Recueil de contes bwa du Mali. Parents et enfants, quelle histoire !

 

Recueil de contes bwa du Mali.
Parents et enfants, quelle histoire !

 

 

Mots clés

bomu, Mali, Burkina Faso – oralité, textes narratifs, contes – parentalité, enfants, Bwa (Mali)

Éditeurs scientifiques

Cécile Leguy, Pierre Diarra, Zufo Alexis Dembélé et Joseph Tanden Diarra

Production du corpus

Ce volume rassemble des contes de cinq conteurs, dont les trois premiers sont musiciens-conteurs qui s’accompagnent d’un cordophone (harpe-luth) et chantent en contant : Douba Diarra ; Macirè Paul Coulibaly ; Da’a Coulibaly ; Tan’ian Dembélé ; Alexandre Coulibaly.

Édition du corpus

Collecte

Contes enregistrés dans les villages des conteurs par les animateurs de Radio Parana entre 1994 et 2010.

Transcription

Les transcriptions ont été assurées par Alexis Dembélé et Joseph Tanden Diarra, revues et corrigées par Cécile Leguy et Pierre Diarra.

Traduction

À partir d’une première traduction proposée par Alexis Dembélé et Joseph Tanden Diarra, la traduction finale a été élaborée par Cécile Leguy et Pierre Diarra, d’après une traduction mot-à-mot (accessible sur l’archive Pangloss).

Référence de l’ouvrage

Cécile Leguy, Pierre Diarra, Zufo Alexis Dembélé et Joseph Tanden Diarra (traducteurs et éditeurs), 2023, Recueil de contes bwa du Mali. Parents et enfants, quelle histoire ! Paris, Karthala, 244 p. (ISBN : 978-2-38409-109-6).

 

Présentation

Les contes rassemblés dans ce recueil bilingue ont tous été enregistrés entre 1994 et 2010 par les animateurs de Radio Parana, dans la région de San au Mali. Ces quinze histoires proviennent d’une recherche collective sur les dynamiques parentales en milieu rural. Elles concernent donc les relations entre enfants et parents.

On y rencontre des mères possessives et des pères jaloux, des parents déficients et d’autres plus attentionnés. Une constante semble se dégager à la lecture de cet ensemble : si les relations entre parents et enfants ne sont pas toujours paisibles, les difficultés sont le plus souvent imputables aux adultes eux-mêmes, qu’ils gâtent excessivement les enfants ou qu’ils les martyrisent.

En introduction sont présentés les archives radiophoniques concernées, les conteurs et conteuses intervenant à la radio, puis la thématique des relations entre parents et enfants telles qu’elles sont envisagées à partir d’un corpus de trente-neuf contes. Le recueil lui-même, rassemblant un choix de quinze récits, est classé par conteurs, au nombre de cinq, dont trois sont des musiciens-conteurs chantant leurs histoires en s’accompagnant d’un cordophone. Chaque conteur a un style propre et le répertoire choisi de chacun fait l’objet d’une petite introduction. Les contes sont présentés en miroir, le texte transcrit en bomu figurant à gauche et la traduction française à droite. L’unité de souffle a été retenue pour passer d’une ligne à l’autre, celle-ci étant la plupart du temps marquée par l’intervention d’un répondant. Quand ce dernier fait plus qu’acquiescer, ses propos ont été notés. L’enregistrement de chaque conte est disponible sur la plateforme Pangloss, accompagné du texte et de sa traduction mot-à-mot

(https://pangloss.cnrs.fr/corpus/Boomu?mode=pro).

Parmi les quinze contes retenus, on trouve une version très imagée du conte de « L’Enfant terrible », des récits dramatiques concernant des orphelin(e)s maltraité(e)s ou des enfants trop gâtés, une « Fille séquestrée » par ses parents qui veulent la garder pour eux, une « Fille difficile » obligée par les siens à épouser un lépreux, une version épique du conte des « Enfants chez l’ogre[sse] » ou encore des enfants né d’un rônier renvoyés à leur origine non-humaine parce que leur mère n’a pas su garder le secret de leur conception.

Bibliographie

Leguy Cécile, 2001, Le proverbe chez les Bwa du Mali. Parole africaine en situation d’énonciation, Paris, Karthala, 323 p.

Leguy Cécile, 2019, Façonner la parole en Afrique de l’Ouest, Londres/Singapour, Balestier Press (collection Hearing Others’ Voices/Entendre la Voix des Autres, dirigée par Ruth Finnegan), 132 p.

Leguy Cécile (dir.), 2019, L’expression de la parentalité dans les arts de la parole en Afrique, Paris, Karthala, 250 p.

 

 


 

Masira, l’enfant maltraitée par sa marâtre

 

Conte no12,

dit et chanté par Alexandre Coulibaly,

enregistré en 1994.

Début du conte, p.178-181.

