Ajọ obi

 

Ajọ obi  —  Un Mauvais cœur

de Gabriella Nwaozuzu

 

 

Mots-clés:   igbo, écriture littéraire, pièce de théâtre.

 

Edition du corpus:

Traduction et rédaction de la notice:  Françoise Ugochukwu

 

Contexte:  Le récit se déroule à Owerri, capitale de l’État d’Imo, dans le milieu des affaires si familier aux Igbo, dans la région d’où est originaire l’auteure. Le texte originel (171 p.) a été publié par Format Publishers en 1998 à Enugu (Nigéria).

 

Descriptif:

Ajo Obi (1998) se distingue par un scénario différent des autres. Son originalité est d’abord dans le sujet, nouveau dans la littérature igbophone : une sombre histoire de vengeance posthume à Owerri, capitale de l’État d’Imo, dans le milieu des affaires par ailleurs si familier aux Igbo, Cette pièce en quatre actes, qui peut aussi se lire comme un plaidoyer pour les veuves, entraîne le lecteur dans les méandres d’une enquête policière autour du corps d’un homme d’affaires qui semble s’être suicidé chez lui sans motif apparent. Ce drame de la jalousie, né d’une dispute entre deux amis et associés dont l’un accuse l’autre, encore célibataire, d’avoir une liaison avec son épouse, aboutit à la découverte du corps du mari. L’attente se prolongera jusqu’à la fin de la pièce, soigneusement entretenue par questionnements, cancans et suppositions. La dernière scène ramène le sujet dans le giron de la tradition morale du conte – et aujourd’hui des vidéo films igbo – en remettant les choses en ordre : la jalousie maladive et le stratagème du défunt, qui a organisé son suicide après avoir soigneusement mis en place un scénario qui devait venger son honneur offensé et faire accuser son associé du ‘crime’, sont révélés et l’accusé lavé de tout soupçon.

 

Références:

    • Ajo Obi, Enugu, Format Publishers 1998, 171p. (Texte igbo)

 

Bibliographie:

    • Françoise Ugochukwu (2013):  « Gabriella Ihuarugo Nwaozuzu et le théâtre policier igbo », in Béatrice Didier, Mireille Calle-Gruber & Antoinette Fouque (eds) Dictionnaire des créatrices, Paris, Editions des Femmes,  p.3222

 

 


 

 

AJỌ OBI  —  Un Mauvais cœur
Extrait
OKWU MMALITE   —  Introduction

 

 

 

Mgbe onye gị na ya so na-achụ mmụọ bidoro na-asịzi na ị na-esi mmụọ mmụọ mmadụ etosighị ịgwa gị ka ị gbawakwa ka ụkwụ gị nwere ike ibunwu gị.

Quand celui avec qui tu suivais les esprits se met à dire que tu sens [mauvais] comme les mauvais esprits, personne ne devrait avoir besoin de te dire de t’enfuir aussi vite que tes jambes peuvent te porter.

Obi mmadụ dị aghụghọ.

Le coeur humain est perfide.

Ụfọdụ oge ọ na-eduzi, mgbe ọzọ o duhie.

Quelquefois il te conduit, d’autres fois il t’induit en erreur.

Onye gwara Maazi Onyema na enye ya nwoke Ezenwata onye a na-etu Osisinaamịego, na adịnamma ha ga-adapụta nnukwu ọdachi, ha agareghị ekwe.

Si quelqu’un avait dit à Onyema et son ami Ezenwata, qu’il saluait du nom d’Osisinaamiego [l’arbre qui produit de l’argent], que leur amitié allait très mal finir, ils ne l’auraient pas cru.

Ma etu ahụ ka o sizi di.

Mais c’est exactement ce qui s’est passé.

Françoise Ugochukwu

Yarintata

 

Yarintata
Mon enfance

(Récit de vie)

 

Fiche libraire

 

Auteur

Fatimane MOUSSA-AGHALI

Titre

Yarintata [Mon enfance]

Éditeur

Ellaf Éditions

Lieu

Lagny sur Marne (France)

Pagination

76 pages : pp. 1-62, texte haoussa ; pp. 63-76, résumé

Langue

haoussa

Format

12 cm x 18 cm

ISBN

978-2-491422-03-5

Date de parution

26/03/2021

Date de dépôt légal

26/03/2021

Descriptif

Récit de vie racontant l’enfance d’une fille de fonctionnaire touareg à travers le Niger

Mots-clés

haoussa, Niger, Nigeria — écriture littéraire ; récit de vie — enfance ; scolarité de filles

Présentation

Le livre

Fatimane Moussa-Aghali évoque dans ce récit les souvenirs de son enfance, ses jeux, son entrée à l’école française et le difficile parcours scolaire qu’est le sien, celui d’une fillette touarègue au Niger.

La première édition du récit a paru dans la revue Binndi e jaŋde en 1982 et 1983. Le récit a été ensuite repris en 2000 par les éditions Albasa à Niamey.

L’auteure

Fatimane Moussa-Aghali est née à Bonkoukou au Niger. Elle vit actuellement en France. Après avoir étudié à l’INALCO le touareg, le peul et le haoussa, elle soutient, à l’Université de Paris III, une thèse de doctorat sur cette dernière langue, à laquelle elle a consacré un ouvrage et des articles. Aujourd’hui, elle écrit des contes en haoussa à l’intention du public scolaire.

La langue

Le haoussa est l’une des principales langues africaines. Il est parlé par une soixantaine de millions de locuteurs, principale­ment au Nigeria et au Niger, et dans les États qui leur sont limitrophes.

Voir : http://ellaf.huma-num.fr/litteratures/litterature-en-haoussa/

 

 

Lire le livre en ligne

 

Yarintata Intérieur 20210315 bis

Keenge / Kéngué II

 

 

Keenge Kuruntu na Keenge Leeke / Kéngué Kourountou et Kéngué Léké

 

 

 

Mots-clés

kikongo, lari, (láari, laari, kilaadi) ; République du Congo ; Congo-Brazzaville — oralité, conte, nsamu — manque d’enfant ; conflit entre deux sœurs, sororicide ; apparition

Production du corpus

Conte en quatre épisodes dit par Chrysogone Diangouaya.

Chrysogone Diangouaya est né en 1967 en République du Congo (Congo-Brazzaville). Il vit actuellement à Paris, où il est directeur du centre de danse qui porte son nom, dans le 18e arrondissement. Chrysogone Diangouaya est chorégraphe, comédien et conteur. Il a réalisé ou participé à plusieurs spectacles de danse. Il a interprété des rôles dans un grand nombre de pièces de théâtre, dont certaines montées ou créées par lui. On peut citer parmi ses créations Le cri de la girafe, qui est un conte dansé et chanté pour le jeune public (Théâtre Daniel Sorano à Vincennes et Le Théâtre de la Ville à Paris, 2012 à 2019).

Collecte

Auto-enregistrement réalisé en continu le 16 mai 2020, sans auditoire, à la demande de Raphaël Otho.

Édition du corpus

Transcrit et traduit par Raphaël Otho. Un glossaire réunissant les interjections et quelques noms maintenus dans la traduction sera donné ultérieurement.

Résumé de l’épisode 2

Kéngué se marie. Elle a deux enfants, deux filles : l’aînée, Kéngué Kourountou, et la cadette, Kéngué Léké.

Les deux sœurs grandissent. Elles se marient. Kéngué Kourountou n’a pas d’enfant. Kéngué Léké a une fille, Kiminou. Kéngué Kourountou est jalouse de sa sœur. Un jour, elle lui propose d’aller rendre visite à leurs parents, comme elles le font habituellement. Kéngué Léké accepte. Elle laisse sa fille auprès de son mari.

Elles traversent une rivière sur une passerelle. Arrivées au milieu de la passerelle, Kéngué Kourountou pousse Kéngué Léké dans l’eau et continue son chemin seule. Elle arrive chez ses parents. Ceux-ci lui demandent où est sa sœur. Elle dit que Kéngué Léké a rebroussé chemin en cours de route.

Longtemps après, des pêcheurs entendent une voix de femme à l’endroit où Kéngué Léké avait été précipitée dans la rivière. On interdit de pêcher à cet endroit. Kéngué Léké apparaît en rêve à un villageois, elle demande que l’interdit soit levé.

 

 


 

Keenge Kuruntu na Keenge Leeke / Kéngué Kourountou et Kéngué Léké

 

 

 

 

 

Ekaa ! bilumbu biyookele.

Ekaa ! les jours passèrent.

 

Ɣa ɣata bazeebi tsi Keenge keeri.

Dans le village, les gens étaient au courant du retour de Kéngué.

 

Samu wuuna mpe baluunda wo kwa.

Ils n’en avaient plus parlé.

 

Ekaa ! babakala bavutu kwiiza, kabavutu a kwiiza ko ?

Ekaa ! les hommes qui n’allaient pas venir, n’étaient-ils pas venus1 ?

5

Biiziri, ni mwiizu beka ta kwiiza.

Ils étaient venus et ils ne faisaient que venir.

 

Maama Solola teele tsi :

Maman Solola dit :

 

« Ah ! Keenge mitutuuriri mia mweeni.

« Ah ! Kéngué, tu sais ce qui nous est arrivé.

 

Buubu ah ! Bubeelo ko nga taboonga bakala dio dituzeebi kaanda.

Cette fois-ci, ah ! on prendra un homme dont on connaît la famille.

 

Dio dituzeebi mvila na miamanso na kwe batuuka.

Celui dont on connaît le village et dont on sait d’où il vient.

10

— Ekaa ! maama ni bo kwa tusa.

— Ekaa ! c’est comme ça qu’on va faire, maman.

 

Eh ! ndemvokela mu mio miayookele eh ! »

Eh ! pardonne-moi pour tout ce qui s’est passé eh ! »

 

Keenge toondele kwaandi.

Kéngué remercia ses parents.

 

Ekaa ! bee boonga ta Badiinga.

Ekaa ! ils allèrent chercher papa2 Badinga.

 

Ta Badiinga kayiza ɣaana.

Papa Badinga vint.

15

Ekaa ! bateele tsi : « Ekaa ! Keenge, ta Badiinga yandi tuzeebi ni yaandi kwa, na yaandi kwa lweka kweelana eh ! »

Ekaa ! ils dirent  [à Kéngué] : « Nous connaissons papa Badinga, tu vas donc te marier avec lui eh ! »

 

Ekaa ! Basiingase loongo luuna mpe eh ! Bakweelane mpe loongo bubeele mpe mwamansoni ih ! Baawu beele mpe ih !

Ekaa ! ils se mirent d’accord pour le mariage eh ! ils se marièrent devant tout le monde ih ! Ils partirent [s’installer] ih !

 

Ah ! Kani bavutu ba ɣo tsibelo ɣo kaani, ba baɣeeni tsibelo tsiakaka.

Ah ! au lieu de rester dans le même village, on leur donna un autre endroit.

 

 

 

 

Lweeka lwa lubakala, bayenda kuuna ih ! ni kuuna baye tuungila.

À droite du village, c’est là-bas qu’ils allèrent ih ! construire leur maison.

 

Batuungiri kuuna, bii buta baala boole.

Ils construisirent leur maison et eurent deux enfants.

20

Bubabutiri baala boole, wa ntete baɣeeni Keenge Kuruntu,

Ils eurent deux enfants, [deux filles], ils appelèrent l’aînée Kéngué Kourountou,

 

wa zoole Keenge Leeke.

la sœur cadette Kéngué Léké.

 

Ekaa ! mu kwe kuri, mu kwe kuri baala.

Ekaa ! les enfants grandissaient, elles grandissaient.

 

Mu kwe saansi, mu kwe saansi baala.

Les parents les élevaient, ils les élevaient.

 

Mu kwe kuri, mu kwe kuri baala.

Les enfants grandissaient, elles grandissaient.

25

Mu kwe saansi, mu kwe saansi baala.

Les parents les élevaient, ils les élevaient.

 

Hein ! Keenge Kuruntu kuriri.

Hein ! Kéngué Kourountou grandit.

 

 Keenge Kuruntu ah ! diingiri mu kweela, kweela beka mukweela.

Kéngué Kourountou ah ! voulait maintenant se marier, on allait la marier.

 

Keenge Kuruntu bamukweelele.

Kéngué Kourountou, on la maria.

 

Bakiri bakala mpe, bakala mpe eh eh ! ni mo ka kwe saansi yandi m’keento.

Oui, elle eut un homme qui eh eh ! s’occupait bien d’elle.

30

Babeele, babeele, ekaa ! yandi Keenge Kuruntu mu baka zimi mwa ah ! mwa matapari, mwa mpasi.

Ils vivaient ainsi, ils vivaient ainsi, ekaa ! Kéngué Kourountou, pour ce qui était de grossesse ah ! c’était compliqué, ce n’était pas facile.

 

Ekaa ! na maboonzo beri kwe baangi, maboonzo ma Umba hein ! bakwe muɣaani maboonzo, mwa mpasi.

Ekaa ! on lui donnait toutes sortes de décoctions, telles que celle d’Oumba hein ! on les lui donnait, mais rien.

 

Ekaa ! yandi Keenge Leeke, ni kuna keri kwe bakisa yaaya, kwe bakisi yaaya.

Ekaa ! Kéngué Léké allait là-bas pour prêter main-forte à sa sœur aînée, pour prêter main-forte à sa sœur aînée.

 

Ah yaaya ! Babeele, babeele, Keenge Leeke mwaana bisalu.

Ah yaaya !  ils vivaient ainsi, ils vivaient ainsi, Kéngué Léké travaillait beaucoup.

 

Eh ! mwaana wa bisalu !

Eh ! elle aimait vraiment travailler !

35

Eh ! mwaana taambula, mwaana dia.

Eh ! l’enfant qui obéit, c’est celui-là qui a droit à la nourriture3.

 

Yaandi ni buuna.

Elle était ainsi.

 

Eh ! tsidzuunu tsia tsiingi.

Eh ! elle était très obéissante.

 

Batambila, Keenge taamburi, we sala.

On l’appelait, elle acceptait [de faire ce qu’on lui demandait de faire] et elle partait le faire.

 

Ni keri kwe bakisa kuuna.

Elle se rendait chez sa sœur pour l’aider.

 

 

 

40

Ekaa ! yaandi mpe kuriri, yaandi mpe kweelele.

Ekaa ! elle aussi avait grandi et elle s’était également mariée.

 

Bukakweelele hein ! tsi ka sa ?

Maintenant qu’elle s’était mariée hein ! qu’allait-elle faire ?

 

Yaandi weele kuna loongo luuna lwa yaandi kuna mpe hein !

Elle alla s’installer dans son foyer hein !

 

baɣaambane beka wakaa ekune, wakaa ekune.

Elles étaient séparées, l’une était ici, l’autre était là-bas.

 

Kaa ! Keenge Leeke, buuna kwa ke tuula kuna kwe bakala kuuna,

Kaa ! Aussitôt arrivée chez son mari,

45

Ah ! kaziingiri a ko, namini.

Ah ! Kéngué Léké ne mit pas du temps, elle tomba enceinte.

 

Bukanamimi ih !

Étant tomba enceinte ih !

 

wi buta mwaana.

elle eut une fille.

 

Ɣeeni mwaana nkuumbu Kiminu.

Elle l’appela Kiminou.

 

Ekaa ! Kiminu mpe mwaana wa toma !

Ekaa ! Kiminou était très belle aussi [comme sa mère] !

50

Ekaa ! na mwaana, ntaangu za kaka weele, neeki wee soongela mwaana kwe bankaaka.

Ekaa ! elle allait de temps à autre montrer l’enfant à ses grands-parents [paternels].

 

Wee soongela mwaana mpe kwe bataata na maama.

Elle allait également montrer l’enfant à son père et à sa mère.

 

Ih ! ntaangu za kaka yookele kuuna kwe yaaya.

Ih ! Elle passait parfois chez sa sœur aînée.

 

Ekaa ! yaandi yaaya, ka kwe mona yaandi Keenge,

Ekaa ! la sœur aînée, en voyant sa cadette,

 

[kamona] yaandi wa leeke na mwaana.

[elle voyait que] sa cadette avait une enfant.

55

Yaandi ku mutsima diki diyookele na keta.

Elle, dans son cœur, elle était furieuse.

 

Yaandi wa leeke, keri a zaaba ko, Keenge Leeke.

Sa sœur cadette, Kéngué Léké, ne s’en rendait pas compte.

 

Ka kwe kipi yaaya, ka kwe mukipi, biabianso, biabianso.

Elle s’occupait de sa sœur aînée, elle s’occupait bien d’elle.

 

Ekaa ! kasa laamba ntaangu za kaka,

Ekaa ! quand elle cuisinait,

 

We ɣaana biima kuuna kwe bankaaka na kwe bamaama.

Elle apportait à manger aux grands-parents et aux mamans.

60

Keenge Leeke nibo keri saaka.

C’était ainsi qu’elle faisait, Kéngué Léké.

 

Nga Keenge Kuruntu mu diki kwa dio, yaandi bisalu asikiii mpiaa ! kasalaka andi ko.

Quant à Kéngué Kourountou, elle ne travaillait pas.

 

Yaandi budimbu mpasi.

Elle était paresseuse.

 

Ni mayela keri kwe diingi ngaatsi kakaangisa Keenge Leeke munwa.

