur la tête de celui pour lequel la bénédiction est demandée)].
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Préservation de l’unité culturelle
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7/Io ro tso-drano aze. Toake ! … Hañonjone ty havelo’e toy ! Ampañonjono ty raha tea’e, hirie’e. Ko asalasala iareo, tsy hifanakalo holitse iareo. Na i mianatse atimo, na i mianatse avaratse, na i mianatse ahandrefa, tsy hisy hifanakalo holitse. Tsy vaho o fa eto o, fa ndra ty tsy eto, le sambe hahazo ze raha irie’e, hahazo ze raha hosambore’e, hahazo ze raha ilae’e.
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Nous le bénissons avec cela. Du rhum !… Que ceci augmente son bien-être ! Fais que ceci apporte ce qu’il aime, ce qu’il désire. Fais qu’on ne lui manifeste pas de la réserve, qu’ils ne s’échangent pas la peau12. Qu’il étudie dans le Sud, qu’il étudie dans le Nord, qu’il étudie dans l’Ouest, que personne ne s’échange la peau. Non seulement ceux qui sont présents ici, mais également les absents, que tous ils obtiennent tout ce qu’ils désirent, qu’ils attrapent ce après quoi ils courent, qu’ils trouvent ce qu’ils cherchent.
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9
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Hanao izay ka o eto o : miarak’añombe eto, miara-tsarake eto, miava eto. Tsy hisy hifañiry, tsy hisy hifanakalo holitse fa… Ho ongongo moly aby, tsiriry miampane, kiakiake hivere, toboly am-pase, toboke manañ’arivo, mandeha manan-jato, midiam-bolafotsy, mie-bolamena. Tsy hitsara raha tsy volamena, tsy hitsara raha tsy volafotsy. Tohizo aba ty haveloñe toy, tohizo amin’Andrianañahare, zakao handro, zakao hale.
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Il en sera de même pour ceux qui restent : ceux qui gardent les zébus ici, ceux qui gardent les veaux ici, ceux qui travaillent la terre ici. Qu’ils ne soient pas envieux les uns des autres, qu’ils ne s’échangent pas la peau… Qu’ils soient comme les oiseaux ongongo qui rentrent en groupe, tels les oiseaux tsiriry qui volent partout mais qui reviennent tôt ou tard ; tombant sur du sable quand besoin de s’asseoir ; assis, possédant des milles ; marchant, possédant des cents ; portant une ceinture en argent, mais aspirant à l’or. Ne parlant pas de ce qui n’est pas en or, ne parlant pas de ce qui n’est pas en argent. Poursuis, père, ce qui nous apporte tant de bien-être, poursuis auprès de Dieu, parles-en le jour, parles-en la nuit.
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TSIFOMBOA
Solapa 30/12/1982
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TSIFOMBOA
Solapa 30/12/1982
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Conclusion
Dans la mesure où il réunit les deux modalités de communication, l’oralité et l’écriture littéraire, l‘ouvrage de François Benolo est inhabituel dans le domaine de la littérature orale. Cette association s’explique certainement par un souci d’authenticité et d’attestation sur sa connaissance de la langue. Par ailleurs, l’écriture des poèmes par l’auteur témoigne du potentiel d’une langue minoritaire et non étudiée d’ « accéder » à l’écriture.
L’une des questions qui se pose à travers cet ouvrage : comment rendre compte de toutes les littératures orales, en l’occurrence de celles attestées à Madagascar. Quel qu’en soit le cas, la méthodologie de la collecte a des incidences sur les textes. L’état de l’art d’une littérature orale donnée doit comprendre une revue critique des méthodes de collecte et d’édition mises en œuvre. François Benolo inscrit son travail dans la tradition des missionnaires. Un cadre différent, favorisant la recherche scientifique et l’édition de la littérature orale, peut-il être construit ? Dans quelle mesure la recherche universitaire peut-elle s’investir dans ce domaine ?
Références bibliographiques
ANDRIAMAMPIANINA, Hanitra Sylvia (2024), Littératures de Madagascar : oralité et scripturalité, Moroni, KomEDIT, 191 p.