 

Ponctuation du texte bomu : chaque unité de souffle est indiquée par un retour à la ligne (le plus souvent marquée à l’oral par un acquiescement du répondant, qui n’est pas transcrit). La ponctuation n’est mise que quand elle correspond à une pause sans intervention du répondant.

 

 

 

awa, to ho ɲan a lo ba-nuu niʼere

Voilà, il s’agit encore d’un homme,

 

a yirema oa mi han nii-ɲun

qui épousa deux femmes.

 

to lo oa mi han nii-ɲun

Il épousa donc deux femmes

 

to nuu-pɛɛ li yu zo yoʼere

et chacune donna naissance à un[e] petit[e] [fille].

5

to lo han-ɲiʼa zo, ho we yenu Masira

L’enfant de la femme détestée s’appelait Massira.

 

to bun wo-so, wozoʼere, mu vɛ a mu ɓwe

Arriva un jour, voilà ce qui s’est passé,

 

a lo han-ɲiʼa li huru, to lo zo ma i mi lo han-bara se

la femme détestée mourut et son enfant se retrouva chez la femme préférée.

 

to ba we yo didi ba bia

[Les deux fillettes] avaient l’habitude d’aller faire paître les animaux.

 

to wozoʼere, ba cun-dira a ani

Un jour, alors que les gens qui revenaient du marché passaient,

10

to ba lo ba hanyira nii-ɲun nɛ yɛ

ils dirent [en observant] ces deux enfants,

 

lo lo han-ɲiʼa zo se po lo han-bara zo

que la fillette de la femme détestée était plus belle que celle de la femme préférée.

 

to bun ɓɛɛ hini u

Alors cela n’était plus supportable !

 

mu ze a mɛ Alexandre yirɛ a ani bin, mu yi a bun, to un zun mu ma bara le ?

Ce jour-là, moi Alexandre, je passais justement par là. Sinon, comment pourrais-je en parler ?

 

hee, a lo hanyirezo dɛri vian mi ɲuun

Eh bien, l’enfant se mit aussitôt à pleurer.

15

ba Bwa ɓɛɛ we hɛ li a mi wawe le ?

Les Bwa ne le disent-ils pas dans un proverbe :

 

lo o yi lo o ɓɛɛ ɲin sabe wia, a lo ɓɛɛ ɓwe a lo wɛ

« Si tu ne veux pas entendre les pleurs du menteur, qu’il n’arrive pas en pleurant » ?

 

to lo hanyirezo dɛri vian mi ɲuun

L’enfant se mit [donc] aussitôt à pleurer

 

to lo hanyirezo wia wo lenu

et ses pleurs se transformèrent en chant.

 

a lo hanyirezo lo :

Lʼenfant disait :

 

(Chanté)

(Chanté)

20

aa naa-yoo, yo, yo, yo, a ba lo Masira se po mɛ (Bis)

« Ah ! Maman ! Maman ! Maman ! On dit que Massira est plus belle que moi (Bis)

 

a ba lo Masira hara dimiɲan

On dit que Massira est la plus belle du monde.

 

a ba lo Niivo Masira se po mɛ, a Masira se po mɛ

On dit que Niivo1 [lʼorpheline] Massira est plus belle que moi ! Que Massira est plus belle que moi ! »

 

a ba naa zo lo han

La mère sʼexclama :

 

lo a bun ba cun-dira yirema yo bara le ? (Rires)

« Est-ce bien ce qu’ont dit les gens qui revenaient du marché ? » (Rires)

25

o zan be wa le ?

Si tu avais vu cela !

 

a ba na dɛri hua i lu lo hanyirezo do

Aussitôt, la mère se leva et donna un coup de poing qui fit tomber Massira.

 

a fona lo, a fona lo, a yirema so mi zio bo lo bwa wa

Elle la rossa proprement, mit son pied sur le bras de l’enfant

 

a iara kaba !

et le cassa… Crac !

 

a lo ba-nuu vɛ lo mana

Quand l’homme revint,

30

a lo a lo hee, mi han na

il manifesta son étonnement et demanda à sa femme :

 

lo ta a we yo wo mibe zo ba bia didire ?

« Qu’est-il arrivé à ma fille là où elle faisait paître le troupeau ? »

 

a lo han-nuu dɛri sansanran, a bina i sansanran

La femme était gênée et cherchait ses mots :

 

lo ta lo we vɛ ba bia didire, lo ɛsi mi finʼan wa le ?

« Lorsqu’elle va au pâturage, reste-t-elle bien tranquille ? »

 

a ba lo bon, lo a to lo pan vɛ ba bia didire ma mu

Les parents décidèrent qu’elle irait tout de même faire paître le troupeau [le lendemain], malgré son état.

35

a bun mu to wa ue

C’est ainsi que les choses se passèrent.

Cécile Leguy

 

 


 

Note:

1    Elle lui attribue ce prénom de Niivo (« Les gens sont finis »), signifiant qu’elle n’a plus personne, qui sous-entend son statut d’orpheline.