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Présentation générale de la littérature
1.1. Modalités
Une donnée à prendre en compte pour comprendre les modalités d’évolution de la littérature orale comme écrite en kiswahili est le double statut de cette langue, à la fois langue première, fortement culturalisée, pour les populations de la côte de l’océan indien, et de langue seconde (langue véhiculaire devenue langue officielle) pour les populations continentales de l’Afrique de l’Est.
L’expression littéraire est hautement valorisée sur toute la côte swahili de l’océan indien en raison d’une prestigieuse tradition poétique attachée à certaines villes comme Lamu, Paté, Mombasa, Tanga. La pratique de la poésie s’y transmet dans certaines familles swahili de génération en génération depuis plusieurs siècles et les manuscrits sont conservés soit dans la sphère privée, soit dans des archives publiques comme à Lamu ou à Zanzibar. De nombreux manuscrits se trouvent également en Europe depuis l’époque coloniale, notamment en Angleterre et en Allemagne.
L’existence d’une poésie lettrée étroitement associée à la perception de la langue et d’un art de vivre swahili, n’exclut pas la présence d’une littérature orale populaire non retranscrite, essentiellement étudiée à travers les contes, les proverbes et les chants.
Le développement d’une littérature imprimée en caractères latins remonte à la fin du XIXème siècle, notamment au Tanganyika sous la colonisation allemande, et va se généraliser au cours du XXème siècle dans toute l’Afrique orientale, illustrant tous les genres littéraires de la modernité occidentale.
1.2. Graphies utilisées
Le patrimoine manuscrit de la côte swahili est totalement rédigé en caractères arabes.
Les premiers textes imprimés en graphie latine le sont dans le contexte des missions protestantes (publication de trois premiers chapitres de la genèse en swahili par Johannes Ludwig Krapf en 1847). Par la suite, et avec la standardisation de la langue en caractères latins, la production utilisant cet alphabet va se développer jusqu’à devenir majoritaire.
1.3. Dynamique
Les dynamiques de production et d’évolution de la littérature en kiswahili sont étroitement associées à des enjeux de politique linguistique. La Tanzanie des années 60 a explicitement choisi de faire du kiswahili un vecteur d’unité nationale, ce qui a provoqué un essor de la production littéraire en cette langue. Il faudra attendre les années 1990-2000 pour voir les écrivains kényans se tourner vers le kiswahili, notamment dans un contexte de tensions fortes entre communautés qui ne partagent pas la même langue première.
Les grands genres de la poésie classique swahili (utenzi, shairi…) sont toujours très vivants et repris par une poésie populaire qui aborde des thématiques contemporaines et qui est massivement diffusée par la presse. L’étroit « compagnonnage » entre une littérature savante ou élitaire et une littérature populaire très présente dans la presse, sur internet et sous forme de brochures éphémères, est une caractéristique de la littérature swahili contemporaine.
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Présentation des genres littéraires
2.1. Poésie
Une prestigieuse tradition de poésie manuscrite, essentiellement religieuse et empruntée au monde islamique, a donné lieu à la conservation de manuscrits dont les plus anciens remontent au XVIIème siècle, comme c’est le cas de la Hamziya, adaptation en kiswahili ancien d’un hymne au prophète Mahomet. Une forme spécifiquement swahili de cette poésie religieuse classique s’actualise dans les longs poèmes épiques appelés tendi (dans les dialectes du nord) ou tenzi (au sud), dont les sujets sont classiquement empruntés à l’histoire arabe ou à la mythologie islamique (notamment les maghâzi arabes qui racontent, en prose, les guerres de Mahomet après l’Hégire). La forme de l’utendi (une succession de quatrains de vers de 8 syllabes), particulièrement utilisée pour la poésie narrative, jouit jusqu’à aujourd’hui d’une grande vitalité et n’est pas cantonnée à la poésie épique mais sert également au poème d’édification morale et à la poésie politique. Le genre de l’utendi, mais aussi d’autres genres poétiques classiques (shairi), sont également largement utilisés pour diffuser une certaine propagande coloniale dans les premières années du XXème siècle.
