Poétique

 

Dans le vocabulaire de la théorie littéraire, le mot, employé comme substantif, (la poétique) est polysémique et ambivalent.
Dans une de ses acceptions, la plus étendue, il désigne en effet la science de la littérature en général et plus particulièrement l’étude des processus qui font reconnaître un texte comme « littéraire » par opposition à d’autres textes qui ne le seraient pas. Comme l’universalité du concept même de « littérature » est problématique et que cette notion est susceptible de renvoyer à des objets quelque peu différents suivant les zones de culture considérée, le substantif « poétique » intéresse donc, dans le cadre de cette acception la plus générale, la littérature comparée. C’est à cette discipline qu’il incombera de définir des « poétiques », c’est à dire des systèmes de création verbale, en fonction des cultures. C’est ainsi qu’on distinguera par exemple une poétique de l’oral d’une poétique de l’écrit ou encore une poétique africaine d’une poétique sud-américaine ou occidentale. À propos des littératures en langue africaine, il est généralement admis que celles-ci sont largement redevables à des poétiques autochtones qui ont développé leurs propres théories de la création verbale et qui le plus souvent portent un nom parfaitement identifiable : par exemple en Côte d’Ivoire le didiga des Bété, le nzassa des Agni, ou le bosson des Akan …
Le nom peut aussi parfois être entendu comme un processus de création littéraire spécifique fondé sur une théorie cognitive particulière, telle la « poétique de l’imaginaire » de Jean Burgos. La question, dans ce cas, est de mesurer le degré d’universalité de la théorie en question ; par exemple y a-t-il effectivement des « structures anthropologiques de l’imaginaire » (pour reprendre les termes du titre de j’ouvrage de Gilbert Durand) qui transcendent les cultures particulières ? S’il existe sans doute à ce propos quelques universaux, il est cependant prudent d’interroger cette transculturalité et d’adopter une attitude ethnolinguistique en se référant d’abord au système de pensée propre à la culture étudiée.
En un sens un peu plus restrictif, la poétique peut aussi être entendue, dans l’héritage de la Poétique d’Aristote, comme la théorie des genres littéraires qui vise notamment à identifier les propriétés constitutives qui fondent l’identité d’un genre, tant au niveau de l’énoncé qu’à celui de l’énonciation. Comme les genres non plus ne sont pas des catégories largement transculturelles et que les genres existant dans une zone de civilisation n’ont pas forcément d’équivalent dans une autre, là encore il s’agira d’établir des poétiques génériques culture par culture, et de travailler à définir des genres en les comparant les uns aux autres dans ce qu’ils ont de commun et de différent dans le cadre d’un système autochtone. Le premier réflexe de la démarche poétique, entendue dans cette acception, sera donc de partir toujours des taxinomies génériques émiques et de ne pas plaquer des concepts étrangers issus d’autres systèmes culturels. Quand on s’intéresse à des œuvres écrites dans des langues africaines, il conviendra par conséquent de toujours se référer, dans un premier temps, aux genres dans lesquels ces œuvres sont inscrites tels qu’ils sont pensés et nommés dans leur langue d’origine. Ce n’est qu’ensuite que pourra être envisagée la relation de similarité qu’ils peuvent entretenir avec d’autres genres dans d’autres langues. Dans ce second sens, la poétique utilisera beaucoup les outils de la rhétorique et de la stylistique pour bâtir ses catégorisations.
La poétique peut enfin être entendue comme la science plus particulière de la création poétique, entendue au sens de la fonction poétique de Jakobson. C’est-à-dire une science qui s’intéressera plus spécifiquement à des cas de création verbale où la langue du message devient sa propre fin. Ici la poétique se confond presque avec la stylistique.

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Bibliographie:

  • BURGOS Jean, 1982, Pour une poétique de l’imaginaire, Paris, Seuil.
  • DELAS Daniel, 1977, Poétique/Pratique, Lyon, Cedic.
  • DELAS Daniel et Filiolet Jacques, 1973, Linguistique et poétique, Paris, Larousse
  • DURAND Gilbert, 1993, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod.
  • JAKOBSON Roman, 1973, Questions de poétique, Paris, Seuil.
  • MESCHONNIC Henri, 1973, Pour la poétique I, Gallimard 1970.
  • MESCHONNIC Henri, 1985, Les Etats de la poétique, Paris, PUF.
  • MORIER Henri, 1989, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, (4e édition)
  • TODOROV Tzvetan, 1978, Les Genres du discours, Paris, Seuil.

 

Jean Derive