Elle cherchait comment faire pour montrer à Kéngué Léké ce dont elle [Kéngué Kourountou] est capable4.

 

 

 

 

Babeele, babeele, bilumbu biayooka ekaa ! ngoonda mpe zayooka.

Ekaa ! elles vivaient ainsi, elles vivaient ainsi, les jours passèrent ekaa ! les mois passèrent.

65

Keenge Leeke ntaangu zakaka kasa laamba biima si yooka kuuna kwe yaaya.

Il y avait des moments où Kéngué Léké faisait la cuisine et apportait [à manger] à sa sœur aînée.

 

[Lumbu tsimosi, teele kwe Keenge Kuruntu :] « Yaaya, twe tatala bamaama eh ! »

[Un jour, elle dit à Kéngué Kourountou :] « Grande-sœur, allons voir les parents eh ! »

 

Yeh ! beele.

Yeh ! les voilà parties.

 

Ah ! kaa ! ntaangu zakaa, yaandi budimbu bwa bwiingi bwe naandi keri andi zolo keendi ko.

Ah ! kaa ! la grande-sœur était paresseuse et n’aimaient pas aller chez leurs parents.

 

Kariri kwaandi hein : « Ah ! eh ! me nikweendani ko eh !

Elle dit non hein : « Ah ! eh ! je ne veux pas y aller eh !

70

Enda yende kwaaku. »

Vas-y, toi. »

 

Eh ! lumbu tsiina tsia kaka, yaandi Keenge Leeke kata kwe teela yaandi yaaya :

Eh ! un autre jour, Kéngué Léké alla dire à sa sœur aînée :

 

« Yaaya tsia tweendi, me laamba ndeembi ngaatsi ta […]

« Grande-sœur, allons-y, j’ai fait à manger […]

 

— Ekaa ! na mwaana kwe nati ?

— Ekaa ! tu vas avec l’enfant ?

 

— Mwaana tasiisa wo kwa.

— Laissons l’enfant.

75

— Ambo kwe tusiisa wo ?

— Où allons-nous la laisser ?

 

— Dzeka bo, tsia keela me na kaala kuna ɣata nasiisa mwaana kwe yaandi wa bakala. »

— Dans ce cas, je repars au village laisser l’enfant auprès de son père. »

 

Yaandi, Keenge Leeke ni kavutukaala ku ɣata kasasiisa mwaana kwe bakala :

Kéngué Léké retourna donc au village laisser l’enfant auprès de son père.

 

[Teele :] « Me na yaaya tutakweenda eh ! »

[Elle dit :] « Je pars avec ma grande-sœur eh ! »

 

Bavukane ɣaana hein ! Bee ɣaana mwaana :

Ensemble, elles allèrent laisser l’enfant [auprès de son père].

80

[Keenge Leeke teele kwe yaandi bakala :] « Tsi saala na mwaana, butukweenda, nkookela mbo tukaala kwa eh !

[Kéngué Léké dit à son mari :] « Reste avec l’enfant, nous partons et nous allons rentrer le soir eh !

 

Eh ! taa diriri, mabeeni ma ngoombe ɣo kwa mena eh !

Eh ! si elle pleure, le lait est là eh !

 

— Yeh ! »

— Yeh ! »

 

Ni bayenda, ni bayenda mpaangi na yaaya.

Elles se mirent en route, elles se mirent en route, la cadette et la sœur aînée.

 

Beele, beele ekaa !

Elles partirent, elles partirent ekaa !

85

Mu tuula kuna ɣata dia taata awu, nto ye wo basabukaa.

Pour arriver au village de leur papa, il fallait traverser une rivière.

 

Ɣo nto ɣo, mukookolo we wo.

À la rivière-là, il y avait une passerelle en bois.

 

Mukookolo baye wa tuula wuuma.

La passerelle était placée quelque part.

 

Nto ya mwa ya saarila, kaa ! mukookolo wa munene.

La rivière était un peu large, kaa ! la passerelle était longue.

 

Buba ɣo, mukookolo wuuna, ɣaana ɣa baye wa tuula,

Quand tu es sur la passerelle, de part et d’autre,

90

bulu dia dinene dieri ɣaana.

il y avait un vide.

 

Eh ! ni muta tsi mu yooka ɣaana, tabi wasa mayela.

Eh ! c’est pour dire qu’il faut faire très attention en passant.

 

Ekaa ! baye tuula ɣaana,

Ekaa ! elles arrivèrent là,

 

« Ah ! kaa ! bwe tusa aah,

« Ah ! kaa ! comment allons-nous faire aah,

 

kaa ! mbe na dema ɣo ɣe naaku nge Keenge.? »

avec la charge que tu portes, Kéngué ? »

95

Ni Keenge Kuruntu ta ta kwe Keenge Leeke :

C’était Kéngué Kourountou qui parlait à Kéngué Léké [et qui lui dit] :

 

« Dema ɣo ɣenaaku ngaatsi ka bubeele a ko, ɣaana me naboonga mwaatu. 

« [Avec] la charge que tu portes, peut-être que tu ne pourras pas traverser, donne-moi ça. 

 

Tsitunga tsio na tuula ɣa mutu, nge bo we teekele. 

Laisse-moi porter le panier sur la tête, tu passes devant.

 

Mu buungu tsi me nitu manene, nge wa fiooti wa toko kwe teekele eh ! »

Moi, je suis grosse, toi, tu es mince. Passe donc devant eh ! »

 

Ekaa ! Keenge Leeke mpe kakolamane a ko, taamburi.

Ekaa ! Kéngué Léké ne refusa pas, elle accepta.

100

Ni tsitunga kaɣeeni kwe yaandi yaaya.

Elle donna le panier à sa grande-sœur.

 

Yaaya boongele tsitunga hein ! siiri a mutu.

Sa grande-sœur prit le panier hein ! et le mit sur la tête.

 

Bata kwe yende, kwe yende, bata kwe yende, yaandi ni ɣa manima kata kwe laandi yaandi mpaangi.

Elles marchaient, elles marchaient, elle [Kéngué Kourountou] était derrière sa sœur cadette.

 

Ka kwe laandi ah ! batuuriri ɣa na kati-kati ɣaana.

Elle marchait derrière [sa sœur cadette] jusqu’à arriver au milieu de la passerelle.

 

Keenge Kuruntu bo kaboongele yaandi mpaangi, ni boo ! mu maamba na woo !

Kéngué Kourountou poussa sa sœur cadette boo ! dans l’eau woo !

105

Ni bukata : « Eeh ! me nibwa !… »

Elle cria : « Eeh ! je vais tomber !… »

 

Keenge Leeke mu maamba buu!

Kéngué Léké tomba dans l’eau buu !

 

Bo kapupa ɣo kaka !

Elle s’agitait kaka !

 

Yambukiri.

Elle était en train de se noyer.

 

Kapupa ɣo ni yaandi ta ta :

Elle s’agitait en disant :

110

« Yaaya mboonga eeh ! yaaya kapupa bo. »

« Grande-sœur, rattrape-moi eeh ! »

 

Hum ! kabuta vutu ba ko, yambukiri.

Hum ! ça n’allait plus, elle s’était noyée.

 

Ah ! Keenge Kuruntu kani bidilu, kani mbeembo.

Ah ! Kéngué Kourountou n’avait pas pleuré, elle n’avait même pas réagi.

 

Hum ! samu andi ntama kawaaya wo.

Hum ! elle l’avait prévu.

 

Ih ! ni nzila kaboongele, ni mukookolo kasabukiri, ni kwe bamaama keele.

Ih ! Elle traversa la passerelle et se rendit chez sa mère.

115

Kee tuula kwe bamaama kuuna, [maama mu yuuriri :]

Arrivée chez sa mère, [celle-ci lui demanda :]

 

« Eh ! ebwe bateele ?

« Eh ! qu’est-ce qu’on dit ? 

 

Eh ! Keenge Kuruntu bwe kwa bateele ?

Eh ! Kéngué Kourountou, qu’est-ce qu’on dit ?

 

— Ah ! beeno kwa nsiri tala ɣa.

— Ah ! je viens juste vous voir. 

 

Eh ! dianzeenza hein !

Eh ! c’est étonnant hein !

120

Ambo kaa ! mpaangi a ku ?

Kaa ! où est ta petite-sœur ? 

 

A bo lutokokwiiza na mpaangi a ku lukwe yende.

Vous avez l’habitude de venir ensemble.

 

— Ah ! Twiiziri nzila mosi ka butwiiziri, ni mwaana kata vutu beele lwaaka, ni kakeeri kwaandi.

— Ah ! en route, elle s’était inquiétée de l’enfant et elle avait rebroussé chemin.

 

Kuuna kwe bakala kavutulu kaala kuuna, buungu mwaana kasi siisa.

Elle était repartie chez son mari parce qu’elle [lui] avait laissé l’enfant.

 

Katamona tsi ah ! Mwaana tsia wa saala diri, ni kakeeri kwaandi.

Elle ne voulait pas que l’enfant pleure, c’était pour cette raison qu’elle était repartie.

125

Me tsiaangu ndiiziri ku eh !

C’est pour cela que je suis venue ici eh !

 

— Ambo bi biima, ni nge leembi bio ?

— Est-ce toi qui as préparé cette nourriture ?

 

— Ih ! me nzirikiri biabianso.

— Ih ! C’est moi qui ai tout fait.

 

— Eh ! eh ! maama, eh ! Keenge Kuruntu, eh ! maama soba ta kwe sobe eh !

— Eh ! eh ! Kéngué Kourountou eh ! tu commences à changer eh !

 

Eh ! kaambe nzaambi wa munene ! »

Eh ! Dieu est grand ! »

130

Badiiri ɣaana, bamokene. [Keenge Kuruntu teele :]

Ils causèrent, ils mangèrent. [Kéngué Kourountou dit :]

 

« Ah ! kaa ! me kaala kwaani nzeka kaala eh !

« Ah ! kaa ! je dois rentrer.

 

— Ekaa ! tsia kaala, nzila ya mbote ! »

— Ekaa ! rentre bien et bonne route ! »

 

Bamuyirikiri mpe mwa tsulu ɣaana mpe :

Ils lui donnèrent des choses [à emporter] :

 

« Ah ! kani mwa nkaba zi we nati eh !, ngaatsi mu nzila kwe za diiri eh ! »

« Ah ! prends ces tubercules, tu pourras les manger en route. »

135

Kaboongele, kakeeri kuuna ɣata kuuna woo ! weele zakala kwaandi.

Elle les prit et elle rentra calmement au village woo ! elle alla s’asseoir.

 

Yandi bakala kuuna, bakala dia Keenge Leeke, kakeela, kakeela mpiimpa yi fweeni.

À la tombée de la nuit, le mari de Kéngué Léké attendit en vain [le retour de sa femme].

 

[Ni kata :] « Ambo kaa ! bwe nisa, mwaaana bidilu, mwaana mpiimpa ya nkaaka dila na dila ?

[Il disait :] « Kaa ! l’enfant n’a pas arrêté de pleurer toute la nuit, comment vais-je faire ?

 

Maamee ! We seekela kwa kuuna ?

Maamee ! Va-t-elle dormir là-bas ?

 

Ngaana samu kwa wu yookele kuuna ?

S’est-il passé quelque chose là-bas ?

140

Ngaatsi samu kwa.

Peut-être qu’il y a eu un problème.

 

Ah ! yaaya ! Ngaatsi samu wa munene kwa wubwiiri kuuna.

Ah ! yaaya ! Peut-être qu’il y a eu un problème grave là-bas.

 

Mbo kaseekele a ku ko ni bwe ? »

Comment se fait-il qu’elle ne rentre pas dormir ? »

 

Yaandi mubaka tolo, mpiimpa ya nkaaka kabaka tolo ko.

Il n’arrivait pas à dormir.

 

Pari na pari kaboongele mwaana, ni kwe Keenge Kuruntu.

De bon matin, il prit l’enfant et il alla droit chez Kéngué Kourountou.

145

Ke tuula kuuna, ah ! Keenge Kuruntu :

Arrivé là-bas, il demanda à Kéngué Kourountou :

 

« Nge ku kwaku wena ?

« Es-tu en paix ?

 

— Yeh !

Yeh !

 

— Ambo kaa ! mpaangi aku ?

— Où est ta petite-sœur ?

 

— Ah ! Mpaangi bu tayele, bu tayele, mu nzila, waye kaarila mu nzila mwaana kabele kwe bingiri kooko.

Ah ! nous nous étions mises en route pour venir quand, soudain, elle rebroussa chemin à cause de l’enfant.

150

Ah ! Me nitabaanza ka mpe koteleke. 

Ah ! je pensais qu’elle était déjà rentrée.

 

— Tabaanza koteleke ?

— Tu crois qu’elle est rentrée ?

 

Nzila mosi layele, ntsia faso tabanzila koteleke ?

Vous étiez parties ensemble, comment penser qu’elle était rentrée ?

 

— Ekaa ! Me nibo nzaabiri wo.

Ekaa ! c’est ce que je pensais.

 

— Kabulendi a bwa ba ko.

— Ça ne peut pas être ainsi.

155

Katoko a yendila bo ko, zena nzaatulu za Keenge Leeke ko. »

Elle n’est pas comme ça, ce n’est pas dans les habitudes de Kéngué Léké. »

 

Beele kuuna ɣata diina dia bamaama ngaatsi ni ko kwa ke.

Ils allèrent au village de leur maman, peut-être qu’elle était resté là-bas.

 

Bamaama bateele :

Les femmes dirent :

 

« Ih ! ambe yaandi, yandi kaka wiiziri ku, katuzeebi a ko […]. »

« Ih ! on ne sait pas, elle était venue ici toute seule […]. »

 

Oh ! maamee ! lumbu tsio tsiyookele.

Oh ! maamee ! Ce jour-là passa.

160

Beele na te kuuna kwe bankaaka.

Ils allèrent jusque chez les grands-parents.

 

Kwe bankaanka Solola na bankaanka Munsambote.

Chez la grand-mère Solola et le grand-père Mounsamboté.

 

Be tuula kuuna : eh ! Kena ku ko.

Ils arrivèrent là-bas : elle n’était pas là.

 

Maamee ! Ekaa ! Ni bwe beka sa ?

Maamee ! Ekaa ! comment allaient-ils faire ?

 

Bata kaala ɣaana, badiinga eh !, badiinga eh !,

Ils étaient repartis pour chercher eh ! chercher eh !

165

Eeeh ! Badiinga eh, badiinga eh !

Eeeh ! Ils cherchèrent eh ! ils cherchèrent eh !

 

Ah ! Maama ! Samu weka…

Ah ! Maama ! Le problème était très grave.

 

Ekaa ! Keenge kabata vutu mumona ko bilumbu bitatu,

Ekaa ! trois jours qu’on n’avait pas vu Kéngué.

 

Ka ni digi a ko basiiri.

On organisa la veillée mortuaire.

 

Basiiri dizi dia lombo mvuumbi.

Une veillée mortuaire sans corps.

170

Badiriri, bamaama badiriri :

Les femmes pleuraient :

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Eh ! Keenge, kilembo watala kwaaku eh kilembo !

Eh ! Kéngué, elle est belle, on a envie de la voir, eh ! belle !

 

Ah ! meeso maana, eh maama !

Ah ! ses yeux, eh ! maama !

 

Ah ! mboombo yina ah ! eh ! maama !

Ah ! son nez-là ah ! eh ! maama !

175

Eh ! Keenge, kilembo wamona kwaaku eh kilembo !

Eh ! Kéngué, elle est belle, on a envie de la voir, eh ! belle !

 

Ah ! Keenge yeeto eh ! eh ! maama !

Ah ! notre Kéngué eh ! eh ! maama !

 

Ah ! maama wayenda eh ! eh ! maama !

Ah ! maama est partie eh ! eh ! maama !

 

Ɣana dizi ɣaana, mpeeve mpe ziduukiri ɣaana, baantu babakiri mpeeve ah ! ih !

A la veillée mortuaire, Il y en avait qui tombaient en transe ah ! ih !

 

Tsi ah ! kuuma kena eh !

Ah ! elle devait être quelque part eh !

180

Ɣaana ɣa kena ɣa kaangama ɣena.

Elle devait être dans un endroit caché.

 

Ekaa ! Ni bwe ?

Ekaa ! comment ça ?

 

Tsia kuuma kena ?

Où était-elle ?

 

Badiingiri ah ! ka batamubaka ko.

Ils avaient cherché ah ! sans succès.

 

 

 

185

Ekaa ! Tsilumbu tsiayooka.

Ekaa ! Un jour passa.

 

Lumiingu luyookele.

Une semaine passa.

 

Ngoonda mpe ziyookele.

Des mois aussi passèrent.

 

Ekaa ! mwaana bakala mosi, yandi wuuna ni wa keka ta wa kuna saangi kuuna.

Ekaa ! il y avait un homme, il entendait une voix dans la forêt.

 

Mwaana bakala wo kayetuula kuuna, ni soola keri ke sole ɣa ndeeko.

Cet homme-là était allé à la pêche au bord de la rivière [dans laquelle Kégué Léké avait été poussée].

190

Bukatakwaanga, ni ko ! ko ! ko ! ni zu katawa :

Pendant qu’il pêchait, il entendit une voix ko ! Ko ! ko !