Le nord de la côte Kenya – et en particulier la région du fleuve Tana et de son affluent l’Ozi – a vu naître la figure légendaire de Fumo Liyongo, le guerrier-poète auteur de fragments héroïques et érotiques non alignés sur les formes de la poésie arabe. Pour cette raison, cette région est considérée comme le cœur historique de la poésie swahilie. Le rôle de celle-ci est important dans le contexte des rivalités entre cités côtières, contexte dans lequel émerge la figure de Muyaka, le chantre de la résistance de Mombasa à la tutelle omanaise au XIXème siècle.
Le choix politique colonial de faire du kiswahili une langue d’unification de l’Afrique orientale est pérennisé après les indépendances par Julius Nyerere à l’échelle de la Tanzanie. Un poète chrétien de Dodoma, Mathias Mnyampala, invente de nouvelles formes poétiques (notamment le ngonjera) dans l’intention d’unifier culturellement le pays autour d’une synthèse culturelle nationale. De nombreux auteurs continentaux vont venir enrichir le corpus de littérature moderne swahili ; un antagonisme latent entre écrivains de la côte et écrivains de l’intérieur va se manifester au grand jour dans le domaine poétique. Dans les années 1970, la querelle dite du « vers libre » cristallise toutes les questions que pose le devenir du kiswahili au cours du XXème siècle. Un groupe de poète de l’université de Dar es Salaam (E. Kezilahabi, M. Mulokozi entre autres) remet en question l’idée que la poésie doive passer par le respect de la métrique ancienne et en appelle dans un même mouvement à une libération de l’inspiration poétique et à un retour aux sources africaines de la poésie tanzanienne en kiswahili. La violence de la polémique qui s’ensuivra s’explique par ses enjeux politiques, notamment quelques années après les massacres de la révolution de Zanzibar en 1965.
2.2. Prose narrative
Si elle ne jouit pas du prestige associé à la poésie, la prose narrative existait cependant (en caractères arabes) sur la côte avant la colonisation. Elle prenait alors le plus souvent la forme du genre-habari qui englobe les textes à contenu informatifs : chroniques, biographies, récits de voyage, notes ethnographiques mais la politique coloniale les a développés. Ainsi, à la fin du XIXème siècle, des africanistes allemands comme Carl Büttner ou Carl Velten suscitent ce type de récits en prose autobiographies (sous l’impulsion de Hermann Brode naît ainsi l’autobiographie du puissant caravanier Tippu Tip) et récits de voyageurs (Safari za Wasuaheli publiés par Carl Velten).
Le processus de standardisation du kiswahili, commencé au cours des années 1920, va favoriser la production de textes de fiction et l’apparition du genre romanesque. Si le premier roman paraît en 1934 dans le contexte missionnaire (Uhuru wa Watumwa « La libération des esclaves) de James Mbotela, il faudra attendre les années soixante pour voir émerger véritablement ce genre notamment autour de la figure de Shaaban Robert, premier membre africain du East African Swahili Committee et promoteur d’une littérature moderne en kiswahili standard. Shaaban Robert, à la fois poète et prosateur, est une figure centrale de la littérature swahilie, se situant au carrefour entre oralité et écriture d’une part, et entre genres fixés par la tradition littéraire classique et exigences d’une littérature qui prend ses distances avec son ancrage arabo-musulman.
Le phénomène marquant de l’évolution de la littérature écrite en kiswahili à partir des années 1960 est le développement de la fiction romanesque de façon conjointe sur la côte et à l’intérieur. De grands noms comme Euphrase Kezilahabi, Mohamed Suleiman Mohamed, Shafi Adam Shafi, Mohamed Said Mohamed, écrivent dans les années 70 et 80 des romans réalistes à la fois sociaux, intimistes et très politiques, qui interrogent avec les moyens du roman la difficile mise en œuvre de l’expérience Ujamaa voulue par le régime « socialiste africain » de Julius Nyerere. Parallèlement à une création romanesque explicitement politique, se développe un roman populaire à grand succès, qui prend la forme du roman policier (Ben Mtobwa). La bande dessinée occupe également une place non négligeable – dans les journaux, mais aussi en albums – et participe de cette veine populaire importante de la littérature.
