Littérature en kikongo

On trouve en kikongo les deux modalités d’expression littéraire, à savoir l’oralité et l’écriture littéraire.

 

  1. Oralité

1.1.   Les genres oraux

Les genres oraux les plus répandus sont : le conte (nkimpa ou nsamu), le proverbe (ngana), la devinette (ngwalo), la berceuse (kúng’a ndezí), la devise (ndéfi) et le chant (nkúng’a).

Le chant est le genre oral dominant. On y distingue, d’après Mpiku (1972: 124) — qui parle plutôt d’« hymne » — plusieurs sous-genres :

    • nkúng’a masiká « poème de louange » qui célèbre les exploits d’un héros, d’un ancêtre ou les qualités d’une personne ; il s’apparente au nkúng’a matondó ;
    • nkúng’a matondó « poème de remerciement et de reconnaissance » ;
    • nkúng’a mambu « chant de plaidoyer » ; il est chanté par les maîtres de la parole nzonzí (voir section 1.2) ;
    • nkúng’a manyongó « chant de lamentation » et nkúng’a ndilú « chanson funèbre » ;
    • nkúng’a makínu « chant de danse » ; certains chants sont spécifiques à la célébration du mariage ;
    • mikúng’a mya yengé « chant de paix ».

L’écriture littéraire s’est inspirée des chants pour composer des hymnes religieux (voir 2.1).

1.2.   Les maîtres de la parole nzonzí

Un autre fait à noter concernant l’oralité en kikongo est l’existence de spécialistes de la parole, les orateurs nzonzí, qui interviennent dans les réunions publiques consacrées au règlement de problèmes familiaux ou dans des négociations lors des mariages. Dans ces circonstances, les protagonistes communiquent par nzonzí interposés. C’est l’occasion pour ces derniers de se livrer à des joutes verbales, de chanter des louanges (masiká), des plaidoyers (mambu) et des éloges (matondó) des personnes qu’ils soutiennent, de lancer des devises (ndéfi), etc, en impliquant l’auditoire, pris à témoin, dans ce jeu de rôle langagier.

1.3.   Le conte kinsamu

Le terme kinsamu désigne aussi bien le conte que la fable.

Les contes sont dits le soir sur la place du village (mbongi), devant un public de tous âges. Cette pratique a cessé de nos jours et la transmission ne se fait guère que de manière informelle dans le cadre familial.

Les contes peuvent comporter des passages chantés, et le conteur peut faire participer l’auditoire ou non. Les contes  les plus connus sont : Ma Nsyesye na Ma Ngo « Le lièvre et la panthère », Manuere « Le Diable venu prendre femme chez les humains » et Ngola Mamba « Le silure et l’eau ». On retrouve souvent le personnage du Lièvre Ma ncyese, qui incarne la ruse, et celui de la Panthère Ma ngo, qui lui est opposé.

 

  1. Écriture littéraire

Les principales références sur la question sont Mpiku 1972 et Bungui 2003.

Les missions protestantes ont joué un rôle fondamental dans la naissance de l’écriture littéraire en kikongo. Il s’agit notamment de la Baptist Mission Society (BMS) fondée en 1878, de l’American Baptist Foreign Mission Society (ABFMS) en 1881 et de la Svenska Missionsförbundet (société suédoise) en 1884 (Mpiku 1972: 120).

2.1.   Des hymnes et des contes

Le premier ouvrage de littérature écrite en kikongo, Minkunga Miayenge [Chants de paix], paraît en 1887 à Mukimbungu. C’est un recueil d’hymnes réunis par Nils Westlind. La plupart des poèmes sont composés par les catéchistes bakongo (Mpiku 1972:124). Le recueil comptait, dans sa cinquième édition, 423 hymnes (Mpiku 1972: 126).

C’est également à Mukimbungu, en 1892, qu’un journal ayant joué un grand rôle dans ce cadre, Minsamu Miayenge [Message de paix], voit le jour. Le journal est imprimé à Matadi et dirigé par Karl Edvard Laman (Mpiku 1972: 130). D’abord mensuel, puis bimensuel, son tirage est au début de 2000 exemplaires, chiffre qui sera vite dépassé (Mpiku 1972: 122). Les catéchistes bakongo y publient des hymnes religieux inspirés des chants traditionnels, des fables, des contes et des proverbes (Mpiku 1972: 123).

En 1928, Timoteo Vingadio et Catharine Louise Mabie font paraître à Kimpese, un recueil de contes et de poèmes, Nsweswe Ansusu Ampempbe ye ngana zankaka [La jeune poule blanche et autres contes] (Mpiku 1972: 132). La même année sort à Matadi une traduction de Robinson Crusoé par les mêmes auteurs, Nsamu wa Nsau Kuluso [L’histoire de Nsau Kuluso] (Mpiku 1972: 134)1.