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Lukwaanga bitungu, lukwaanga bitungu

Vous qui êtes en train de couper les arbres,

 

Teela maama nguri bola

Dites à maman que mon corps commence à se décomposer,

 

Yaaya eh ! ku malele ngongongo bola yibola.

Yaaya eh ! je suis dans la souffrance,

195

Ko ! ko ! ko !

Ko ! ko ! ko !

 

Lukwaanga bitungu, lukwaanga bitungu,

Vous qui êtes en train de couper les arbres,

 

Teela maama nguri bola,

Dites à maman que mon corps commence à se décomposer,

 

Yaaya eh ! ku malele ngongongo bola yibola.

Yaaya eh ! je suis dans la souffrance.

 

Mwaana bakala wo weka oh ! ekaa ! zu nitawa ?

Il se dit : « Oh ! ekaa ! Serait-ce une voix humaine ?

200

Tsiaana eti muuntu ta zoonza kooko, ekaa ! bwe na bwe ?

On dirait que quelqu’un est en train de parler là-bas… Ekaa ! comment ça ? »

 

Mbo kavutu diinga mu sola :

Il voulait continuer à pêcher, il entendit :

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Ko ! ko ! ko !

Ko ! ko ! ko !

 

Lukwaanga bitungu, lukwaanga bitungu,

Vous qui êtes en train de couper les arbres,

205

Teela maama nguri bola,

Dites à maman que mon corps commence à se décomposer,

 

Yaaya eh ! ku malele ngongongo bola yibola.

Yaaya eh ! je suis dans la souffrance.

 

Bukasusumuka ɣaana ah ! ni ku makaanga kaneeki.

Lorsqu’il entendit la voix, ah ! il remonta directement [sur la rive].

 

[Teele kwe baantu :] « Ah ! me ko kumbeele kooko ah ! zu dia muuntu nitawa eh ! »

[Il dit aux gens :] « Ah ! Là où j’étais ah ! j’avais entendu une voix humaine eh ! »

 

Ooh ! baantu mpe kabatamukwiikila ko.

Ooh ! Les gens ne le croyaient pas.

210

« Tsia faso ah ?

« Comment ça ah ?

 

— Mu bwe na bwe ah ! kaani

— Comment ça ah ? Non…

 

— Amboka ɣa beeto bimpongo bia mpila bio ɣa bikwe be ?

— Y aurait-il ce genre de problème chez nous ici ?

 

— Kani kabwe. »

— Jamais. »

 

Ekaa ! bilumbu kwa biayooka bioole, wa ka kavutu kweenda kuuna mpe, sola katasola.

Ekaa ! deux jours après, un autre était parti pêcher au même endroit.

215

Ko ! ko ! ko ! nkuunga mpe ni wo kwa katavutu wa.

Il entendit la même chanson : Ko ! ko ! ko !…

 

« Ah ! samu we ɣa eh !

« Ah ! il y a quelque chose qui se passe ici eh !

 

Samu we ɣa ?

Y a-t-il un problème ici ?

 

 Tsi eh ! »

Eh ! »

 

Bateele baantu baɣata, bibuunda biakaka biiziri ɣaana hein !

On fit venir les habitants du village avec quelques vieillards à cet endroit hein !

220

[Bo babeele waaka zu bateele :] « Bakwizi tuula, ni ɣa tuta wa.

[Ceux qui avaient entendu la voix dirent :] « C’est là que nous entendons [la voix].

 

Ni ɣaaɣa ?

— Ici ?

 

Tsi yeh !

— Yeh !

 

Dzekabo, ni tsipooyi basa eh ! »

Puisqu’il en est ainsi, nous allons faire des invocations eh ! »

 

Baye tuula ɣaana, bi biingula nzaambi maamba.

Ils y invoquèrent le dieu d’eau.

225

Babiinguri biabiansoni.

Ils procédèrent à toute sorte d’invocation.

 

Baboongele tsipoyi na kakakaka !

On procéda à la divination de branche d’arbre kakakaka !

 

Tsipoyi tsiayenda ɣaana, ɣaana maamba ni ɣaana tsieri zuungana kukukuku !

La branche ne faisait que tourner au bord de la rivière kukukuku !

 

[Bisi ɣata bateele :] « Ah ! samu we ɣa !…

[Les villageois se disaient :] « Ah ! il y a un problème ici !…

 

— Samu we ɣa ɣa !…

— Il y a un problème ici !…

230

— Ekaa ! ni bwe tusila ?

— Ekaa ! qu’allons-nous faire ?

 

— Dzekabo, ntente lavutu kwi sola ɣa ɣa…

— Dans ce cas, avant de venir pêcher ici…

 

— Kaluvutwandi kwi lobaka ku ku eh ! »

— Ne venez plus pêcher ici eh ! »

 

Dzekabo, baawu basiiri tsibila ɣaana.

Ils conclurent donc ainsi.

 

Basa tsibila ɣaana ih ! tsiayooka mvula ya nkaaka, tsibila hein !

Depuis qu’ils ont interdit, ça fait déjà une année hein !

235

Kuuna vutukweenda pele.

Personne ne devait y aller.

 

Babeele muuna tsibila muuna, babeele, babeele…

Ils vivaient avec cette interdiction, ils vivaient, ils vivaient…

 

Ekaa ! ɣana ɣata ɣaana, ni muuntu talooto ndozi [ni ka wa zu dita taanga
 :]

Ekaa ! dans le village, quelqu’un fit un rêve [qu’il avait entendu la voix qui chantait :]

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Na wo tsetsa mu ndeeko nzari eh !

Toi qui pêches au bord de la rivière eh !

240

Teela maama, teela maama kendani nioonge.

Dis à maman de ne pas se soucier.

 

Na wo tsetsa mu ndeeko nzari eh !

Toi qui pêches au bord de la rivière eh !

 

Teela maama, teela maama kendani nioonge.

Dis à maman de ne pas se soucier.

 

Me Keenge, me nawombele kendani nioonge.

Moi, Kéngué, j’ai péri, qu’elle ne se soucie pas.

 

Me ! Keenge me naniongene, kendani nioonge.

Moi, Kéngué, je m’inquiète parce qu’elle se soucie.

245

Me Keenge, me nayambukiri keendani nioonge.

Me Keenge, me nayambukiri keendani nioonge.

Moi, Kéngué, je m’étais noyée, qu’elle ne se soucie pas.

Moi, Kéngué, je m’étais noyée, qu’elle ne se soucie pas.

 

Milele miaani mbo kayanika kuuna ku makaanga ya.

Milele miaani mbo kayanika kuuna ku makaanga ya.

Elle doit étaler mes pagnes.

Elle doit étaler mes pagnes.

 

Milunga miaani mbo kaluundila ntekolwani wo wo.

Qu’elle garde mes bracelets pour sa petite-fille.

 

Milunga miani mbo kaluundila ntekolwani wo wo.

Qu’elle garde mes bracelets pour sa petite-fille.

 

Me Keenge, me nawombele kweendani didi.

Moi, Kéngué, j’ai péri, qu’elle ne pleure pas.

250

Mbo kasusumukini, ekaa ! ndozi kwa !

À son réveil, ekaa ! quel rêve !

 

Kavumbukiri ɣa ɣata ɣaana, ni nsaangu kekaɣaana.

Il alla informer les gens du village.

 

« Ekaa ! ndozi yi ndootolo ebu na ebu.

« Ekaa ! j’ai fait un rêve extraordinaire.

 

Keenge wiiziri takwi kuntaangila nkuunga.

Kéngué est venue me chanter une chanson.

 

Oh ! Nge mpe tsia bikeno, muuntu wayenda, wayenda. 

Oh ! quelqu’un qui est décédé depuis longtemps.

255

Tsi ambe nkuunga ngwiiri. »

J’ai écouté la chanson. »

 

Ni wa kalongese kuunga ni wa bawiiri.

Il chanta la chanson et ils l’écoutèrent.

 

« Oh ! Ni bo wena ?

« Oh ! c’est comme ça ?

 

Tsi yeh ! nibo wena.

— Yeh ! c’est bien cela. »

 

Ekaa ! ngaatsi tubakiri mafuumba mampaamba,

Ekaa ! pour éviter des problèmes,

260

dzeka bo, ni tsibila tsio tukwe zuula eh ! »

nous allons lever l’interdiction eh ! »

 

Be katula tsibila tsiina.

On leva l’interdiction.

 

Baye katula tsibila tsiina hein !

On leva l’interdiction hein !

 

Ah ! dzeka bo, bakaturi tsibila, baantu bakwe loba, ni loba bakwe loba.

Ah ! On leva l’interdiction, les gens recomencèrent à pêcher [à cet endroit].

 

Eh ! babasoni ni muuna.

Eh ! tout le monde avait repris [la pêche à cet endroit].

265

Ekaa ! bo beri kwe loba, ni loba bakwe lobe.

Ekaa ! les pêcheurs se remirent à pêcher.

 


 

Notes:

1  C’est-à-dire que l’inattendu s’est réalisé : après le retour de Kéngué de chez les non-humains, on ne s’attendait pas à ce qu’autres hommes viennent la demander en mariage.

2  « Papa » est ici un titre de respect.

3  Dicton.

4  Traduction de ngaatsi kakaangisa Keenge Leeke munwa, mot à mot : « pour fermer la bouche à Kéngué Léké », locution qui signifie « prouver à quelqu’un de quoi on est capable ».

Raphaël Otho

Corpus inédit, © Copyright ADELLAF 2021

Keenge / Kéngué I

 

 

Keenge kwe bisimbi / Kéngué chez les non-humains

 

 

 

Mots-clés

kikongo, lari, (láari, laari, kilaadi) ; République du Congo ; Congo-Brazzaville — oralité, conte, nsamu — « Fille difficile », créature non-humaine, mukuyu, tsisimbi, métamorphose, vieille femme ; famille, mariage, choix du conjoint par la fille.

Production du corpus

Conte en quatre épisodes dit par Chrysogone Diangouaya.

Chrysogone Diangouaya est né en 1967 en République du Congo (Congo-Brazzaville). Il vit actuellement à Paris, où il est directeur du centre de danse qui porte son nom, dans le 18e arrondissement. Chrysogone Diangouaya est chorégraphe, comédien et conteur. Il a réalisé ou participé à plusieurs spectacles de danse. Il a interprété des rôles dans un grand nombre de pièces de théâtre, dont certaines montées ou créées par lui. On peut citer parmi ses créations Le cri de la girafe, qui est un conte dansé et chanté pour le jeune public (Théâtre Daniel Sorano à Vincennes et Le Théâtre de la Ville à Paris, 2012 à 2019).

Collecte

Auto-enregistrement réalisé en continu le 16 mai 2020, sans auditoire, à la demande de Raphaël Otho.

Édition du corpus

Transcrit et traduit par Raphaël Otho. Un glossaire réunissant les interjections et quelques noms maintenus dans la traduction sera donné ultérieurement.

Résumé de l’épisode 1

Papa Mounsamboté et sa femme Maman Solola ont une fille, Kéngué. Elle est très belle. Elle attire le regard de beaucoup de familles du village, mais elle refuse d’épouser tous les hommes qui la demandent en mariage.

Un étranger se présente. Il est très beau. Elle accepte de l’épouser. L’étranger est un mukuyu, un non-humain. Il amène Kéngué dans son village. Elle découvre la vraie nature de son mari.

Une vieille femme se rend en cachette dans le village du mari non-humain. Elle rencontre Kéngué dans une fête du village. Elle l’aide à fuir. Elle lui donne trois objets : un morceau de bois, une pierre et un œuf. Si elle se trouve en grande difficulté, qu’elle jette derrière elle le morceau de bois, puis la pierre, puis l’œuf.

Le non-humain poursuit Kengué. Il est sur le point de la rattraper, elle jette le morceau de bois derrière elle, une grande forêt apparaît avec beaucoup d’arbres, elle échappe au non-humain. Le mukuyu la rattrape à nouveau, elle jette la pierre derrière elle, des montagnes se dressent, elle lui échappe. Il la rattrape encore, elle jette l’œuf, non pas derrière mais devant elle, une grande rivière apparaît devant elle. La vieille femme apprend cela. Un piroguier vient sauver Kéngué.

Kéngué retourne chez elle. Elle explique à ses parents que le jeune homme qu’elle a épousé n’est pas un être humain, qu’elle a été sauvée par une vieille femme. Sa mère lui dit que la vieille femme est son arrière-arrière-arrière-grand-mère. Elle ajoute : « Ah ekaa !’L’essentiel est que tu sois revenue. »

 

 


 

Keenge kwe bisimbi / Kéngué chez les non-humains

 

 

 

 

 

 

Bangwaala yeenge tsieeno !

Paix à vous les amis !

 

Meno Diangouaya,

Je suis Diangouaya,

 

Diangouaya wa dia David Chrysogone.

Diangouaya David Chrysogone.

 

Yeh ! ndiena musi Nseembo,

Yeh ! je suis du clan Nsémbo,

005

mwaana Suundi,

l’enfant du clan Soundi,

 

na ntekololo kwe bisi Mbeembe,

petit-fils du clan Mbémbé,

 

na ntekololo mpe kwe bisi Mviimba.

petit-fils du clan Mvimba.

 

Ekaa ! mulaki tsia lolo ni ɣa mboongi ndiiziri mu kuluteela binsamu.

Ekaa ! aujourd’hui, je viens dans cette case pour vous dire des contes.

 

Ekaa ! lumbutsi, tsinsamu niluteela tsia Keenge.

Ekaa ! aujourd’hui, je vous dis le conte de Kéngué.

010

Binsamu bio mbuta za baantu beri kwe bia tuteeleke.

C’étaient des vieux qui nous disaient ces contes-là.

 

Buuna beeto tweri baala bafioti.

À l’époque, nous étions petits.

 

Ekaa ! buleeke bwa bwiingi bweri neeto mpe biakaka bia ye tuzimbakane kwa.

Ekaa ! nous étions encore des gamins, nous avons donc oublié d’autres contes.

 

Ni buungu dio buuna bubata babeeni bambuta :

C’est ainsi qu’eux-mêmes, les vieux disaient :

 

« Wadia fwa, yika dio. »

« Ce qu’a laissé le mort, améliore-le. »

015

Biakaka ni tukweyiki beto beeni, kweyiki,

D’autres contes sont ajoutés par nous-mêmes,

 

buungu « mayela meeso makutu mayika na yika ».

parce que « l’intelligence des yeux s’enrichit par les oreilles ».

 

Lumbutsi, tsinsamu tsia Keenge tsi niluteela.

Aujourd’hui, je vous dis ce conte-ci de Kéngué.

 

Ah ! mu bipo biya tsena, kaa ambe tsinsamu tsimosi kwa nsiiri ekaa !

Il y a quatre parties, mais ce n’est qu’un seul conte que je raconte ekaa !

 

Ah ! Makutu lu eh !

Ah ! Ouvrez bien les oreilles eh !

 

*
*        *

*
*        *

020

Ekaa ! mu ntaangu ya ntama, ya ntama,

Ekaa ! dans l’ancien temps, dans l’ancien temps,

 

muna ntaangu yiina ya Mbaanza Koongo,

en ce temps-là du Mbanza Kongo,

 

Koongo diina dia dinene,

ce grand Kongo-là,

 

Koongo dia Ntootela,

le Royaume Kongo,

 

Kuuna Koongo dia Ntootela kuna kweri maɣata,

dans ce Royaume Kongo-là, il y avait des villages,

025

maɣata ma manene.

de grands villages.

 

Muna maɣata mweri bibelo.

Dans chaque village, il y avait des groupements de maisons par famille.

 

Muna bibelo muuna, bibuka bieri kwe be muuna na mboongi.

Dans ces maisons de famille-là, il y avait des cases où on disait des contes.

 

Ekaa ! tsibelo tseri kuna loonde kuuna tseri tsibelo tsia Taata Munsambote.

À quelques pas, il y avait une maison qui appartenait à Papa Mounsamboté.

 

Taata Munsambote wakweela Maama Solola.

Papa Mounsamboté avait épousé Maman Solola.

030

Yeh ! Batoma zolasana.

Yeh ! Ils s’aimaient beaucoup.

 

Bubaba, baba, baba, baba,

Ils vivaient, ils vivaient, ils vivaient,

 

ekaa ! mu kwe be, Maama Solola wi buta mwaana wa m’keento.

ekaa ! en étant ensemble, Maman Solola mit au monde une fille.

 

Mwaana wuuna baɣeeni nkuumbu Keenge.

Cette enfant s’appelait Kéngué.

 

Keenge bukata kwi butuka,

À sa naissance, Kéngué,

035

ambo buuna tsia bumpala kwa !

quelle beauté !

 

Keenge bumpala !

Kéngué était très belle !

 

Bukabutukiri.

Elle était donc née.

 

Ekaa ! Taata Munsambote na Maama Solola ni mwaana beka ta kurisa.

Ekaa ! Papa Mounsamboté et Maman Solola élevaient, maintenant, l’enfant.

 

Mu kwe kurisi mwaana,

En élevant l’enfant,

040

mu kwe saansi mwaana,

en l’éduquant,

 

mu kwe kurisi mwaana,

en élevant l’enfant,

 

mu kwe saansi mwaana,

en l’éduquant,

 

ah ! mwaana wuketi lombo kula, wukudidi.

ah ! l’enfant qui n’allait pas grandir, grandit.