A partir des années 80 se développe au Kenya une littérature en kiswahili qui va progressivement prendre le relai de la production tanzanienne menacée d’essoufflement. Ce déplacement géographique s’accompagne d’une évolution de la fiction romanesque qui abandonne le réalisme social pour se tourner vers le réalisme merveilleux et la fabulation mondialisée. La critique Elena Bertoncini parle de fables postmodernes à propos de ces textes aux intrigues planétaires et nourries de références à la littérature mondiale. Les enjeux politiques de ces romans restent très prégnants à la fois pour prévenir les risques de violences intercommunautaires au niveau national (Ken Walibora au Kenya) et les méfaits d’une mondialisation financière responsable de la paupérisation et de la dérégulation du continent (Mohamed Said Mohamed, Kyallo Wamitila…)
2.3. Arts de la performance
Si le théâtre écrit existe depuis les années soixante et a été porté très haut en Tanzanie par les figures d’Ebrahim Hussein ou de Farouk Topan, les chercheurs en anthropologie culturelle comme Johannes Fabian, Walter Schicho ou Alain Ricard ont attiré l’attention sur l’existence d’un théâtre populaire oral en kiswahili dans l’est de la RDC notamment autour de la troupe de Mufwankolo dans la région de Lubumbashi.
Les arts du spectacle et de la performance sont, dans toute l’aire de diffusion du kiswahili, portés par le dynamisme et l’inventivité verbale qui caractérise cette langue. Alain Ricard a montré comment le taarab, cet élitaire genre musical venu d’Egypte par les villes côtière s’est progressivement propagé dans les cités et dans le bush et a été réapproprié par les cercles féminins qui le font rapidement évoluer en se libérant des contraintes métriques arabes et en intégrant des genres locaux comme la joute verbale (mpasho) caractéristique des soirées de ngoma (festivités associant musique – dominée par les percussions – et danses) en milieu rural. Si le taraab reste un genre côtier, les arts de la performance verbale en kiswahili ont profité de la vague hip-hop qui s’est répandue à l’échelle du continent pour donner naissance à la bongo flava, le rap tanzanien qui s’est répandu dans tout le pays et dans toute l’aire d’extension du kiswahili. La jeunesse s’exprime à travers des textes en langue de la rue sur la corruption, la dégradation des conditions de vie, etc.
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Etat de la recherche et bibliographie
3.1. État de la recherche
Une particularité des recherches sur la littérature swahilie est l’orientation « orientaliste » qu’elles ont prises aux XIXème et XXème siècles, en raison de la présence de nombreux manuscrits ajami sur la côte de l’océan indien. Si, comme un peu partout sur le continent africain, les contes dits populaires ont été publiés au cours du XIXème, notamment dans le contexte des missions chrétiennes, l’accent a rapidement été mis sur l’influence des contes arabes sur cette production narrative orale, comme par exemple dans le recueil publié par Edward Steere en 1870 sous le titre Swahili Tales as told by the Natives of Zanzibar, et dont plusieurs récits sont démarqués des Mille et une nuits. De nombreux textes de poésie swahili « classique » sont édités jusqu’aux années 50 dans cette perspective d’une inscription dans la tradition culturelle arabo-musulmane.
A partir des années 60, les recherches menées en Tanzanie au sein de la revue Kiswahili, tendent à relocaliser la perspective et insistent sur les conditions socio-historiques de la production littéraire en Afrique de l’Est.
En Europe, un important travail a été effectué en Allemagne sur les manuscrits anciens, notamment à Leipzig autour d’Ann Bierksteter et de Gudrun Miehe. Des enseignements spécifiques sur la littérature swahili contemporaine sont dispensés en Italie (Université de Naples), à Londres (SOAS). Une rencontre mondiale autour de la langue et de la littérature swahili a lieu chaque année à Bayreuth depuis 1987.
Xavier Garnier et Nathalie Carré
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