2.2.   Les premiers romans

Le premier roman en kikongo est l’œuvre d’un Suédois, John Petterson (Mpiku 1972: 136-137). Le livre, qui a pour titre Nsamu a Mpanzu [La vie de Mpanzu], est en trois tomes ; le premier paraît en 1935 et les deux autres en 1938.

Vient ensuite en 1943 le roman éponyme Kwekwenda [Où irai-je] d’Émile Disengomoka (1915-1965). Le sous-titre du roman est : Klisto yovo kanda? [Vers le Christ ou le clan ?]. L’auteur a laissé également des hymnes.

2.3.   Les autres romanciers

Jacques N. Bahelele publie en 1948 à Matadi, un roman intitulé Kinzonzi ye ntekolo andi Makunda [Kinzonzi et son petit-fils Makunda], et en 1953, un recueil de contes, Bingana bia nsi a Kongo [Contes du pays Kongo].

C’est également au cours de la période qui précéda l’indépendance de la République Démocratique du Congo (RDC) qu’André Massaki publie Nsamu a Nsiamindele [La vie de Ndiamindele] en 1959 dans le journal Sikama 2, et ultérieurement, deux essais et une biographie (Mpiku 1972: 143-144).

L’écriture littéraire en kikongo doit par ailleurs à Antoine Wantwadi un roman, Klisto mu Kongo dia Kimpwanza [Le chrétien dans le Congo indépendant], qui paraît en 1965 aux éditions LECO à Léopoldville [Kinshasa] (Mpiku 1972 : 145).

2.4.   Le théâtre fwanifwani

Le théâtre a existé à Kimpese sous le nom de fwanifwani. Les représentations, données en plein air, avaient surtout lieu pendant les fêtes religieuses. Les thématiques sont sociétales, telles que les croyances locales, les abus de la polygamie, etc. Ce sont des improvisations à partir de scénari convenus. Concernant des pièces écrites, on signalera les deux titres publiés en 1999 par Dianzungu dia Biniakunu : Ana Nzinga [titre éponyme]3 et Muana longa se [L’enfant enseigne le père]4.

Ce parcours rapide montre à l’évidence que l’écriture littéraire en kikongo est étroitement liée au protestantisme qui en a créé les conditions d’émergence, qui l’a initiée, qui lui a fourni ses thèmes et qui s’en est servi dans l’enseignement et le culte en accordant une place centrale à la poésie sous forme d’hymnes religieux.

 


 

  1. Références bibliographiques

    • BIDOUNGA, Olivier, 2015, « Binsamu, contes et comptines Kongo », L’Autre, vol. 16, no 3, pp. 352-360.
    • BUNGI, Maalu, 2003, « Note sur la littérature écrite en langues congolaises », Annales æquatoria 24 pp. 263-282.
    • KALOMBO, Kapuku Sébastien, 2018, Pentecôtismes en République Démocratique du Congo. Tome II : Propos et pertinence d’une éthique missionnaire, Paris, les Éditions du Panthéon, 288 p.
    • KAVENADIAMBUKO, Ngemba Tima, 1999, La méthode d’évangélisation des rédemptoristes belges au Bas-Congo (1899-1919). Étude historico-analytique, Rome, Editrice PontificIa Università Gregoriana, [Coll. Tesi Gregoriana, serie Storia Ecclesiastica, 1], 403 p.
    • MPIKU, Mbelolo ya, 1972, « Introduction à la littérature kikongo », Research in African Literatures, Vol. 3, No 2, pp. 117-161
    • SIVRY, Jean-Michel, 1986, « Examen des besoins et analyse des possibilités de formation et de développement des ressources humaines de l’industrie du livre au Zaïre », UNESCO, Rapport technique RP/1986-1987/111, N° de série FMWCC/BAE/86/16, 29 p. [dactylographié].
    • SÖDERBERG, Bertil et WIDMAN, Radnar, 1978, Publications en kikongo : bibliographie relative aux contributions suédoises entre 1885 et 1970, L’Institut National d’Études Africaines, Upsala, et le Musée ethnographique, Stockholm, Uddevalla, Bohusläningens AB, 63 p.

Élise Solange Bagambula

 

 


 

Notes:

1  Plusieurs ouvrages anglais ont été traduits ou adaptés en kikongo à cette époque, par exemple, The Pilgrim’s Progress from This World to That Which Is to Come de John Bunyan, traduit et publié par Ruth Walfridsson en 1912 à Mukimbungu sous le titre de Ngiendolo ankwa Klisto.

2  Le livre est repris sous le titre de Mwan’ Ansiona [L’orphelin] aux Éditions LECO à Léopoldville en 1960.

3 Luozi (RDC), Kongo Diabanda, 95 p.

4 Luozi (RDC), Kongo Diabanda, 61 p.