 

Mwaana weka mvula kuumi na taanu.

L’enfant a maintenant quinze ans.

045

Mu mvula kuumi na taanu, mwaana beka kwe wa se meeso.

À quinze ans, l’enfant a maintenant les yeux braqués sur elle.

 

Bibelo biina biakaka ni ko bakwi yuula mpe yandi mwaana,

D’autres maisons de famille venaient prendre des nouvelles de l’enfant,

 

buungu tsi mwaana wuzabakane.

parce qu’elle avait grandi.

 

*

*

 

Ɣaana ɣa baa mwaana wa m’keento, ah ! ka ɣakoondo ka meeso ko.

Là où vit une jeune fille, les regards ne manquent jamais.

050

Ekaa ! mvula ziyikamane zoole na tatu.

Ekaa ! cinq ans s’étaient ajoutés à son âge.

 

Ah ekaa ! Makaanda makaa ni mwaana wo beka kwi loomba mu kweela.

Ah ekaa ! Les autres familles venaient demander à épouser la jeune fille.

 

Ekaa ! mu kweela, Taata Munsambote na Maama Solola,

Ekaa ! pour le mariage, Papa Mounsamboté et Maman Solola

 

baawu batomo bwaana kwa makaanda maana mamansoni meri kwiizaka.

avaient reçu toutes les familles qui venaient.

 

Na matoko maana meri waaya mu kwi kweela Keenge,

Et tous les jeunes qui venaient pour épouser Kéngué,

055

ekaa ! tsia mansukina tseri saala ni Keenge fweti taambula.

ekaa ! le dernier mot revenait à Kéngué.

 

Tala taambula kataambula eh !

Est-ce qu’elle allait accepter eh ?

 

Taa kala eh !

Est-ce qu’elle allait refuser eh ?

 

Ekaa ! Keenge mwa lusanu lwa ba naandi.

Ekaa ! Kéngué avait un peu d’orgueil.

 

Lusanu lwa mwa lwa lwiingi.

Un peu plus d’orgueil [que tout le monde].

060

Ekaa ! Bakala dikwi yuula ko eh, yaandi katala :

Ekaa ! Quand un homme venait demander Kéngué en mariage, elle disait :

 

« Yi ! maama, meno bakala dio kanzololo a dio ko. »

« Yi ! maman, je ne veux pas de cet homme ! »

 

Eh ! Diakaa dikwiiza :

Eh ! À l’autre qui venait :

 

« Yi ! maama, yaandi ah ! tsiaana yaandi we na ntunga. »

« Yi ! maman, celui-là ah ! on dirait qu’il a des chiques ! »

 

Eh ! Ni bo na bo, babakala baa nkama kulu yaandi bababi.

Eh ! elle était comme ça, tous les hommes étaient mauvais.

065

Maama Solola dimbitsiri : « Eh !… Ah ! nge Keenge dieka bo nge ni bo kwa ba walombo bakala ?

Maman Solola, après avoir réfléchi [dit à Kéngué] : « Eh !… Ah !  Kéngué, veux-tu rester sans mari ?

 

Eh yaaya ! yaaya ! yaaya ! Masolola ma Nkabi eh ! Yaantsi Keenge fweti wazaaba :

Eh yaaya ! yaaya ! yaaya ! Masolola ma Nkabi eh ! Kéngué, tu dois savoir ceci, écoute bien :

 

seese ya yooka bimbanza, buwa bubolele. Tomo wa wa.

la savane qui a des champignons n’est pas fréquentée par les gens à cause des serpents ! Écoute[-moi] bien.

 

— Ah ! maama, nge mpe zoonza kwa kwiingi kwe naaku ah !

— Ah ! maman, toi-aussi, tu parles beaucoup ah ! 

 

Ambe me nzeebi kwa, mebeeni nzeebi ka tsia bakala nita keela. »

Je connais, moi-même, l’homme que j’attends. »

 

*
*        *

*
*        *

070

Ekaa ! Mu kwe keele, bavutu pamuka kwa ekaa ! ni baantu bayiza ɣaana bayi telama ɣaana tsi :

Ekaa ! En attendant la suite, une famille s’était présentée chez eux en disant :

 

« Ah ! beeto ni ku beeno twiiziri eh !

« Ah ! nous sommes venus chez vous eh !

 

— Ekaa ! Ni bwe ?

— Ekaa ! Qu’est-ce qu’il y a ?

 

— Oh ! Keenge twi monekena, we neeto takweela Keenge. 

— Oh ! Nous sommes venus voir Kéngué pour l’épouser.

 

— Amboka bulwe beeno babiingi-biingi, kweela ni nani eh ? »

— Vous êtes nombreux, mais où est le prétendant eh ? »

075

Bakeelele yandi bakala kaduukiri ɣaana.

Ils attendirent la sortie du prétendant.

 

Ah yaaya ! Bukaduuka ɣaana, bakala.

Ah yaaya ! Quand il sortit, le prétendant !…


 

Tala bakala budiele ah ! Bakala na bumpala !

Quel homme ah ! Un bel homme !

 

Oh ! Tala kayangamane !

Oh ! Regardez-le debout !

 

Ambo ku meeso, nsuki oh ! na pesi-pesi !

Et ses yeux, ses cheveux, oh ! très lisses !

080

Hum ! lunkete mpasi bakala diina !

Hum ! il était très propre, cet homme-là !

 

Bukaduukiri ɣaana ka ! Keenge buuna kwa kamona bakala diina mutsima weka ni paka-paka paka-paka !

Lorsqu’il sortit là ka ! Dès que Kéngué le vit, son cœur se mit à battre paka-paka paka-paka !

 

M’tsima weka pupa tsi : « Ah ! me ni yaandi, maama ! ni yaandi ! »

Elle commença à se dire dans son cœur : « Ah ! c’est lui, maama ! c’est lui ! »

 

Maama Solola tariri yaandi mwaana Keenge.

Maman Solola regarda sa fille Kéngué.

 

Keenge weka meeso na reɣi-reɣi ni reɣi-reɣi ah !

Les yeux de Kéngué étaient devenus reɣi-reɣi, reɣi-reɣi ah !

085

Ekaa ! Maama Solola kadimbitsiri kata tala ni bakala dio :

Ekaa ! Maman Solola regardait cet homme [en se disant] :

 

« Ah ! ngaatsi weri a ngula muuntu ko.

« Ah ! peut-être qu’il n’est pas un humain.

 

Ah ! ngaatsi weri a ngula muuntu ko…»

 Ah ! peut-être qu’il n’est pas un humain… »

 

Ni kwe yaandi bakala keka ta :

Elle s’adressait maintenant à son mari :

 

« Ah ! Taata Munsambote — yaandi bakala dia yaandi yaaya keri mutaaka —

« Ah ! Papa Mounsamboté — elle appelait [plutôt] son mari grand-frère —

090

ah ! yaaya Munsambote yiza eti. »

ah ! viens d’abord, grand-frère Mounsamboté. »

 

Baɣungamane, beele mu kati dia nzo.

Ils se retirèrent, et ils allèrent dans la maison.

 

— Yaandi ngula muuntu kwa we ?

— Est-ce un être humain ? [lui demanda Maman Solola.]

 

Ambo tuuka tsia nabutukila, bumpala bwa mpila bo ka namweeni bo ko.

Depuis ma naissance, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi beau !

 

Ngaana ngula muuntu kwa we ? »

Est-ce vraiment une personne ? »

095

Taata Munsambote :

Papa Mounsamboté répondit :

 

« Ekaa ! ni bwe tweka sa hein ?

« Ekaa ! qu’allons-nous faire hein ?

 

— Ah ekaa ! Tamana kala ah !, dio mpe dieka disumu ah !

— Ah ekaa ! Si nous refusons ah ! c’est aussi un péché ah !

 

— Ekaa ! ni bwe tweka sa ?

— Ekaa ! qu’allons-nous faire ?

 

— Ekaa ! tsia taambula kwa. »

— Ekaa ! accepte seulement [que nous la lui donnions en mariage]. »

100

Bataamburi, baduukiri ɣaana.

Ils se mirent d’accord [pour donner Kengué en mariage au jeune homme] et ils sortirent.

 

« Ekaa ! Beeno malavu ma luneeti ?

« Ekaa ! Avez-vous apporté la boisson ?

 

— Yeh ! 

— Yeh !

 

— Biabiansoni bia lulungisi ?

— Avez-vous tout ce qu’il faut ?

 

— Yeh !

— Yeh !

105

— Na mboongolo m’keento ?

— Avec l’argent de la dot ?

 

— Biabiansoni bie neeto.

— Nous avons tout.

 

— Ekaa ! wo samu wa lubakiri. »

— Ekaa ! là, vous l’avez obtenue. »

 

*

*

 

Wusiiri, ni wa yaandi Keenge tala taambula kataambula eh ! tala kataambula ko, ni yaandi kwa siiri na wo.

Il ne restait plus que l’accord de Kéngué, si elle allait accepter [de l’épouser] ou non.

 

Beka ta yuula kwe Keenge.

Ils demandèrent à Kéngué si elle allait épouser l’homme en question.

110

« Eh ! Taata me bakala ni dio nikweela.

« Eh ! Papa, je vais l’épouser.

 

Eh ! Me bakala ni dio. »

Eh ! moi, c’est cet homme-là [que je vais épouser] ! »

 

Keenge taamburi.

Kéngué était d’accord.

 

Ntente, be bazoonza na yaandi bakala.

[Mais] avant tout, les deux devaient d’abord discuter.

 

Maama Solola boongele yaandi mwaana, teele mwaana mbila bakotele mu nzo.

Maman Solola prit sa fille [par la main], elle l’invita à entrer dans la maison.

115

Bakotele mu nzo, muteelele tsi :

Elles entrèrent dans la maison et Maman Solola lui dit :

 

« Ah ! Keenge, tomo kungwa.

« Ah ! Kéngué écoute-moi bien.

 

Baantu bakaka ka babaaka baantu ko.

Certaines personnes ne sont pas des humains.

 

Bakaka mikuyu kwa mibaaka.

Ce sont des mikuyu.

 

Ah ! bulu kwe zoonza naandi, ma boonga ntuumbu yi.

Ah ! Quand tu vas discuter avec lui, prends cette aiguille.

120

Ntuumbu yi tomo ya luunda. 

Garde bien cette aiguille.

 

Bukwe tuula ɣaana, bo buluta kwe zoonze, sa mayela.

Quand tu vas discuter avec lui, sois rusée.

 

Sa mayela, tsokota ntuumbu yi.

Fais de ton mieux pour le piquer avec cette aiguille.

 

Wamana tala tsi yi mutsokamane meenga maduukiri, dieka bo ngula muuntu.

Si tu le piques avec l’aiguille et que tu constates que c’est du sang qui coule, c’est un être humain.

 

Ngaatsi taa tufinia tuduukiri ɣaana ah ! Keenge weka kwa mukuyu.

Si c’est du pus qui sort ah ! Kéngué, c’est donc un mukuyu.

125

Buba ɣaana tsia dzooka kwaku.

S’il en est ainsi, sauve-toi.

 

Wa wiiri ?

As-tu entendu ?

 

— Eh ! Maama, wa ngwiiri. »

— Eh ! Maman, j’ai entendu. »

 

Keenge tomolo wa wa.

Kéngué a bien écouté la consigne.

 

Ekaa ! Ntaangu yifweni, Keenge na yaandi bakala baɣungane kuuna ngaatsi bazoonza.

Ekaa ! Le moment venu, ils se retirèrent pour discuter.

130

Ekaa ! Buberi zoonza, Keenge bukata tala bakala, watomo wa zolo.

Ekaa ! Ils se mirent à discuter, [et] rien qu’en regardant le mukuyu, Kéngué l’aimait [déjà].

 

Abwe katuurila ntuumbu yiina ?

Comment allait-elle le piquer avec cette aiguille ?

 

Ntuumbu mu tuula yo asikii mpiaa !

Ce n’était pas possible de le piquer avec l’aiguille.

 

« Ah ! ambo ka bwe nikwe ta kwe maama hein ? »

« Ah ! que vais-je dire à maman hein ? »

 

Bamanisi mu zoonza ɣaana, yaandi Keenge buka balukiri, ni eh ! ni ntuumbu kwa katisiiri yaandi beeni mwa meenga fiduukiri.

Lorsqu’ils avaient fini de discuter, Kéngué se retira et elle se piqua avec l’aiguille pour qu’il y ait du sang qui coule.

135

Ni kwe maama ke soongela.

Et elle alla montrer [l’aiguille avec le sang] à sa maman.

 

« Maama, ntuumbu ya tamona, meenga ema ni maawu, ngula muuntu kwa we.

« Maman, tu vois l’aiguille, le sang est là, c’est un humain.

 

— Ah ! Ngula muuntu kwa we, matseleka ?

— Ah ! Est-il vraiment un humain ?

 

— Tsi matseleka, maama.

— Oui, c’est la vérité, maman.

 

— Tsi ambe meenga kuta mamona ko ?

— Ne vois-tu pas le sang ?

140

— Ekaa ! meenga ma mweeni.

— Ekaa ! j’ai vu le sang.

 

— Yah maame ! Ambo wo bakala bumpala !

— Yah maame ! Quel bel homme !

 

— Ekaa maama ! bweeso bwaaku.

— Ekaa maama ! c’est ta chance.

 

— Ekaa ! sa mayela oh ! »

— Ekaa ! sois rusée oh ! »

 

Ah ! bateele buuna hein !

Ah ! elles s’étaient entendues.

145

Keenge hein !

Kéngué, on n’y pouvait rien.

 

*

*

 

Ekaa ! basiiri ɣaana ni malaki beka dia hein !

Ekaa ! Ils allaient maintenant fêter.

 

Badiiri malaki.

Ils fêtèrent.

 

Baantu baana bayiza na mboongo eh !

Ces gens-là avaient apporté beaucoup d’argent.

 

Bayiza na biima bia kudia, bayiza na bibulu bibaketi dia ah !

Ils avaient apporté beaucoup de nourriture, sans compter les animaux à manger pour eux.

150

Ah ! tsi biakoondolo ɣaana ?

Ah ! qu’est-ce qui pouvait manquer ?

 

Ni basa malaki, malaki, malaki…

Ils fêtèrent, ils fêtèrent, ils fêtèrent…

 

Malaki ! lumiingu lumosi malaki mpila mosi ah !

La fête dura une semaine ah !

 

Bilumbu bioole, bitatu, biya, bitaanu oh ! ni malaki na malaki.

Deux jours, trois jours, quatre jours et cinq jours oh ! toujours en fête.

 

Bu bamanisa mu dia malaki ɣaana ih !

Lorsqu’ils avaient fini de fêter ih !

155

Ekaa ! tomweeno zaaba kweeno : mboongolo m’keento ya kafuta.

Ekaa ! mettez ça dans votre tête : il [le mukuyu ] avait déjà réglé la dot.

 

Ni kasa boonga m’keento.

Il amena sa femme avec lui.

 

Ah ! Maama Solola na Taata Munsambote,

Ah ! Maman Solola et Papa Mounsamboté [dirent :]

 

« Ekaa ! Bwe tusa hein ! Beeto mu kwi mona kuna ɣata dia beeno, buungu tsi ɣata dia beeno katuzeebi a dio ko ?

« Ekaa ! nous ne connaissons pas votre village hein ! comment allons-nous faire pour arriver chez vous ?

 

— Ambe beeto kuna ɣata eh !… Mbo tuluteela, kuna loonde kuuna.

— Nous sommes dans un village eh !… Nous allons par là, un peu devant.

160

Mbo lukwi tuula ɣaana bisi ɣaana mbo lukooka kwa ɣaana, ni ɣaana kwa eh !

Lorsque vous aurez avancé un peu, descendez seulement, c’est là-bas.

 

— Yeh ekaa ! beeto, ɣa ntaangu eh ! ɣa mbo tukwi laambila loongo eh ! ni kuuna tukwiiza. »

— Yeh ekaa ! le moment venu, nous viendrons organiser les festivités là-bas. »

 

Ekaa ! Basiingase wo.

Ekaa ! Ils se mirent d’accord.

 

*

*

 

Baawu eh ! Baboongele nzila, beele, beele, beele, beele, beele, beele !…

Ceux qui étaient venus pour le mariage reprirent la route, ils marchèrent, ils marchèrent, ils marchèrent, ils marchèrent, ils marchèrent, ils marchèrent !…

 

Ɣo ɣabeele kwa eɣo kwa ɣeka ɣa ɣala.

Le village qui était tout près s’éloignait considérablement.

165

Baneeki moongo, bakookele, bakotele ku saangi.

Ils grimpèrent des montagnes, ils descendirent et ils pénétrèrent dans la forêt.

 

Ah ! Keenge batikiri mufatika eh ! nitu yeka tsikoni kabuta vutu ba ko.

Ah ! Kéngué commença à éprouver de la fatigue eh ! elle ne tenait plus debout.

 

Mweendo, naaka moongo kooka ah ! kabuta vutu ba ko.

Pour monter et descendre les montagnes ah ! ça ne tenait plus.

 

Baye tuula ɣana mwaa nsosofula ɣaana, bazakale ɣaana.

Ils arrivèrent à un endroit où il y avait un peu d’ombre, ils s’assirent.