BAUMGARDT, Ursula (2000), Une conteuse peule et son répertoire Goggo Adddi de Graoua, Cameroun, Paris, Karthala, 548 p.
BAUMGARDT, Ursula & DERIVE, Jean (dir.), (2008), Littératures orales africaines : perspectives théoriques et méthodologiques, Paris, Karthala, 439 p.
BENOLO, François (1989), Korojy i Ndroike (Talily – Hilala ntandroy), Saint Lazare Paris VIe, 169p.
CORINUS, Véronique (2021), Le répertoire du conteur Félix Modock Petit Planteur antillais (1885 – 1942), Paris, Karthala, 492 p.
GÖRÖG-KARADY, Veronika (1991), Contes d’un Tsigane hongrois. Janos Berki raconte…, Paris et Budapest, Éditions du CNRS et Maison de l’Académie des Sciences d’Hongrie, 253 p.
MARIOTTI Martine (1988), Marie Nicolas, une conteuse en Champsaur, Thèse de 3ème cycle, Université de Provence, 2 tomes, 422 p.
MILÉBOU NDJAVÉ, Marlène Kelly (2016), Performances de Brice Senah Ambenga, un conteur orungu du Gabon, en situation d’oralité première et de néo-oralité, Thèse, INALCO, Paris, volume 1 : Analyse, 334 p. ; Volume 2, Corpus, 193 p.
NOYE Dominique ((1982), Contes peuls de Bâba Zandou, Paris, CILF, 176 p.
NOYE Dominique (1083), Bâba Zandou raconte. Contes peuls du Cameroun, Paris, CILF, 153 p.
RAKOTOZAFINDRASAMBO Paul Jean-Samuel (2022), « Madagascar : histoire et défis d’avenir du système éducatif malgache », Revue internationale d’éducation de Sèvres, N°89, pp. 24-30.
SOLOFOMIARANA RAPANOËL Allain Bruno (2008), « Les problèmes de la langue d’enseignement à Madagascar : les dysfonctionnements de la loi 94-033 », Kabaro, revue internationale des Sciences de l’Homme et des Sociétés, Interethnicité et Interculturalité à l’île Maurice, IV (4-5), pp. 153-171.
Notes:
1 Voir pour les questions de méthodologie générale, Ursula Baumgardt et Jean Derive, 2008.
2 BENOLO, François, 1989, Korojy i Ndroike (Talily – Hilala ntandroy), Saint-Lazare Paris VIe, 169 p.
3 Depuis 1975, avec la Charte de la révolution socialiste, la malgachisation de l’enseignement est prônée, et le malagasy ou malgache devient également langue d’enseignement. Pour approfondir la question au sujet de la problématique des langues d’enseignement à Madagascar, lire Paul Jean-Samuel Rakotozafindrasambo, 2022, « Madagascar : histoire et défis d’avenir du système éducatif malgache ». Lire également Allain Bruno Solofomiarana Rapanoël, 2008, « Les problèmes de la langue d’enseignement à Madagascar : les dysfonctionnements de la loi 94-033 ».
4 Voir pour plus d’informations sur la littérature orale ntandroy, Hanitra Sylvia ANDRIAMAMPIANINA, 2024.
5 Traduction de Hanitra Sylvia ANDRIAMAMPIANINA
6 Le terme « aba » traduit « père » renvoie ici à un parent disparu, devenu ancêtre, et auquel on demande la bénédiction pour le fils de la famille.
7 Détenteur du poteau sacrificiel, et donc du pouvoir sacré. Celui qui n’est ni le hazomanga des ancêtres, ni celui pour lequel la bénédiction est demandé est Jésus, considéré ici comme le hazomanga des Blancs, et que le futur prêtre va prendre comme nouveau hazomanga.
8 Hafotse : écorce de baobab.
9 Le zébu castré et le zébu femelle sont ici les animaux apportés en offrande pour la demande de bénédiction.
10 « Pères » et « mères », mots ici utilisés pour s’adresser à l’assistance.
11 L’orateur officiant s’adresse à un servant.
12 Qu’ils s’apprécient.