Narrateur

 

En critique littéraire, on appelle « narrateur » une instance textuelle d’énonciation, réelle ou fictive, qui est supposée prendre en charge tout ou partie d’un récit, c’est-à-dire une catégorie générique de la production littéraire. Un même récit peut en effet avoir plusieurs narrateurs. On sait depuis les nombreux travaux en narratologie (en particulier Genette, Todorov, Barthes etc.) que cette instance textuelle ne doit pas être confondue avec l’auteur et qu’elle peut se présenter sous la forme de mises en scène très diverses : narration homodiégétique (le narrateur est l’un des protagonistes de l’histoire racontée), narration hétérodiégétique (le narrateur est extérieur à l’histoire relatée), avec pour chacune de ces deux catégories, une infinité de cas de figure qui ont été détaillés dans les travaux de Gérard Genette. Dans le cas de la narration hétérodiégétique notamment, ce narrateur peut-être caché (degré zéro de l’instance narrative) et tout-puissant (il sait tout du récit, y compris les motivations intérieures des personnages) ou au contraire manifester une certaine présence textuelle, ce qui limite généralement son omniscience.

Dans les récits littéraires produits dans des langues africaines, le modèle dominant est celui d’une narration hétérodiégétique au degré zéro, c’est-à-dire que le plus souvent l’instance narrative – omnisciente – n’apparaît pas textuellement : ainsi en va-t-il des mythes, des épopées (excepté dans les ouvertures qui présentent parfois l’interprète et la tradition dont il se réclame, mais il s’agit alors d’un avant-récit, un peu comme une sorte de préface), des chroniques historiques, des contes où on entre de plain pied dans le récit : « Il était une fois un roi… ». Il est vrai toutefois qu’en oralité la présence physique d’un exécutant impose la perception d’un narrateur réel même si ce dernier est textuellement effacé. Dans le cas particulier du conte ou de récits de chasseurs, il peut arriver cependant (mais ce n’est pas le cas de figure dominant, loin s’en faut) que le conteur se mette en scène comme témoin, voire comme protagoniste de l’histoire qu’il est en train de narrer, faisant alors intervenir la première personne grammaticale.

Pour ce qui est des récits écrits, lorsqu’il s’agit de romans et de nouvelles, c’est encore le même mode de narration à degré zéro qui domine : l’histoire nous est donnée comme une réalité objective que rien ne vient relativiser. La subjectivité des points de vue n’étant pas le fort des traditions culturelles africaines, rien d’étonnant à cela. Cette tendance est encore renforcée par le fait qu’une bonne partie de cette littérature narrative est didactique et que le récit est prétexte à la diffusion de valeurs qui ne sont pas à discuter. Il convient toutefois de signaler, dans la production écrite récente, l’émergence de récits de vie à caractère autobiographique qui ont introduit un mode de narration homodiégétique et qui font plus de place à la subjectivité

Jean Derive