L’intertextualité est la relation qui unit un texte littéraire à d’autres textes préexistants auxquels il s’oppose ou fait écho. La notion d’intertextualité a joué un rôle central dans la définition de la littérarité à partir des années 70, tout texte littéraire étant vu comme réécriture de textes antérieurs par le biais de citations, d’allusions, de références, de plagiats, de parodies, etc. On parle d’intertexte pour désigner l’ensemble des textes concernés par cette relation et qui se constitue autour d’un texte lu dans une perspective intertextuelle.
La notion d’intertexte est un enjeu important de l’étude des littératures en langues africaines, à la fois en ce qui concerne l’oralité et l’écriture, dans la mesure où elle permet de rendre compte des adaptations transculturelles, des phénomènes de traduction. S’il existe un intertexte interne à la production littéraire au sein de chaque langue, notamment entre différents genres, la notion pourra servir à mesurer le degré d’ouverture de productions littéraires souvent pensées comme endogènes dans le cas des littératures en langues africaines.
On peut considérer les productions de la littérature orale comme fondamentalement intertextuelles dans la mesure où elles assoient leur légitimité sur la reproduction d’un patrimoine revendiqué comme fondateur et intangible. L’attachement affiché à une « tradition » pour la littérature orale en fait un régime d’énonciation littéraire essentiellement intertextuel. Dans le cas du conte, l’intertextualité dépasse le cadre de patrimoines culturellement endogènes, puisque des cycles transcontinentaux ont pu être identifiés (« l’enfant terrible », « la fille difficile », etc.) qui posent la question des modalités de circulation de ces trames narratives transculturelles. Parce qu’il repose sur des séries de « motifs » combinables qui donnent lieu à un véritable meccano pour la création d’œuvres originales, le genre du conte peut être considéré comme un genre particulièrement intertextuel.
Le développement des littératures écrites en langues africaines s’est, tout au long du 20ème siècle, largement fait par le biais d’une hyperconscience intertextuelle : citation de la bible dans le cas de la littérature en contexte missionnaire, réécriture de la tradition orale dans le cas de la littérature militante nationaliste comme c’est le cas à Madagascar, dans les mouvements nationalistes gikuyu au Kenya et zoulou en Afrique du sud, mais également appropriation de styles ou de genre venus d’autres continents. La querelle dite du « vers libre » dans la poésie swahili des années 70 a ainsi opposé les partisans d’un maintien de la métrique arabe dans la poésie swahili et les adeptes d’une liberté formelle venue d’Occident, considérée comme mieux adaptée à l’expression de l’âme africaine.
L’exhibition de l’intertextualité, dans le cas des littératures orales comme des littératures écrites, est toujours un enjeu stratégique important dans les contextes politiques et culturels complexes où sont engagées les productions littéraires.
Xavier Garnier