Oralité

Le terme « oralité » du latin os / oris « bouche » désigne dans le domaine des pratiques langagières et de l’art verbal les productions qui sont réalisées oralement et qui relèvent du patrimoine culturel immatériel.

L’oralité, un mode culturel spécifique de communication verbale

Dans les « cultures de l’oralité », la communication passe prioritairement par les échanges verbaux et comprend, entre autres, le divertissement, la création et la transmission des savoirs (Cauvin 1980). Généralement, ces cultures ne fixent pas les échanges en question par écrit. Cet état de fait induit souvent la définition d’une telle société comme étant préoccupée par la seule transmission orale de la tradition, comme essentiellement rurale et inaccessible au progrès, mais surtout comme marquée par l’absence d’écriture, donc par un manque. Une telle perspective, comparative et négative, repose sur une interprétation erronée.

Pour éviter toute comparaison hâtive et dépréciative, une réflexion sur la communication en contexte d’oralité comme mode culturel spécifique de la communication verbale devrait être menée en amont[1]. En effet, en contexte d’écriture, la communication entre l’auteur et le lecteur est différée car elle passe par le support du livre, alors que dans le cadre de l’oralité, elle est directe. Dans ce cas, elle est non médiatisée, étant donné le fait que la performance réunit le producteur et l’auditeur de la parole dans un même espace / temps. La spécificité de ce mode de communication a plusieurs conséquences : à la différence de l’écrit, la parole n’est pas réversible, elle est consommée au moment de sa production et elle est soumise à la variabilite dans l’énonciation, ce qui n’empêche pas sa mémorisation.

L’« oral » et le « parlé »

Cependant, toute parole ne relève pas de l’oralité, car cette dernière dépasse largement le simple fait de s’exprimer oralement. Marcel Jousse (1925) et, après lui, Jacques Dournes (1976) ont bien distingué le “parlé” de l’”oral”, ce dernier étant conçu comme une énonciation consciemment proférée de manière spécifique, selon un art oratoire, dans le cadre d’une manifestation soumise à un certain degré de ritualisation » (J. Derive 2008, p. 17).

Les productions orales peuvent être accompagnées ou non de musique, voire de danses ou d’autres éléments d’interprétation scénique. La présence de l’énonciateur lui permet de recourir à l’expressivité corporelle, la voix, la mimique ou la gestuelle ; en outre, il peut tenir compte du public présent et installer avec lui une relation d’interlocution plus ou moins explicite.

Création, représentations de la parole et régulation de sa circulation

Les spécificités de la communication en contexte d’oralité ont des incidences sur la notion de création, qui ne comprend pas seulement l’acte créateur initial. Ainsi, lorsqu’un auditoire prend connaissance d’une oeuvre à l’occasion d’une performance donnée, « elle est devenue une œuvre collective à laquelle ont – consciemment ou non – participé tous ceux qui l’ont re-créée dans le cadre d’une nouvelle interprétation » (J. Derive 2008, p. 19).

Ce mode de communication implique par ailleurs des représentations culturelles très élaborées de la parole ainsi que la régulation de sa circulation dans la société. Celle-ci fait l’objet d’un apprentissage dans la communication quotidienne et à travers les genres littéraires, car la parole est régulée de manière précises selon les critères suivants : « qui parle à qui, de quel sujet, de quelle manière, ou, quand et en présence de qui ».

Coexistence de deux modes de communication

Selon les cas, l’oralité peut, soit être le mode de communication prédominant, soit coexister avec l’écriture de façon à peu près équilibrée, soit ne plus être qu’un résidu minoritaire par rapport à la domination de l’écrit. Il convient que l’analyse de l’art verbal d’une société donnée souligne les particularités de chaque situation sans pour autant établir une hiérarchie entre ces modes de communication. Au contraire, il s’agit de souligner les spécificités de chacun et de décrire les types de relations qu’ils entretiennent entre eux.

Oralité première et seconde

L’arrivée des nouvelles technologies audio- et audiovisuelles a facilité l’enregistrement de l’art verbal et par la suite sa transcription, processus que W. J. Ong (1982) désigne par The Technologizing of the Word. Dans ce contexte, il distingue l’« oralité première », celle produite en contexte naturel, et celle médiatisée par la technologie audio ou audiovisuelle et qui relève de l’« oralité seconde », au même titre que les textes transcrits. La fixation des textes oraux et le passage au statut de l’oralité seconde permet non seulement leur conservation, mais également leur diffusion au-delà de leur contexte de production. Dans cette situation, la collecte, l’enquête et l’observation des pratiques sociales liées à la littérature orale sont particulièrement importantes, de même que la contextualisation précise des textes. La recherche s’appuie essentiellement sur l’oralité seconde et notamment sur les transcriptions.

Néo-oralité

Un phénomène plus récent est celui de la néo-oralité, terme par lequel on désigne des productions d’art verbal qui, tout en puisant dans un fonds culturel existant, l’adaptent à des circonstances nouvelles et le produisent dans des performances tout à fait différentes de celles de l’oralité première, par exemple sous forme de spectacles ou dans des festivals etc. De ce fait, la néo-oralité constitue un facteur important de renouvellement et de création en littérature orale.

Ursula Baumgardt

Bibliographie indicative

CALVET Louis-Jean, 1984, La Tradition orale, Paris, Puf, 126 p.

CAUVIN Jean, 1980b, Comprendre la parole traditionnelle, Issy les Moulinaux, Saint-Paul, 88 p.

DERIVE Jean 2008, L’oralité un mode de civilisation, U. BAUMGARDT, J. DERIVE (dir.), 2008, Littératures orales africaines. Perspectives théoriques et méthodologiques, pp. 17

JOUSSE Marcel, 1978, Le Parlant, la parole, le souffle, Paris, Gallimard, 329 p.

DOURNES Jacques, 1976, Le Parler des Jörai et le style oral de leur expression, Paris, POF, 343 p.

ONG Walter J., 1982, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, Londres/New-York, Methuen, 201 p. [2ème édition en 1989, Londres/New York, Routledge, 201 p.] {Chap. 1, 5, 8, 12}

ZUMTHOR Paul, 1983, Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 313 p.

[1] On peut se référer également à Louis-Jean Calvet, 1984 ou Paul Zumthor 1983.