Langues africaines

 

L’Afrique concentre environ le tiers des langues du monde, soit plus de 2 000. Il est difficile cependant d’en donner un nombre exact, car tout le monde ne s’accorde pas sur leur statut. Si l’on prend, par exemple, le cas de la langue peule, qui est parlée du Sénégal jusqu’aux rives de la mer Rouge, pour certains auteurs, elle compte pour une unité-langue, caractérisée par une diversification interne en variétés dialectales. Pour d’autres, il existe certes une macro-langue peule abstraite, mais elle regrouperait neuf langues individuelles. On ne parle plus alors de variétés dialectales. Pour cette langue, on passe donc d’un nombre de 1 à 9 suivant la façon dont on analyse ses variétés. D’autre part, chaque année, il y a des langues africaines qui disparaissent et d’autres que l’on découvre. En outre, sur le long terme, on en voit naître de nouvelles, issues souvent de contacts prolongés entre langues africaines et arabe/ anglais/ portugais/ français.

S’il est un domaine où la connaissance des langues africaines a beaucoup évolué depuis le milieu du XXe siècle, c’est celui de leur classification. En 1955, Joseph Greenberg reprend en un seul volume des articles parus dans le Southwestern Journal of Anthropology en 1949, 1950 et 1954, où il disqualifie radicalement les classifications antérieures, basées sur des théories évolutionnistes et/ou racistes voire mythologiques ou sur des rapprochements typologiques. Dans une édition ultérieure (1963), il produira son ouvrage définitif. Il y présente 5 phylums ou superfamilles : Niger-Congo, Afroasiatique, Khoisan, Chari-Nil, Nilo-Saharien et Niger-Kordofanien. La plupart des spécialistes actuels (Nurse et Heine, 2004 ; Bonvini, 2011 ; Dimmendaal, 2011) reconnaissent l’existence de 4 phylums, à savoir Afroasiatique, Nilo-Saharien, Niger-Congo, Khoisan.

Voici quelques noms de langues africaines, classées par phylums, et géographiquement, du nord au sud:

    • Afroasiatique :  hausa (ou haoussa) ; tamasheq (ou touareg) ; somali 
    • Nilo-Saharien :  kanuri (ou kanouri) ; ngambay ; soŋay (ou songhay)
    • Niger-Congo :  wolof ; fulfulde, pulaar (ou peul) ; bamanan (ou bambara) ; akan ; yoruba ; (ou yorouba) ; igbo ; ewondo ; kiswahili (ou swahili), kikoongo (ou kikongo), lingala, sango, zulu (ou zoulou)
    • Khoisan :  langues des « Hottentots » et des « Bushmen » d’Afrique australe

Cette classification est étayée par la méthode comparative, qui établit les affinités entre langues en en comparant le vocabulaire. Des divergences existent et existeront sans doute encore longtemps au niveau de la sous-classification dans les phylums. Il n’est pas impossible non plus qu’à l’avenir de nouveaux regroupements voient le jour. Des tentatives sont faites en ce sens de temps en temps, sans toutefois emporter l’adhésion générale.

« Alors que certains pays africains, tels que ceux d’Afrique du Nord, n’abritent que peu de langues, beaucoup d’autres comptent de nombreuses communautés linguistiques au sein de leurs frontières. Le Nigeria en aurait presque 500, le Cameroun 300, et trois autres pays, plus de 100. Cette prolifération est la source d’un problème pratique de communication dans un pays donné défini en termes de nation, problème qui est souvent « résolu » par l’emploi, comme langue nationale ou officielle, de la langue de l’ancien colonisateur, ou de l’arabe ; on réduit ainsi au rang de “dialectes” locaux toutes les autres langues, dont certaines peuvent être parlées par des millions de locuteurs et dotées d’une riche littérature orale et écrite […] (Nurse et Heine, 2004, p. 11) ».

On entend encore souvent dans les médias occidentaux (et même africains) parler des « dialectes africains ». Ils s’opposeraient aux langues comme le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien, l’allemand, le russe, le chinois, etc. Elles seules seraient dignes de ce nom, parce qu’elles seraient écrites, auraient une grammaire et un dictionnaire et pourraient exprimer des notions abstraites. La colonisation a même poussé les locuteurs africains à intérioriser cette vision dévalorisante.

On répondra à ces assertions en disant que ce n’est pas le caractère écrit qui est définitoire d’une langue, mais le fait qu’elle serve de moyen de communication oral entre personnes. Toute langue, fût-elle purement orale, est structurée par des règles qui régissent les sons et les mots qui la composent. En outre, la fonction même du langage implique la capacité d’abstraction. Si l’on dit « paatuuru » en fulfulde pour désigner un chat, c’est que l’on a la capacité d’abstraire les caractéristiques qui distinguent le chat du chien et de tous les autres animaux, et de reconnaître ces caractéristiques dans toutes sortes de chats que l’on pourrait voir. On peut même parler de « chat » en l’absence de tout animal correspondant à cette dénomination. Bien des langues africaines ont, par ailleurs, la capacité de générer des noms abstraits (de qualité, par exemple), grâce à des préfixes ou des suffixes ajoutés à un radical correspondant à une réalité concrète.

Pour finir, même lorsqu’il n’existe pas de dictionnaire écrit pour telle langue, ses locuteurs ont accès, dans leur esprit, à un répertoire lexical qui constitue bien pour eux leur dictionnaire. Les linguistes s’appliquent à écrire toutes les langues vivantes  et à produire des dictionnaires de plus en plus riches et précis.

 


Note:

L’ expression  “langues africaines” est utilisée ici dans un sens restreint, car elle ne prend pas en compte les langues d’Afrique du Nord comme le berbère et l’arabe.

 


Références:

    • Bonvini, Emilio (responsable), 2011, « Les langues d’Afrique et d’Asie du Sud-Ouest », dans Dictionnaire des langues, sous la direction d’Emilio Bonvini, Joëlle Busuttil et Alain Peyraube, Paris, PUF, p. 1-394.
    • Dimmendaal, Gerrit J., 2011, Historical Linguistics and the Comparative Study of African Languages, Amsterdam / Philadelphie, Benjamins, xviii + 421 p.
    • Greenberg, Joseph H., 1955, Studies in African Linguistic Classification, New Haven, The Compass Publishing Company, 116 p.
    • Greenberg, Joseph H., 1963, The Languages of Africa, Indiana University, La Hague, Mouton, viii + 177 p.
    • Heine, Bernd et Nurse, Derek (dir.), 2004, Les Langues africaines, traduction et édition françaises sous la direction d’Henry Tourneux et Jeanne Zerner, Paris, Karthala, 468 p.

Henry Tourneux