 

Bavutu pamuka kwa teembo tsiiziri kukukukukuku !

Un vent violent se leva soudain kukukukukuku !

170

Keenge weka tsima lwaaka : « Kaa kuma kututa kweenda kwa kula hein !

Kéngué était inquiète, elle dit : « Nous allons maintenant loin hein !

 

Ah ! nzeeri a baanza bo ko tsi kwa kula kwa kwena. »

Ah ! je ne savais pas que c’était si loin. »

 

Teembo tsia tsi ta sa na kukukukukuku !

Un vent qui faisait du bruit kukukukukuku !…

 

Ambo tsimbongela !

Quelle tempête !

 

Tsimbongela na wuwuwuwuwuwu !

Une tempête qui faisait wuwuwuwuwuwu !… 

175

Muna tsimbongela muuna, Keenge na bunkuta yaandi weka keteka na kekekekekeke !

Dans la tempête, Kéngué avait peur et elle tremblait kekekekekeke !

 

Na nsweeki yi mubakiri.

Quelque chose l’avait étonnée :

 

Yaandi bakala bukata kumsiimba,

Alors que son mari la tenait par la main,

 

manzangu masiimbila bakala kataama kwe ya leenda ko.

elle n’arrivait pas à tenir son mari.

 

Bakala kasiimba Keenge bakotele ɣaana ɣa tsimbongela tsiina tsibazungase na wuwuwuwuwuwu !

Le mari emporta Kéngué et ils entrèrent dans cette tempête qui les secouait wuwuwuwuwuwu !

180

Na puu batuuriri kuna ɣata kuuna.

Ils tombèrent directement dans le village [des bisimbi ].

 

Keenge kata tala ɣata: « Ambe ku kwe twena ? »

Kéngué se demandait en regardant le village : « Mais où sommes-nous ? »

 

Mo bubata kwe yende :

Sur leur passage, [Kéngué voyait les gens] :

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Bakaka baye se ebu,

Les uns font ceci,

185

Bakaka baye se ebu,

Les autres font cela,

 

Bakaka na bifuuma,

Les uns sont infirmes,

 

Bakaka oh yaaya !

Les autres oh yaaya !

 

Keenge na nsatu kudirisa, na nsatu dila.

Kéngué avait envie de pleurer.

 

Abwe kasa Keenge ? wi tambakana.

Qu’allait-elle faire, Kéngué ? Elle était prise au piège.

190

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Ah ! bakaka na minwa mia tengama,

Ah ! les uns ont des bouches déformées,

 

Bakaka na bikaata,

Les autres sont infirmes,

 

Bakaka na nzeeta.

Les uns sont épileptiques.

 

Oh ! Abwe kasa hein ?

Oh ! Que va-t-elle faire hein ?

195

Wi tambakana.

Elle était prise au piège.

 

*
*        *

*
*        *

 

Baye tuula kuuna, nzo eyi ni yawu.

Ils arrivèrent. Voici la maison.

 

Ekaa ! Diangana, bakala dikaye kweela, mukuyu kwa waba.

Ekaa ! L’homme qu’elle avait épousé était un mukuyu.

 

Mukuyu wuuna mpe, kakolama ko ni keri kipa m’keento.

[Mais] ce non-humain-là s’occupait bien de sa femme.

 

M’keento waba na mafuta mbo tatala miina milaanda eh ! kipa keri mukipaka.

Il prenait bien soin d’elle eh ! en attendant de voir ce qu’il allait faire d’elle.

200

Ekaa ! Mu sa siisa yandi m’keento ah ! keri a wa monaaka ko.

Ekaa ! Il ne voulait pas laisser sa femme [seule] à la maison.

 

Bakweenda ku saangi ɣati mosi, kuuma ni kuuma ɣati mosi.

Il partait partout avec elle, même dans la forêt.

 

Ekaa ! ɣana ɣata dia mukuyu diina, malaki ma ba ɣaana bayenda kuna malaki kuuna.

Ekaa ! dans le village de ce non-humain-là, il y eut une fête à laquelle ils se rendirent.

 

Baantu beri diaa, beri tsiina na nganga-nganga ! Mikuyu ni mia mita kwe tsini.

Pendant que les gens mangeaient nganga-nganga ! les non-humains dansaient.

 

Ekaa ! ɣana fuunda dia baantu, ni tsibuunda tsimosi tseri ɣaana tsia tsuumana.

Ekaa ! dans la foule, il y avait une vieille assise toute triste et toute seule.

205

Bukatariri bu, meeso mabwaabane na Keenge.

Lorsqu’elle leva les yeux, son regard croisa celui de Kéngué.

 

Oh ! tsibuunda sariri ngolo tuuriri ɣaana.

Oh ! la vieille avait fait des efforts pour arriver jusque-là.

 

Kata tuula tariri Keenge.

Lorsqu’elle arriva, elle regarda Kéngué.

 

Ambo ka buunda tsia kwa mweeni ?

Pouvez-vous imaginer cette vieille ?

 

Wa fiooti nitu za taanda.

Elle était très maigre.

210

Butala na tsiari tsikubadiri.

Quand tu la regardais, tu avais pitié d’elle.

 

Tsiaana eti yaandi weri seekela ɣa boombi.

C’était comme si elle dormait à même le sol.

 

Diri na mfumfutu.

Son visage était couvert de poussière.

 

Ambo nsuki zi, tsiaana eti ma fwawu,

Ses cheveux étaient comme ceux d’une veuve,

 

tsiaana eti yaandi weri keela bufwiiri.

comme si elle était en deuil depuis longtemps.

215

Ah ! bukapuusiri ɣaana, Keenge na bunkuta.

Ah ! lorsqu’elle s’était approchée de Kéngué, celle-ci eut peur.

 

Muzoonzele :

Elle lui demanda :

 

— Ah ! maama, nge kwe tuukiri ?

— Ah ! maman, d’où viens-tu ?

 

— Ah ! me ku Mbaanza Koongo eh ! Koongo dia Ntootela.

— Ah ! moi, je viens de Mbanza Kongo eh ! Kongo dia Ntotela.

 

— Ambo kaa ku tsi wi sala ku, maama ?

— Qu’es-tu venue faire ici, maman ?

220

Ku tsi wi sala ku ?

Qu’es-tu venue faire ici ?

 

— Ambe me kweela bayi ku nkweela tsiaangu nayiziri ku.

— On était venu m’épouser, voilà pourquoi je suis venue ici. 

 

— Eh maama ! Maama ! Maama ! Kuuku kwena kwa nge ko.

— Eh maama ! Maama ! Maama ! Cet endroit n’est pas ton monde.

 

Ah Nzaambi ! Bwe nisiila mwaana.

Ah Nzaambi ! Que vais-je faire pour l’enfant ?

 

Ah ! mwaana wu woombele.

Ah ! l’enfant est perdue !

225

Kaani, kaani, tala butusa :

Non, non !… On fera ceci :

 

Me mbo ni kubakisa, fweti katuka ɣaa ɣata ɣa ɣa.

Je vais t’aider pour que tu quittes ce village.

 

Ni nge kwa lungisi ngoonda mosi ah ! mbo bakudia.

Si tu passes seulement un mois ici ah ! ils vont te bouffer.

 

Me ta wa ?

M’entends-tu ?

 

— Tsi yeh !

— Yeh !

230

— Me ta wa ?

— M’entends-tu ?

 

— Tsi yeh !

— Yeh !

 

— Dzeka bo, butusa ni ebu :

— Donc, nous allons faire ceci :

 

Nge na bakala diaaku, ku saangi lukweendaka.

Toi et ton époux, vous partirez dans la forêt,

 

Yi yeka ntaangu ya maloombo.

Car c’est la saison des fruits.

235

Buuna bulukweenda ku saangi, yaandi kwa wa bakala naaka kuloonde.

Lorsque vous serez dans la forêt, seul l’homme a le droit de monter sur les arbres.

 

Bukanaaka kuuna, bo katiaaka maloombo kakuɣaanaka, nge bu boonga, me ni ɣaana ni kwiiza.

Lorsqu’il va monter cueillir les fruits pour te les donner, c’est à ce moment que je viendrai là-bas.

 

Nikwiiza ɣaana, ngaatsi na kuyingasa nge ngaatsi wabaka nzila yi dzookela.

Je viendrai là-bas te remplacer pour que tu trouves le moyen de fuir.

 

Kwa wiiri ?

As-tu compris ?

 

— Tsi yeh ! »

— Yeh ! »

240

Bawiisane buuna.

Elles se mirent d’accord.

 

*

*

 

Bubawiisane buuna, lumbu tsia ntete, malaki mayookele.

Il se passa un jour après cela, un seul jour après la fête.

 

Tsiina tsilaanda, bubayenda ku saangi, yandi tsibuunda maleembe keri kwe balaandi ɣa manima, ni keri kwe balaandi ɣa manima.

Le lendemain, Kéngué et son mari allèrent dans la forêt, la vieille était derrière eux, elle les suivait, elle les suivait.

 

Bukatuuriri kuna saangi kuuna ni ke swaama ku manima ma muti ni keri kwe batarila, ni keri batarila.

Lorsqu’elle arriva dans la forêt, elle se cacha derrière un arbre pour les observer.

 

Ah ekaa ! mukuyu bukaneeki ku zulu, Keenge na mutete ɣo baanda ni ɣo kena.

Ah ekaa ! le non-humain monta sur l’arbre, Kéngué était là avec le panier.

245

Ɣo nsia taku ɣa muti ni ɣo kena.

Elle resta là dans un coin, au pied de l’arbre.

 

Ekaa ! mukuyu kaboonga loombo :

Ekaa ! le non-humain prit un fruit et dit :

 

« Keenge ?

« Kéngué ?

 

— Eh !

— Eh !

 

— Boonga loombo. »

— Prends le fruit… »

250

Boongele loombo :

Elle prit le fruit en répondant :

 

« Dia mboongele.

« Je l’ai pris.

 

— Tsia sa mu kitunga. »

— Mets-le dans le panier. »

 

Eh ! Keenge siiri mu kitunga.

Eh ! Kéngué le mit dans le panier.

 

— Keenge, eh ! Boonga loombo.

— Kéngué, prends le fruit.

255

— Dia mboongele.

— Je l’ai pris.

 

— Sa mu kitunga. »

— Mets-le dans le panier. »

 

Yandi tsibuunda, ni tala keri talaka.

La vieille ne faisait qu’observer.

 

Yandi mukuyu, kaboonga loombo :

Le non-humain prenait un fruit et disait :

 

[M’kuunga]

[Chanson]

260

— Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

265

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boonga loombo eh !,

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

270

— Boonga loombo,

— Elle l’a pris, Kéngué,

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

275

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué,

280

— Sa mu kitunga sa.

— Mets-le dans le panier, mets…

 

Keenge, ni mu tunga keri saaka.

Kéngué continuait à mettre les fruits dans le panier.

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

— Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh ! 

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

285

Sa mu kitunga sa.

Mets-le dans le panier, mets…

 

Ni mu tunga keri saaka.

Elle mettait les fruits dans le panier.

 

Lumbu tsio tsiyookele bakeeri ku nzo.

Ce jour-là passa.

 

Ekaa ! Buunda tsio kasi mana mona buuna : « Ekaa ! Kasamu a ko.

Ekaa ! La vieille [les] avait vus et elle dit [à Kéngué] : « Ekaa ! ce n’est pas un problème.

 

Dzeka bo, lumiingu lutakwiiza, mbo nikwiiza ɣo ngaatsi nzi nakubakisa eh ! »

Je viendrai donc la semaine prochaine pour t’aider eh ! »

 

*

*

290

Bayetuula kuna saangi kuuna, tsiaana eti kwa bo bu batokosaaka, mukuyu bukaneeki ni ih !

Ils étaient arrivés dans la forêt comme d’habitude, le non-humain était monté sur l’arbre ih !

 

Yandi Keenge ɣo baanda ɣo ni ɣo kee ɣa taku ɣa muti hein ! na tsitunga tsiaandi.

Kéngué était sous l’arbre hein ! avec son panier.

 

Na tsitunga ni ɣaana kasiimbiri yo na mutete wo.

Elle tenait le panier.

 

Bo mukuyu bukeka ta boonga.

Pendant ce temps, le non-humain lui disait de prendre les fruits.

 

[M’kuunga]

[Chanson]

295

— Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

300

— Sa mu kitunga sa.

— Mets-le dans le panier, mets…

 

Bo bukeri taanga, yandi tsibuunda tsiiziri, wi yingasa Keenge.

Pendant qu’il chantait, la vieille vint remplacer Kéngué.

 

Songerele mu tsibaba ka tsia nzila kalaanda.

Elle lui indiqua le chemin [pour fuir], par des gestes, comme le font les sourds-muets.

 

Ekaa ! Buuna kwa mukuyu bukata boonga loombo,

Ekaa ! Quand le non-humain prit un fruit,

 

[M’kuunga]

[Chanson]

305

— Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh !

 

Tsibuunda zuu kadiatomo a yilama ko :

La voix de la vieille n’était pas bonne :

 

— Boongele dio, Keenge.

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa…

— Mets-le dans le panier, mets…

 

Eh ! Keenge, eh ! bwe kwa bweeni ?

Eh ! Kéngué, eh ! qu’as-tu ?

310

— Kaani kwa. »

— Rien. »

 

Yaaya ! Mukuyu wuzeebi tsi Keenge kasiiri a ɣo ko.

Yaaya ! Le non-humain avait compris que Kéngué n’était plus là.

 

Bukata kooka mu ntinu na kukuku !…

[Il descendit de l’arbre.] Pendant qu’il descendait de l’arbre kukuku !…

 

Ah ! Tsibuunda bukasiiri na tiii ! kasiiri kwa mpaandu weka kwa makaya ɣa taku ɣa muti ni wo kwa ke.

Ah ! La vieille fit ses grigris tiii ! et se transforma en feuilles, et elle était là sous l’arbre.

 

Mukuyu bukakookele ni Keenge takweenda ekuneke.

Pendant que le non-humain descendait, Kéngué était passée de l’autre côté.

315

— Eh ! Nge Keenge, akwe takweenda ?

— Eh ! Kéngué, où vas-tu ?

 

Akwe takweenda ? »

Où vas-tu ? »

 

Keenge teele :

Kéngué dit :

 

« Eh ! Kaambe nsatu masuba mabeele naani.

« Eh ! J’avais envie de pisser.

 

Ekaa ! Ni wo nketi wungamana ?

Ekaa ! Dois-je pisser là ?

320

— Ah ! tsiaangu.

— Ah ! d’accord.

 

Me beele baanza dzooka keti dzooka nga ah !

Je croyais que tu t’enfuyais, tu t’en allais ah !

 

Tsi yenda wungama kwaaku. »

D’accord, éloigne-toi un peu. »

 

Keenge weele, ni keele suba hein ! ni bukakeeri ɣaana.

Kéngué alla pisser hein ! et elle revint.

 

Ekaa ! Lumbu tsio, misamu mibaketi yirika ka mivutulu a ba ko.

Ekaa ! Ce jour-là, le plan de la vielle femme et Kéngué n’avait pas marché.

325

Bakeeri kuna ɣata.

Ils rentrèrent tous au village.

 

*

*

 

Bakeeri kuna ɣata, ah ! lumbu tsio tsia laanda, yandi bakala duuka kaduuka.

Ils rentrèrent au village. Ah ! le lendemain, le mari sortit.

 

Buunda tsio kayenda kwe Keenge ni kamuteela tsi :

La vieille alla chez Kéngué et lui dit ceci :

 

« Bu bwa teka sa, buluvutu kwa kaala kwa buungu maloombo ka mawiiri ko.

« Ce que nous allons faire maintenant, puisqu’il y a encore les fruits.

 

Bu me namana kuyingasa, mbo nisarila ngolo ngaatsi nasa zu dia nge, kaa nge fweti sa manzangu.

Cette fois-ci, je fournirai des efforts [pour bien chanter] quand je te remplacerai, mais tu dois faire vite.

330

Biima bitatu nita kuɣaana.

Je te donne trois choses.

 

Mwa muti fi, luunda fio mwa muti fi,

Ce morceau de bois, garde-le, ce morceau de bois,

 

mboko na tadi edidi, mboko na dziiki.

cette pierre et cet œuf.

 

Bulukweenda, biibi eh ! tabi wanata bio, bia kumaangisi.

Quand vous irez, n’oublie pas de les emporter.

 

Tuula bio ɣa saambu ɣa lele wanata malembe-malembe.

Mets-les dans ton pagne, marche tout doucement avec.

335

Dziiki kadikuburikila andi.

Il ne faut pas casser l’œuf.

 

Buuna nge bubatika mu dzooka, budzooka, budzooka ntiinu za ziingi, bo wavila bo butadzooka ntiinu zo.

Quand tu vas commencer à courir, cours, cours, cours très vite.

 

Butala tsi yaandi kumanima, ngaatsi me kandeendele a kumanima ni yaandi ta kwe laandi,

Quand tu le verras derrière toi, peut-être que je ne pourrai pas être là,

 

tsia ntente tsi tokoloosa, ni muti,

ce que tu vas jeter en premier, c’est le morceau de bois,

 

tsia zoole ni tari,

en deuxième lieu la pierre,

340

tsia tatu ni diiki.

et en troisième lieu, l’œuf.

