On parle de récit pour toute relation de faits, que ceux-ci soient considérés comme vrais ou comme imaginaires. La notion est donc fortement transgénérique et concerne aussi bien les genres oraux, les genres écrits, les arts de la scène ou le cinéma. Pour Roland Barthes « le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l’image, fixe ou mobile, par le geste et par le mélange ordonné de toutes ces substances ; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l’épopée, l’histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint, le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. » (Barthes, 1966 : 7) Cette grande diversité de supports et de genres en fait une notion transversale qui échappe aux cloisonnements culturels.
Les approches narratologiques, formalistes et structurales du récit, qui examinent les enchaînements et les configurations narratifs ont joué un rôle important dans l’étude des littératures orales menées dans une perspective ethnolittéraire. L’attention portée aux récits africains à l’époque coloniale a pu répondre à un besoin de comprendre la structure mentale des populations autochtones et le continent a souvent été perçu comme se révélant particulièrement au monde par une façon de raconter. L’intérêt porté par les ethnologues africanistes au mythe ou au conte, considérés comme des genres purement narratifs, n’est pas étranger à ce désir de comprendre la vision du monde de tel ou tel peuple. De François-Victor Equilbecq, dans son Essai sur la littérature merveilleuse des Noirs (1913) à Denise Paulme dans La Mère dévorante (1973), on ne saurait énumérer toutes les typologies des récits africains qui procèdent à une classification sur des critères thématiques ou formels.
Les approches pragmatiques du récit mettent l’accent sur les contextes interactifs dans lesquelles sont énoncés les récits et sur leurs conditions d’acceptabilité. Amadou Hampaté Bâ distingue de ce point de vue les récits initiatiques, les récits didactiques, les récits ludiques, etc. Une orientation forte de l’analyse des récits en Afrique est l’accent mis sur la performance narrative, qui ferait de l’actualisation du récit son véritable fondement. Que ce soit en littérature orale ou dans le domaine de l’écrit, l’importance sociale accordée à celui qui raconte (ou qui conte) est une caractéristique marquante du statut du récit sur le continent.
L’art du récit est également transversal aux productions théâtrales et romanesques écrites en langues africaines, qui s’appuient largement sur les grands genres narratifs oraux comme le conte ou l’épopée. Dans la littérature écrite swahili, les proverbes sont souvent sollicités, à la fois comme titre et comme matrices narratives, par de nombreux romans didactiques qui construisent leurs univers fictionnels en fonction de l’enseignement éthique retenu. Le recours au récit pour une littérature écrite sous influence missionnaire et coloniale dans un premier temps a servi à créer des représentations de soi, via les récits de vie, les romans ethnographiques ou les romans de mœurs. Parallèlement les récits initiatiques, propices à la conversion religieuse, ont été privilégiés dans le contexte missionnaire passé et le plus contemporain dans la mouvance des églises de Réveil spirituel : The Pilgrim’s progress, le récit initiatique du puritain anglais John Bunyan, est, hormis la Bible, le texte narratif qui a jusqu’ici fait l’objet du plus grand nombre de traductions dans des langues africaines.
Xavier Garnier
Bibliographie indicative
HOFMEYR, Isabel, The Portable Bunyan. A transnational History of the Pilgim’s Progress, Princeton University Press, 2003.