 

Biima bio mu loosa bio, tabi wamona tsi mu mpasi weka.

Pour jeter ces choses-là, il faut vraiment que tu sois en difficulté !

 

Me ta wa ?

M’entends-tu ?

 

— Tsi yeh ! 

— Yeh !

 

— Me ta wa ?

— M’entends-tu ?

345

— Tsi yeh ! »

— Yeh ! »

 

Ni kasa muɣaana biima biina.

Elle lui donna ces choses-là.

 

Bukamuɣeeni biima biina mpe,

La vieille les lui donna,

 

Keenge ah ! toondele kwaandi.

Kéngué la remercia.

 

Ekaa ! Pari tsilombo fwaana, ka tsifweeni ko.

Ekaa ! Le matin qui n’allait pas arriver, arriva.

350

Pari tsiina mpe tsifweeni,

Ce matin-là,

 

Beele.

ils partirent  [dans la forêt].

 

Yaandi tsibuunda tsio ɣa manima mpe kwe laandi, kwe laandi, kwe laandi.

La vieille était toujours derrière en train de les suivre, de les suivre, de les suivre.

 

Tsio tsibuunda tsiina nkaaka nkaaka andi kwa yena.

Or, la vieille était une arrière-arrière-grand-mère de Kéngué.

 

Nkaaka nkaaka andi.

Son arrière-arrière-grand-mère.

355

Bukamona mwaana wuuna, wazaaba tsi ah ! Maana meenga maandi ma ba.

Lorsqu’elle avait vu Kéngué, elle savait que ah ! c’était son sang.

 

Keri a zolo ko mwaana wuuna, ntekolo ntekolo andi wi wasafuka.

Elle ne pouvait pas admettre que son arrière-arrière-petite-fille souffre.

 

Ni keri zolo diinga mu mudzookesa, mu mukatula kuuna mo mvita za zibi zo.

Voilà pourquoi, elle cherchait à la faire fuir, à la sauver dans cette lutte avec les esprits.

 

Ekaa ! Bu kaye swaama ɣaana, mukuyu neeki ku zulu :

Ekaa ! Elle se cacha, le non-humain monta sur l’arbre.

 

[M’kuunga]

[Chanson]

360

— Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué,

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué,

365

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boonga loombo eh !

— Elle l’a pris, Kéngué,

 

— Sa mu kitunga sa,

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

370

— Boonga loombo,

— Elle l’a pris, Kéngué,

 

— Sa mu kitunga sa.

— Mets-le dans le panier, mets…

 

Bo bukeri taanga yaandi tsibuunda wi yingana wo ih !

Pendant qu’elle chantait, la vieille était venue la remplacer ih !

 

Keenge mpe ni ntiinu kaboongele, ntiinu.

Kéngué prit la fuite.

 

Tsibuunda tsio ni ngolo kata sa.

La vieille faisait des efforts pour imiter la voix de Kéngué.

375

[M’kuunga]

[Chanson]

 

— Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh !

 

— Boongele dio, Keenge.

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

— Sa mu kitunga sa.

— Mets-le dans le panier, mets.

 

Keenge boonga loombo eh !

Kéngué, prends le fruit eh !

380

— Boongele dio, Keenge.

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

Sa mu kitunga sa…

Mets-le dans le panier, mets…

 

Bo bukeri taanga bo ngolo siiri zo.

Lorsqu’ils chantaient, cette fois-ci, elle faisait des efforts [pour bien chanter].

 

Ekaa ! Yaandi tsibuunda zu dieka fatika.

Ekaa ! La voix de la vieille commença à s’érailler.

 

Kuuna Keenge ni kadzooka, kadzooka, kadzooka, kadzooka…

Pendant ce temps, Kéngué courait, courait, courait, courait…

385

Zu difatikiri dia tsibuunda dieka.

La voix de la vieille ne tenait plus.

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Keenge boonga loombo eh !

— Kéngué, prends le fruit eh !

 

Boongele dio, Keenge,

— Elle l’a pris, Kéngué.

 

Sa mu kitunga sa.

— Mets-le dans le panier, mets.

390

Mukuyu kata tala bu eh !

Le non-humain regarda eh !

 

Kaani bukavutulu kooka, kata kwi tala ah !

Lorsqu’il descendit pour voir ah !…

 

Eh ! Tsibuunda tsio kasiiri na pruuuuuuu !

Eh ! La vieille fit pruuuuuuu !

 

Yaandi weka kwaandi makaya.

Elle se transforma en feuilles.

 

Katala bu: « Oh ! Ambo ka bwe na bwe ? »

Il était étonné, il dit : « Oh ! Comment est-ce possible ? »

395

katala bu ni mutete kwa wusiiri na maloombo.

Il ne voyait que le panier et les fruits.

 

« Keenge, Keenge akwe we ?

« Kéngué, où es-tu ?…

 

Dzeka bo Keenge dzookele. »

Donc, Kéngué a fui. »

 

Ni bukamulaanda, bukamulaanda…

l fallait la poursuivre, il fallait la poursuivre…

 

*
*        *

*
*        *

 

Keenge ni bukadzooka, kadzooka, kadzooka… kuuma kweka kwa kuula.

Kéngué courait, courait, courait, courait… elle fut loin.

400

Mukuyu ni kalaanda, kalaanda, kalanda, kalanda ah !

Le non-humain la poursuivait, il la poursuivait, il la poursuivait, il la poursuivait ah !

 

Ni bakumana, mukuyu ntiinu oh ! za ziingi.

Kéngué était devant, le mukuyu courait oh ! très vite.

 

Keenge katala kumanima bu ni mukuyu ta kwe yiizi aaaaah !

Kéngué regarda derrière elle : c’était le non-humain qui arrivait aaaaah !

 

Ambo bukata kwe yendele mwiisi !

Quand il marchait, c’était de la fumée !

 

Mu bunkuta bo, Keenge ni kaboonga muti wuuna wa muɣaana nkaaka ni bukaloosa wo ku manima ni puuuu !

Kéngué eut peur et elle jeta le morceau de bois que lui avait donné la vieille puuuu !…

405

Saangi dimenene, saangi dia diingi dimenene na miti mikwe kambakane.

Une grande forêt apparut avec beaucoup d’arbres.

 

Ah ! yaandi mukuyu weka muyooka ɣaana ni nkakatanu.

Ah ! le non-humain avait maintenant des difficultés à passer.

 

Ah ! Keenge ni bukadzooka, kadzooka…

Ah ! Kéngué courait, courait…

 

Mukuyu buuna bukasiiri mpaandu kakakaka !

Le non-humain fit sa magie kakakaka !

 

Miti ni mia kata kwe mwangase.

Il était en train de déraciner les arbres.

410

Weka kwe bia buri, miti ni mia kata tsiaama kakakaka !

Il était en train de couper les arbres kakakaka !

 

Keenge kadzooka, kadzooka, kadzooka weka mala, Keenge.

Kéngué courait, courait, courait… elle fut loin, Kéngué.

 

Mu kwe dzooke, kavutu pamuka eh ! kumanima mukuyu ni wo ni wa wuta kwe laandi.

Tout en courant, elle se retournait : le non-humain était toujours en train de la poursuivre.

 

« Maama ! Bwe kwa nzeka sa, maama ? »

« Maama ! Qu’est-ce que je vais faire, maama ? »

 

Boongele tari, wiindiri tari na puuu !

Elle prit la pierre et la jeta puuu !

415

Tari diina puuuu ! mieka moongo.

Puuuu ! Cette pierre devint des montagnes !

 

moongo matari, moongo matari ; moongo matari ma miingi.

Des montagnes de pierres, des montagnes de pierres, des montagnes de pierres !…

 

Mukuyu ni bukanaaka moongo matari, matari makaka ni ma kata bula.

Le non-humain gravissait ces montagnes de pierres tout en cassant d’autres pierres.

 

Keenge ni bukadzooka, dzooka, dzooka, dzooka ah ! Keenge…

Kéngué ne faisait que courir, elle courait, elle courait, courait ah ! Kéngué !…

 

Keenge mbo kavututala matari mabwiiri mamansoni.

Lorsque Kéngué regarda de nouveau derrière elle, toutes les pierres étaient tombées.

420

Mu bunkuta kwa bo ah ! Keenge buka boonga diiki ni dia kawiindiri puuu !

Dans la peur, ah ! Kéngué prit l’œuf et le jeta puuu !

 

Diiki bamutela kawiindila ku manima, yaandi wiindiri ku matu.

On lui avait dit de jeter l’œuf derrière elle, elle le jeta devant elle.

 

Kawiidiri ku matu puuu ! ni nzari.

Elle le jeta devant elle puuu ! une rivière.

 

Nzari ya yinene wooo ! ku matu maandi.

Une grande rivière apparut devant elle wooo !

 

« Ambo ka ni bwe nzeka sa ? Maama, maama yeka nzari ! »

« Que vais-je faire ? Maama, maama ! c’est devenu une rivière ! »

425

Kuuna kwa saala tsibuunda tsio zeebi tsi Keenge weka mu mpasi.

De là où elle était, la vieille sut que Kéngué était en difficulté.

 

Bukaba kuuna, ka bwe kasa kwa hein ! mu mpaandu kwa hein !

De là où elle était, elle fit sa magie hein !

 

Keenge ɣa na ndeeko nzari ɣaana ni muuntu weri ɣaana mu bwaatu.

Kéngué était au bord de la rivière et il y avait une personne dans une pirogue.

 

Weka dila : « Mboonga kwaani, mboonga kwaani.

Elle pleurait : « Prenez-moi [dans la pirogue] ! Prenez-moi [dans la pirogue] !

 

 Nkotesa kwaani mu bwaatu ku nsabula kwaani.

Prenez-moi dans la pirogue pour me faire traverser !

430

— Tsia kota abwe kwa ?

— Monte !… Qu’est-ce qu’il y a ?

 

— Oh ! muuntu ta kwe kundaadi, muuntu.

— Oh ! il y a une personne qui me poursuit.

 

— Tsia kota, kota. »

— Monte vite, monte. »

 

Keenge kabingiri kota mu na kati muuna hein !

Kéngué monta vite hein !

 

Ni nkafi baboongele, ni nkafi, ni nkafi, ni nkafi.

Ils prirent la pagaie, ils se mirent à pagayer, à pagayer, à pagayer.

435

Mukuyu kakwi tuula ɣaana wuumini, baawu beka ɣa na kati-kati dia nzari eh !

Lorsqu’il arriva à cet endroit, le non-humain se reposa. Pendant ce temps, [Kengué et le piroguier] étaient, eux, au milieu de la rivière eh !

 

Ah ! Mukuyu mu ntiinu na ntiinu ni miti kaboongele kayirikiri tsindiini tsia ntiinu na ntiinu.

Ah ! Le non-humain fabriqua rapidement une pirogue avec un tronc d’arbre.

 

Kotele mu tsindiini ni ka !

Il monta dans la pirogue ka !

 

Yaandi mpe ni nkafi kasiiri, ni yaandi ta kweenda na kakaka !

Il prit la pagaie kakaka !

 

[M’kuunga]

[Chanson]

440

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

 

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

 

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

 

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

 

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

445

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

 

Suumba na suumba koo nge,

Moi, je l’avais achetée,

 

Taata munzari,

Beau-frère,

 

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

 

Taata munzari koo nge.

Qui est avec toi, beau-frère.

450

Baawu ni bata kwe yende kakaka !

[Kéngué et le piroguier] ne faisaient que pagayer kakaka !

 

Yaandi tsi vutula mukeento ani eh ! Ni kakakaka !

Le non-humain dit : « Rends-moi ma femme eh ! kakakaka ! »

 

[M’kuunga]

[Chanson]

 

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

 

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

455

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

 

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

 

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

 

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

 

Vutula mukeento amunu koo nge,

Rends-moi ma femme,

460

Taata munzari koo nge !

Qui est avec toi, beau-frère !

 

Oh ! Nakubika dioonga,

Oh ! Je vais te lancer cette flèche.

 

Oh ! Nakubika dioonga,

Oh ! Je vais te lancer cette flèche,

 

Koo nge taata munzari.

Beau-frère.

 

Oh ! Nakubika dioonga di koo nge,

Oh ! Je vais te lancer cette flèche,

465

Taata munzari.

Beau-frère.

 

Oh ! Nakubika dioonga di koo nge,

Oh ! Je vais te lancer cette flèche,

 

Taata munzari.

Beau-frère.

 

Mukuyu ni dioonga katasoongela mbo ni kubika dio eh !

Le non-humain montra la flèche : « Je vais te lancer ça eh ! »

 

Hum ! Ah ! Keenge batiyendela mala, mala batsituurila mala.

Hum ! Ah ! Kéngué et le piroguier étaient déjà très loin, loin, ils étaient très loin.

470

Mukuyu ah ! Mu vutubabaka asikii mpia.

Le non-humain ah ! Il ne pouvait plus les rattraper.

 

Mukuyu wukeeri.

Le non-humain s’en alla.

 

*
*        *

*
*        *

 

Keenge tuuriri kuna ɣata diaandi. Bukasuumbuka ni kwe bamaama keele.

Kéngué arriva au village. Elle traversa [le village] et elle alla directement chez ses parents.

 

Keenge katuuriri ɣa na ɣata ɣaana wele tuula kwe bamaama.

Kéngué arriva au village, elle alla chez ses parents.

 

Maama Solola na Taata Munsambote bakwi tuula ɣaana : « Eh kaa ! nzeenza yiiziri ɣo ?

Lorsqu’elle arriva, Maman Solola et Papa Mounsamboté dirent : « Eh ! kaa ! il y a un étranger qui vient d’arriver ?

475

Eh ! nzeenza, ekaambe ! nzeenza yiiziri ɣo.

Eh ! un étranger, ekaambe ! il y a un étranger qui est là.

 

— Ekaa maama ! abwe kwa ? tsia dzaambu kwa ?

— Ekaa maama ! qu’est-ce qu’il y a ? Y-a-t-il un problème ?

 

— Mbote zeeno, maama ! 

— Bonjour à vous, maman !

 

— Eh ! mbote. »

— Eh ! bonjour. »

 

Baawu bamubweeni ɣaana.

Ils accueillirent [« l’étrangère »].

480

Keenge keka ta ta :

Et Kéngué leur dit :

 

— Maama kaluta vutu kunzaaba ko ?

— Maman, vous ne me reconnaissez plus ?

 

Ih ! Maama Solola katala : « Ekaa ! meeso buungi ?…

Ih ! Maman Solola la regarda et dit : « Ekaa ! j’ai un problème de vue ?…

 

Ekaa ! Keenge ?…

Ekaa ! Kéngué ?…

 

— Ekaa ! maama ni me. »

— Ekaa ! c’est bien moi, maman ! »

485

Maama ! Mwaana ! bi mubuumba ɣaana hein !

Maama ! L’enfant, ils [ses parents] l’embrassèrent hein !

 

— Aaah ! Keenge wiiziri aaah ! Keenge !… Keenge !…

— Aaah ! Kéngué est revenue aaah ! Kéngué !… Kéngué !…

 

— Ambo kaa ! abwe kwa ?

— Qu’est-ce qu’il y a ?

 

— Akwe wayenda hein ?

— Où étais-tu partie hein ?

 

Beeto taketi kwii laambila loongo.

On voulait venir célébrer le mariage là-bas.

490

Butayendaka ɣata dia tuzaabi, taye zimbakana.

Mais nous nous étions perdus en route parce que nous ne connaissions pas le village.

 

Taleembana, tadiinga, tadiinga bata tsi ɣata dio kabazeebi a dio ko.

On avait beau chercher, chercher, personne ne connaissait ce village.

 

Abwe kwa wabwaana kuuna ? »

Qu’est-ce qui t’est arrivé là-bas ? »

 

Ah ! Keenge kaba ɣaana, aah ! Yandi tsinsamu keka bateela mikaye mona kuuna.

Ah ! Kéngué commença à raconter ce qu’elle avait vécu là-bas.

 

Kata ta tsinsamu tsiina, dieka bo keka zoonzela tsibuunda tsiina.

Elle raconta l’histoire, elle parla de la vieille.

495

« Tsibuunda bwe tsie ? »

« Comment était cette vieille ? »

 

Ni tsia kata songerela ebukeri, ebukeri eh !

Elle dit qu’elle était comme ça, qu’elle était comme ça !

 

Ooh ! Maama Solola teele tsi : « Eh ekaa ! wuuna nkaaka nkaaka ya meno.

Ooh ! Maman Solola dit : « Eh ekaa ! c’est mon arrière-grand-mère.

 

  Ni yaandi kuvuukisi.

C’est elle qui t’a sauvée.

 

— Maama Nzaambi ! Maama aah !… Nzaambi Pungu tuleendo wa munene !

— Maama Nzaambi ! Maama aah !… Dieu Saint-Esprit, [sa] gloire est grande !

500

— Ekaa ! maama, mona tamona butu kwe tambakane hein ?

— Ekaa !maman ! tu vois comment on tombe dans le piège hein ?

 

— Ah ekaa ! mpasi butuuriri, beeto […] »

— Ah ekaa ! l’essentiel est que tu sois revenue […] »

 

Basiiri mwa malaki ma baawu na baawu ɣaana, nsayi yi yookele.

Ils étaient heureux et ils organisèrent une fête.

 

Raphaël Otho

Corpus inédit, © Copyright ADELLAF 2020

Poésie féminine chantée de mariage en kabyle (urar)

 

Mots-clés

berbère, kabyle, Algérie — oralité ; poésie féminine de mariage chantée, urar ; performance, performance collective ; improvisation — mariage ; fête ; louange ; bénédiction

Production

Poésie produite par des femmes d’environ cinquante ans ayant exigé l’anonymat. Elles ont précisé que les poèmes ne leur appartiennent pas, qu’elles les avaient appris auprès de leurs mères et grands-mères et d’autres vieilles femmes durant des fêtes ou parfois en puisant de l’eau.

Édition du corpus

Collecte:  La collecte a été réalisée entre 2011 et 2013 par Yasmina Fourali avec l’aide de l’une de ses étudiantes, dans le cadre d’un projet personnel de constitution d’un corpus de poésie féminine festive. La recherche a été effectuée dans trois localités de la Kabylie-Algérie : Ahl El Ksar(Ath-Laksar), Takerboust (wilaya de Bouira) et Tala Ouamar –Tizi Gheniff (wilaya de Tizi-Ouzou). Les performances sont sollicitées et les séances ont eu lieu au domicile des chanteuses.

Transcription et traduction:  Corpus transcrit et traduit par Yasmina Fourali.

Contexte

Le terme urar est un nom polysémique qui signifie étymologiquement « jeux » ; le dérivé amurar « joueur »désigne celui qui prend part à l’urar. Dans un sens plus restreint, urar renvoie à la séance de chant accompagnée de danse, à la satire et au rire qui créent de l’animation et qui procurent de la détente. En Kabylie, ce terme est employé pour différentes occasions festives (tameghra « la fête »).Dans ce contexte, il désigne l’une des étapes du cérémonial1 marquant la naissance d’un enfant (surtout de garçon), la circoncision et le mariage. Durant ces manifestations, on assiste à la réalisation de différents genres de poésie. Cette poésie, dite « festives », se distingue, selon les énonciateurs, en poésie festive féminine et masculine.

Le mariage est l’occasion par excellence où l’urar donne lieu à une performance durant laquelle se suivent plusieurs genres poétiques2 féminins qui sont chantés et dont certains sont accompagnés de danse. L’urar constitue ainsi un cadre réglementé où les femmes s’assument dans un chœur dénommé urar n lxalat, en outrepassant (aussi bien au plan social que poétique et rhétorique) les tabous. En effet, au cours de la séance, dans un espace clos (qui leur est réservé), les femmes s’expriment vocalement et corporellement pour chanter l’amour et l’interdit ; ces chants sont réalisés selon des rythmes traditionnels improvisés.

De manière générale, la forme et le contenu de la poésie féminine chantée festive varient en fonction de la fête et des étapes au cours des quelles cette poésie est produite. Les manifestations et la terminologie varient dans les différentes régions de l’aire berbère. Cependant, cette variabilité repose sur une certaine unité culturelle concernant à la fois les fêtes et les poésies, lesquelles ont plusieurs fonctions, entre autres : la bénédiction, la « purgation » de l’âme (dans le sens de catharsis) et les vœux de bonne réussite pour l’évènement.

Quelques traits constants caractérisent la performance quelle que soit l’occasion. En effet, cette poésie est chantée lors des fêtes, auxquelles participent plusieurs femmes. Elle est produite et structurée en mètres et en strophes. Elle est chantée selon un rythme donné avec un accompagnement musical qui est généralement le « tambour » abendayer ; elle peut être ponctuée par des « youyous », des applaudissements et des danses. La performance est donc collective. Elle comprend une part d’improvisation et se réalise par séances correspondant à certaines étapes de la fête ou à la fête toute entière.

Pour ce qui est du mariage, schématiquement, il dépend du statut des mariés. Dans l’ensemble, l’urar dure d’une nuit à trois jours, et parfois jusqu’à une semaine, chez le marié. Chez ce dernier, l’urar est plus riche et plus animé car plus joyeux, ce qui n’est pas le cas chez la mariée où ce sont davantage des chants évoquant la tristesse et qui sont liés à la séparation de la fille avec sa famille. Le premier jour est consacré à la préparation de l’imensi n wurar « diner de l’urar ». Le deuxième jour, un cortège constitué d’hommes et de femmes est désigné pour aller chercher la mariée (imensan ou iqeffafen3). Dans la soirée, se déroule une séance d’imposition du henné pour le marié. La matinée du troisième jour, un repas est servi pour la famille (généralement la nouvelle mariée participe à sa préparation) ; le soir a lieu la dernière étape de la fête. La poésie féminine accompagne toutes les étapes et rituels du cérémonial du mariage.

Descriptif

Tous les moments de la fête sont ponctués par différents genres de poésie, le plus important étant l’urar.

Début de la fête:  Des louanges destinées aux organisateurs de la fête (les prénoms des parents sont cités) sont chantés ; ainsi est annoncé le début de la première journée de la fête. Les femmes concernées par la préparation du repas de fête se réunissent à cette occasion.

Préparation de l’imensi n wurar « le repas du soir »: Cette étape est constituée de plusieurs séances de préparation dont chacune est ponctuée de poésie chantée :

— la préparation du blé destiné à la fête — celui-ci est récolté et préparé auparavant4;

— le tamisage de la semoule (poésie chantée et youyous) ;

— le roulement et la cuisson du couscous (poésie chantée et youyous).

L’urarIl concerne l’étape après le repas jusqu’aux environs de minuit, qui est considérée comme la plus importante de la fête, car la plus animée. En effet, la poésie rythme la soirée : chansons en chœur, poésie chantée et accompagnée par le tambour abendayer ; youyous, applaudissements, claquements des mains et danses. Dans certaines régions (Tala Ouamar par exemple), pendant la soirée de l’urar, un petit groupe de femmes joue le rôle d’animatrices : certaines chantent un couplet et les autres femmes présentes (invitées) reprennent, tantôt le même couplet, tantôt le refrain, tandis que d’autres femmes dansent. Quant à la présence d’hommes, elle est réglementée par les liens de parenté et elle est donc très limitée et discrète.

 


 

Notes:

1 La signification du mot urar connaît une variation régionale.  Dans la région de Takerboust et At Lakser, il signifie « poésie chantée » ; dans d’autres régions de la Kabylie, il semble désigner d’une manière métonymique et globale les genres chantés pendant la fête.  Il est aussi dit, dans la région Du Tiznit (Sud du Maroc), que le terme urar il désigne la poésie en général.

2 Tibugharin : il s’agit de poésies chantées durant plusieurs phases de la fête : des louanges au moment de l’imposition du henné ; des louanges pendant toute la préparation du dîner (couscous), des louanges durant la préparation de la mariée, désignées aussi par le terme de chekran etc. L’aḥiḥa « poésie d’amour/ parfois érotique » ; amɛezber « joutes oratoires », ou l’amcečču (dans la région de Takerboust). Chaque genre est situé par rapport à au contexte et au rituel de production.

3 La dénomination et le déroulement de la fête peut varier suivant la région.

4 Durant la saison de la récolte, le prélèvement de la quantité de blé destiné à la fête est ponctué de poésie chantée et de youyous.

 

 


 

 

Poésie féminine chantée de mariage en kabyle, urar

 

 

Les exemples de poésie qui suivent, sont chantés par les femmes lors d’un mariage durant différentes séances. Ce corpus est sollicité et enregistré hors contexte. Nous les présentons dans l’ordre de succession de quelques étapes du mariage.

 

 

Poésie n° 1

Cette poésie de louanges est chantée le premier jour de la fête avant l’urar ; elle s’adresse aux organisateurs de la fête les « parents », parfois en citant leurs prénoms.

A lall n tmeɣra

Ô maîtresse de la fête

A ddegla uɣerbal

Ô dattes dans le tamis

Serbi-d lqehwa

Servez-nous du café

Ad yecbeḥ wurar

La fête sera bien embellie

Ala la ala halala

Ala la ala halala

A lalln tmeɣra

Ô maîtresse de la fête

A ddegla n seksu

Ô dattes du couscous

Seḥmu tesliliw

Accentuons les youyous

Ad yecbeḥ wussu

Le lit [de la mariée] sera plus joli

Ala la ala halala

Ala la ala halala

Nouara

 

Poésie n° 2

Cette strophe (joute oratoire)est chantée par un groupe de femmes qui simulent un dialogue entre le marié et sa mère (c’est la mère qui parle la première) ;elle est accompagnée d’applaudissements, de youyous et de danse sur le rythme du tambour.

— A Naɣa Muḥend a mmi

— Ô Mohand mon fils

Tuker-iyi litra n zzit

Elle m’a volé, de l’huile un litre

— Anef-as, annef-as a yemma

— Laisse-la, laisse-la, ô Mère

Iḍelli I d-tedda d tislit

Mariée, elle ne l’est que depuis peu

— A Muḥ, a Muḥ

— Ô Mouh, ô Mouh

A Naɣ a Muḥend a mmi

Ô Mohand mon fils

Ur tessin ula d seksu

Le couscous, elle ne sait pas comment le rouler

— Anef-as, annef-as a yemma

— Laisse-la, laisse-la, ô Mère

Tettgerriz-iyi-id ussu

Le lit, elle sait bien me le faire

— A Muḥ a Muḥ

— Ô Mouh, ô Mouh

Ourdia

 

Poésie n° 3

Cette poésie est chantée par une tante maternelle, s’adressant à la mariée afin de la rassurer et de lui témoigner de la considération.

A yelli ass-a d lferḥ-im

Ô ma fille, ce jour est ton bonheur

Ass-a teldi tewwurt fell-am

En ce jour, la porte s’ouvre pour toi

Leɛmum d lexwal akken ma llan

Ici, tes oncles tous réunis

Ass-a ad m-xedmen ccan

Désormais, grandiront ta valeur.

Ourdia

 

Poésie n° 4

Cette poésie est chantée pour présenter des louanges à la future mariée au moment de l’imposition du henné (en fin de soirée), par une proche.

Smellah ad d-nebdu

Avec le nom de Dieu nous commencerons

Ad nebdu deg tewwurt

Nous commencerons à partir de la porte

Ad necker tislit

Nous présenterons des louanges à la mariée

Amzun d tasekkurt

Elle est telle une perdrix

Amenzu d aqcic

Son premier enfant sera un garçon  

Ad iεemmer tamurt

Il va enrichir le pays

Hadjila

 

Poésie n° 5

Cette poésie est un extrait d’une joute oratoire (duel) chantée le deuxième jour de la fête, par une femme proche, au seuil-intérieur de la porte de la maison où habite la mariée

Meḥba, mreḥba

Bienvenue, bienvenue

S ssut n yibzimen

Au son des broches5

Tislit i ɣer i d-tusam

La mariée pour qui vous êtes venues

Iwin-tt yitbiren

Des pigeons l’ont emmenée

Ahat di lebḥer

peut-être en mer

Σewqent sfayen

Les bateaux sont désorientés

Ulac aɛewwam

y a pas de nageur

Ar tt-iselken

qui va la sauver

Yamina

 

Poésie n° 6

Cette poésie est chantée en soirée par une vieille femme, généralement une proche, qui rassure la jeune mariée au moment où on lui met le henné et qui met sa beauté en valeur :

A taqcict tamejṭuḥt

Ô petite fille

Yekkaten lḥenni tettru

À qui on met le henné et qui pleure

Zɛefran deg tqemmuct

Le safran sur tes lèvres luit

Terna sxab isaru6

Ton collier en clous de girofle bien ajusté

Ay aqcic ruḥ s leɛqel

Ô jeune marié, prudence

Yuɛer yiḍ amezwaru

Pénible est la première nuit

Hadjila

Poésie n° 7

Cette poésie est chantée (chez le marié) par une proche du marié afin d’honorer la mariée la matinée de sa noce

A Lalla tislit

Ô Lalla7, la mariée

A yudem n rbeḥ

Toi au visage de lumière

Sal ɣef urgaz i tuɣeḍ

Salue l’homme que tu as épousé

Amzun d lmesbeḥ

Telle une lampe, tu éclaires

Lexber ad yaweḍ yemma-m

Ta mère, une fois informée

Ad teɛyu tefraḥ

De toi, elle ne sera que fière

Khoukha

 


 

Notes:

5  Broches : fibules (agrafes servant à retenir les extrémités d’un vêtement) en argent.

6 Sxab isaru : un collier fait à base de clous de girofle et d’autres perles de couleurs et à saveur dont les perles sont bien ajustées (isaru) et colorées. La mariée le prend avec elle le jour de son mariage.

7  Lalla : titre honorifique pour signifier qu’une femme est issue d’une grande famille. Ici, il est utilisé pour dire qu’elle a honoré sa famille.

 


 

Références:

    • ABROUS Dahbia, 1992, « Les joutes poétiques du henné : compétition d’honneur et rapt symbolique », Etudes et Documents berbères, n°9, pp147-164.
    • AIT FEROUKH, Farida, 1993, « Le chant kabyle et ses genres », in Encyclopédie Berbère, n°12, pp.1869-1871.
    • DJELLAOUI, Mohamed, 2009, L’évolution de la poésie kabyle et ses caractéristiques entre la tradition et la modernité. T1, La poésie traditionnelle, Alger, HCA, p. 163.[Texte en arabe].
    • HAOUCHINE, Omar, janvier 2019, Ccna, une poésie féminine de Kabylie : complaintes, conflits et régulation sociale, Thèse doctorat, sous la direction de Dahbia ABROUS et Mourad YELLES, Paris, INALCO, pp. 86-88.
    • KHERDOUCI, Hassina, 2008, « Poésie et chanson féminines de Kabylie », in Etudes et Documents Berbères, 27, pp. 5-26. https://www.cairn.info/revue-etudes-et-documents-berberes-2008-1-page-5.htm
    • MAHFOUFI, Mhenna, 1988, « Chant d’évocation amoureuse de type aia des Ait Issad de Grande Kabylie » in » Littérature arabo-berbère, 19-20, Paris, pp. 109-143.
    • LACOSTE-DUJARDIN, Camille, 1981, « Des femmes chantent les hommes et le mariage : Louanges lors d’un mariage en Kabylie », Littérature arabo-berbère, 12, Paris, pp. 125-161.
    • RABIA, Boualem, 1988, « Les joutes poétiques féminines dans les mariages aux Ait Ziki (Kabylie) », in Awal : Cahiers d’études berbères, n°4, pp. 85-121.
    • SALHI, Mohand-Akli, avril 2001, « Poésie féminine et poétique kabyle », in Actes du colloque international des femmes et des textes dans l’espace maghrébin, Constantine les 21, 22 et 23 mars, Expression n°7, p. 211-213.

Corpus inédit, © Yasmina Fourali

Heeso carruureed – Hordhac / Préface

 

Hordhac Préface

 

Buuggan la magac baxay Heeso carruureed waxa lagu soo ururiyey heesa hawleedka dumarka, siiba kuwa dhallaanka ay ugu heesaan iyaga oo hawl maalmeedkooda gudanaaya loona yaqaanno « Heesaha hoobey hoo­beyda », waana jaad suugaanta ka mid ah oo ay haweenku gaar u leeyihiin.

Heesaha intooda badan waxa ururiyey (Eebbe ha u naxariistee) Siciid Axmed Warsame oo ka hawlgali jiray Xarunta Cilmi Baadhista ee Jabuuti (CERD), dhintayna 2013. Waxa uu heesahan ka ururiyey 1980 maadkii ayeeyooyin reer Jabuuti ah iyo kuwo ka soo jeeday waqooyiga Soomaaliya amma qaybta imika la magac baxday Soomaaliland. Anna waxaan ku daray in kale oon ka duubay hooyaday Xabiba Warsame Jibriil 2019kii. Labadan qof iyo dumarkaa aqoontoodii soo tabiyey la’aantood buuggani ma soo baxeen.

Heesahan waxa laga yaqaan geyiga soomaaliyeed oo dhan iyaga oo mar mar wax yar ku kala duwan. Marka ay si dabeeci ah u heesayso hooyadu waxay isku dartaa tuducyo ay ku ammaanayso, ay ku dhiirri galinayso, ay ugu waayo celinayso amma ugu ducaynayso kuwa ay ku ammusiinayso ilmaha.

Heesahan waxa loo kala saaray laba qaybood : Qaybta hore hablo iyo wiilalba waa loogu heesaa, marba hooyada ayaa dhidigaysa amma lab ka dhigta heesta ay ugu heesayso ilmaha ay dhabta ku hayso. Heesahaasi waa kuwa hooyadu ku heesto marka uu ilmuhu luloonayo amma gaajoonayo amma uu xanuunsan yahay.

Qaybta labaad oo wax sheeg ah waxay ka kooban yihiin ammaan, waano amma hogo tusaale. Heesaha hooyaduna way kala duwan yihiin marka ay wiil u heesayso iyo marka ay gabadh u heesayso. Marar kale hooyadu iyadaa iska hadlaysa oo dhalliil iyo cabashadeeda soo jeedinaysa amma wax qabadkeeda soo bandhigaysa.

Buuggan oo daabacadii  koobaad ah, heesaha waxa loo kala saaray mawduucyo halka sida caadiga ah hooyadu kolba mawduuc u boodo si ay u tusto wax-qabadkeeda iyo hal-abuurkeeda. Sidaa daraadeed heesaha ku duuban cajaladdani la socota buuggan waxay isku daba socdaan sida ay buuggan ugu qoran yihiin. Sidaa oo ka duwan sida caadiga ah ee ay u heesaan dumarku.

Labadaa qaybood waxaan u kala bixiyay : sabid iyo maaweelo.

Qaybta sabidda waxa ku jira heesaha hooyadu ilmaha ay kula hadlayso oo ay ku aammusiinayso kolka ay hurdo, gaajo amma xanuun hayo. Heesaha nuucan ah way ka gaagaaban yihiin kuwa maaweelada.

Heesaha nooca labaad ee maaweelada ahi way ka dhaadheer yihiin, way ka suugaanaysan yihiin, mawduucyada ku soo aroorayna way ka badan yihiin kuwii qabta koobaad. Aalaaba, hooyadu waxa ay ugu heestaa habeenkii marka hawlaha maalintu ay ka kala yaraadaan ee ay wakhti haysato. Xilliyadaa, ilmaha oo ku tiirsan laabta hooyadii ayaa ku laama­dooda luuqdeeda ay tirinayso habeenka oo sii galbanaaya.

 

Le présent recueil, Heeso carruureed, réunit des « Chansons pour enfants », des berceuses, qui sont chantées par les femmes dans leurs activités quotidiennes. Il s’agit d’un genre versifié exclusivement féminin.

Les textes proviennent, en grande partie, d’une collecte réalisée dans les années 80 par Said Ahmed Warsama, un linguiste djiboutien, décédé en 2013. Ils ont été recueillis auprès de femmes originaires du nord de la Somalie (l’actuel Somaliland) et de Djibouti. Je les ai complétés par des enregistrements effectués en 2019 auprès de ma mère, Habiba Warsama Djibril, à Djibouti. Ce livre doit beaucoup à toutes ces personnes.

Les chansons se rencontrent, avec de légères variantes, sur l’ensemble de la Somalie et à Djibouti. En contexte naturel, les mères ou les grands-mères enchaînent les vers en lien direct avec les pleurs de l’enfant. Elles y intègrent également des considérations plus générales sur la vie, des conseils, des souhaits, des prières ou des éloges.

Les chansons se répartissent ainsi, en deux catégories : la première est destinée aux enfants, qu’ils soient filles ou garçons, la mère mettant au féminin ou au masculin son texte selon le cas.

Dans la deuxième catégorie, le contenu — des louanges, des prières ou des conseils — varie selon le sexe de l’enfant ; par ailleurs, les chansons ne concernent pas uniquement l’enfant ; elles servent aussi de moyen d’expression à la mère pour se mettre en valeur, exposer ses plaintes ou lancer des imprécations contre ses ennemis.

Dans cette publication, les textes sont regroupés par thèmes, alors que, dans la pratique, les femmes « papillonnent » d’une thématique à une autre. Elles montrent ainsi toute l’étendue de leur répertoire et leur capacité d’adaptation et d’improvisation. Les enregistrements qui accompagnent ce petit livre ne sont donc pas issus des performances naturelles ; il s’agit au contraire d’une oralisation des textes dans l’ordre du plan du recueil.

J’ai classé les chansons en deux catégories, sabid et maaweelo.

J’ai regroupé dans la catégorie de sabid (du verbe sab « calmer un enfant en lui promettant quelque chose »), les textes dont les thèmes sont en lien direct avec ce mot. Ce sont des chansons pour calmer l’enfant qui a faim, qui est malade, qui veut dormir… Elles sont moins longues que celles de maaweelo, « divertissement ».

En effet, dans cette seconde catégorie, les chansons de la mère sont plus développées, plus poétiques et les sujets abordés plus variés. Elles sont chantées habituellement le soir, quand la mère, après ses occupations de la journée, dispose d’un temps libre à consacrer à son enfant. Ces instants d’intimité où mère et enfant se retrouvent sont propices à des déploiements poétiques, et la mère peut s’adonner à des louanges pour son enfant. Généralement tenu sur les genoux de sa mère (ou sa grand-mère), la tête appuyée contre la poitrine, l’enfant est bercé, saisi par les vibrations lentes et étirées de la voix maternelle dans la nuit qui avance.

Sakaar iyo maydhaqeey ya / Tu es aussi délicieuse qu’un filet mignon et qu’une poitrine

 

Sameeya Sameey Sameeya.

Naa Sameey sarar iyo laggeey ya

naa sakaar iyo maydhaqeey ya

naa sedkii Alla keenayeey ya

naa sedkaan la saluugineey ya.

Naa Siman baa hooyadaaya

naa Saluuglaa habaryartaaya

naa Suldaan baa kuu adeera

naa Imiir baa aabbahaaya

naa abkaa la dhaliili maayo

naa dhaliil male dhalashadaadu.

 

Samey1 ô Samey.

Ma fille, tu es délicieuse comme les côtes premières ou la poitrine de mouton2,

comme le filet mignon ou la poitrine.

Ma fille, tu es ce don de Dieu,

un don qui ne souffre d’aucun reproche.

Ma fille, Simane3 est ta mère,

ma fille, Salougla’4 est ta tante maternelle,

ma fille, ton oncle paternel est un Sultan,

ma fille, ton père, un Emir.

Ma fille, ta généalogie est irréprochable,

ma fille, ta naissance est irréprochable.

Aslaaya Aslaay Aslaaya.

Naa Aslaay abtirsiimadaadu

naa ashraaf iyo culimo weeye.

Naa Ardooy culimada tolkaaya

naa cashuur laga qaadi maayo

naa xafiiska la joojin maayo.

 

Asli, ô Asli

Ma fille, Asli, ta généalogie

est composée de dignitaires et de savants.

Ma fille, Ardo, les savants de ton clan

ne paieront pas d’impôts,

ils ne connaîtront pas la prison.

Naa haddii la is qolaqoleeyo

naa haddii ninba qoladi sheegto

naa aduun baa u qola sarreeya.

 

Ma fille, si maintenant on se répartit en clans,

ma fille, si chacun dévoile le sien,

ma fille, sois sûre que le tien surclassera tous les autres.


Notes:

1  Samey (de same « le bien ») : fille qui est bien ou bonne. C’est la qualité suprême qu’une mère peut souhaiter à sa fille.

2  Les Somalis sont des pasteurs, ils possèdent plusieurs termes pour nommer une même partie du mouton. En l’occurrence, deux termes, sarar et maydhaq, désignent « le filet mignon » et deux autres, sakaar et leg, « la poitrine » de mouton.

3  Simane (de sinaan « égalité ») : « celle dont les qualités physiques sont égales aux qualités morales ».

4  Salougla’ (de saluug« défaut » + la’ « sans ») :« Parfaite ».

Dhibaay gabadh dhalatay waa dhib / Ma fille, Dhiba, ô Dhiba

 

Naa Dhibaaya Dhibaay Dhibaaya.

Naa Dhibaay gabadh dhalatay waa dhib.

Naa maxaa laga dhalay dhibteeda ?

Naa dhimaal baan doonideeda 

naa dhig iyo udub gooyadeeda

naa dhibti ma dhammaaninteeda !

Naa Dhibaay gabadh dooni maayo.

 

Dhiba, ô Dhiba1.

Ma fille, une fille qui naît est une difficulté.

Pourquoi donc l’a-t-on mise au monde ?

Pourquoi lui bâtir une maison2 et la meubler

en s’abîmant les mains à couper et planter des pieux ?

Pour une souffrance qui ne cesse pas ?

Ma fille Dhiba, je ne veux point de fille !

Naa Ardooy waa beenahayga !

Naa nin gabadh le ayaa godagodeeya

naa nin gabadh le ayaa geed ka baana

naa nin gabadh le ayaa gogol qarsoon leh

naa nin gabadh le ayaa geel la siiyaa.

 

Ardo3, ma fille, je raconte des balivernes !

Ma fille, seul un homme qui a une fille change d’avis à loisir.

Ma fille, seul celui qui a une fille peut se rendre sous l’arbre à palabre.

Ma fille, seul celui qui a une fille peut s’allonger sous une terrasse abritée.

Ma fille, seul celui qui a une fille peut recevoir un troupeau de chameaux.


Notes:

1  Dhiba (de dhib « difficulté ») : littéralement « celle qui est éprouvante ».

2  L’habitat des futurs mariés est fabriqué par la mère de la femme, d’où cette remarque.

3  Ardo (de l’arabe arḍ « terre ») : il s’agit d’une fille posée, calme.

Balooy badheey bal aammu / Cesse de pleurer, le malheur est loin de nous

 

Hobeeya hobeey hobeeya.

Hooyo balooy baydheey bal aammu

hooyo balaayo beesheena maaha

hooyo baroor xuni innagama yeedho.

Hooyo marka cassarkiyo caweyska

hooyo marka ciddu soo galayso

hooyo markay culimadu dhawaaqdo

hooyo lagaama ci’iyooy Cawooya !

Hooyo halkaad ka calaacaleyso

hooyo halkaad Xalaneey ka cabani

hooyo halkaad xalay ladis ka weydey

hooyo Qawiile ha kuu qaboojo

hooyo laguu mari gacanta Maxammad 

hooyo malayko ha kuu malmaliso!

 

Hobeeya hobeey hobeeya.

Fille, cesse de pleurer, le malheur est loin de nous,

fille, il ne sévit pas dans notre campement,

fille, aucun cri d’alarme ne provient de chez nous.

Fille, entre la fin de l’après-midi et le début de la soirée,

fille, quand les gens rentrent au bercail,

fille, quand le muezzin appelle à la prière,

ˁAwo1, rien ne doit te faire pleurer !

Fille, là où tu te plains,

Xalane2, qui te fait souffrir,

qui t’a empêchée de dormir hier soir,

fille, que le Tout-Puissant t’apaise,

fille, que la main de Mohammad te guérisse, 

fille, que les anges te soulagent!

Waar bildhaan dheerow bal aammu !

Waar halkaad ka calaacalayso

waar halkaad caatada ka sheegan

waar Caffoole ha caafimaadsho

waar Qawiile ha kuu qamoojo

waar lagu mari gacanta Maxammad

waar maleyko ha kuu malmaliso

waar ayeeyo ha kuu affuufto !

 

Ô brillante étoile, calme-toi mon fils !

Fils, là où tu as mal,

fils, la source de ces gémissements plaintifs,

que te guérisse Celui qui détient le pouvoir de guérir,

que le Tout-Puissant apaise ta souffrance,

que la main de Mohammad te guérisse,

que les anges te soulagent,

que grand-mère par son souffle adoucisse ta douleur !

Waar agoonimo wey xun tahaye

waar adowgaa nimaan aheynin

waar indhaha kuu ma cadcaddeeyo.

Waar ha iilan ha aabbo waayin

waar ha iilan awgii samoo wa

waar ha iilan Abaadir sheekhe

waar ha iilan Allaaha weyne !

 

Fils, être orphelin est une véritable tragédie,

c’est pourquoi, fils, en dehors de ton père,

j’espère qu’aucun autre homme ne jettera sur toi un regard sévère.

Ô fils, ne perds pas ton père, ne sois pas malheureux !

Ô fils, ne sois pas malheureux, toi à l’excellente lignée !

Ô fils, ne sois pas malheureux, par Cheikh Abadir3 !

Ô fils, ne sois pas malheureux, par Dieu Tout-Puissant !


Notes:

1  Littéralement « chance » ; Cawo [ʕawo] est un nom féminin.

2  Xalane [ħalane] (de xal « laver »), « propre, lavée » : celle qui est lavée de ses défauts.

3  Religieux arabe du XIIIe siècle venu s’installer dans la ville de Harar (Ethiopie) dont il deviendra le saint patron. Le clan somali de Sheekhaal se dit descendant de ce religieux.

Miyaad gaajootay gacalle ? / Aurais-tu faim, mon chéri ?

 

Hobeeya hobeey hobeeya.

Hooyo balooy baydheey bal aammu

hooyo belaayo besheena maaha

hooyo baroor xuni naga ma yeedho.

Waar miyaad gaajootay gacalle ?

Waar ma naaskii baa gabnoobey

gabnoobood godol ka weydey ?

Waar haddaan geelli col qaadin

waar ammaan gabanadii la leynin

waar haddaan giirtii hallaabin

hooyo mar uun baad gaajo beeli.

 

Hobeeya hobeey hobeeya.

Fils, cesse de pleurer, le malheur est loin de nous,

fils, il ne sévit pas dans notre campement,

fils, aucun cri d’alarme ne provient de chez nous.

Est-ce que tu as faim mon chéri ?

Est-ce que mon sein a tari

au point de ne plus te donner une goutte de lait ?

Fils, si le troupeau de chameaux n’a pas été détourné par l’ennemi,

si les chamelons n’ont pas été décimés,

ou encore si les vaches ne se sont pas égarées

je te promets, fils, que bientôt ta faim cessera.

Waar miyaad gajootay gacalle ?

Waar ma geelli baa aroorey

waar arooroo alal ku raagey ?

Hooyo haddaad gajootay gacalle

waar ha soo galo geellu xerada

waar ha soo galo gorof hagooge

waar ha soo galo gaajo reebe

waar ha soo galo godol ma raaje

waar ha soo galo gaawa buuxshe

waar ha soo galo dhiin gableeye.

 

Est-ce que tu as faim, mon chéri ?

Fils, est-ce que le troupeau de chameaux est parti s’abreuver

et n’est toujours pas rentré ?

Si tu as faim, mon chéri

fils, bientôt le troupeau de chameaux rentrera dans l’enclos,

fils, bientôt les pis gorgés des chamelles surplomberont le gorof 1,

fils, bientôt arrivera le troupeau et il mettra un terme à ta faim,

fils, bientôt le lait jaillira de ces pis gonflés,

fils, bientôt les récipients seront remplis,

fils, bientôt les vaches arriveront dodelinant de la tête.

Waar miyaad gajootay gacalle ?

waar ma geelli baa arooray

waar arooroo alal ku raagay ?

waar ma naaskii baa gabnoobay

waar gabnooboo godol ka weydey ?

Waar ma reerkii baa saboolay

waar sabooloo subag ku siinin ?

Hooyo ma aabbaa kaa socdaalay

oo socdaaloo socod ku raagey ?

Hooyo Warsame weydow wagdaale

hooyo wardoon baa innoo maqnaaye

hooyo war sani ha innoo yimaado

hooyo war runi hay naga maqnaado.

 

Est-ce que tu as faim, mon chéri ?

Fils, est-ce que le troupeau de chameaux est parti s’abreuver

et n’est toujours pas rentré ?

Fils, est-ce que mon sein a tari

au point de ne plus te donner une goutte de lait ?

Fils, est-ce que le campement s’est appauvri

au point qu’on ne te donne plus de beurre ?

Fils, est-ce que ton père a entrepris un long voyage

et qu’il est toujours retenu au loin ?

Ô mon frêle2 Warsame3 aux jambes arquées4,

un éclaireur est envoyé,

qu’il nous revienne avec de bonnes nouvelles

et que les mauvaises soient loin de nous !

Hooyo ma jeeskiinaa sabool ah

hooyo sabooloo subagba lulanin ?

Hooyo ma jashaa hooyadaaya ?

Hooyo ma jillaa aabbahaaya ?

Hooyo carruuri hadday haraado

hooyo haddaan geel loo aroorin

hooyo ama cosob kulul la daajin

hooyo cabadow caano ma laha.

Hooyo habeenkuna waa sidaase

hooyo haleelow hawla daaji

hooyo hogob cawsle jooji.

 

Fils, est-ce que ta famille s’est appauvrie

au point qu’on ne baratte plus du beurre ?

Fils, est-ce que ta mère est négligente5 ?

Fils, est-ce que ton père l’est tout autant ?

Fils, si les enfants sont assoiffés,

fils, si, pour eux, l’on n’a pas abreuvé le troupeau de chameaux,

ou qu’il n’a pas brouté de l’herbe sèche

ô brailleur, les bêtes ne donneront pas de lait.

Fils, la nuit est semblable en tout point à cela,

ainsi, ce travail est à effectuer par celui qui en a la charge,

il doit mener le troupeau dans un pâturage abondant.

Hobeeya hobeey hobeeya.

Hooyo balooy beydheey bal aammu 

hooyo baladu beesheenna maaha.

Hooyo kolkay baalaha marayso

hooyo bisinkaa la cuskadaaye

hooyo Quraankaa la badsadaaye.

 

Hobeeya hobeey hobeeya.

Fils, cesse de pleurer, le malheur est loin de nous,

fils, il ne sévit pas dans notre campement.

Fils, lorsqu’il fait ses ravages dans les environs,

fils, il faut invoquer le nom de Dieu,

fils, il faut lire intensément le Coran.


Notes:

1  Récipient pour recueillir le lait de chamelle.

2  En milieu nomade, on apprécie pas que quelqu’un soit gros.

3  Warsame (de war/same, mot à mot « nouvelle/bonne ») : nom donné aux garçons pour saluer la bonne nouvelle que représente cette naissance.

4  Les jambes arquées sont un signe de beauté chez les garçons, car ils deviendront de bons marcheurs.

5  La négligence porte ici sur un point précis : la nourriture. Jal, le fait de nourrir une personne malade ou mourante, est une tâche féminine, alors que jil signifie assurer la nourriture à des personnes et relève de la responsabilité du père.

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