Parmi les genres littéraires écrits, le roman est celui qui pose le plus de problèmes de définition, tant il semble polymorphe et prompt à transgresser toutes les règles formelles qu’on a pu lui assigner. Selon la définition la plus consensuelle un roman est un récit de fiction généralement écrit en prose et assez long pour ne pas être considéré comme une nouvelle. Pas de critère intangible donc, mais plutôt un horizon de reconnaissance, pour un genre éminemment mouvant et transgressif, qui peut servir en fonction des contextes à véhiculer des messages de nature très variée. On s’accorde généralement à voir le roman comme un genre d’importation dans le contexte africain, arrivé dans le bagage de la colonisation et en particulier des missions protestantes qui, au 19e siècle, ont eu largement recours à lui pour changer les comportements sociaux dans le sens des exigences du christianisme. La grande plasticité du roman lui a permis d’intégrer à la fois les discours de la tradition orale et les citations bibliques dans des textes hybrides qui sont par ailleurs le plus souvent d’intéressantes expérimentations sur le passage à l’écriture. L’œuvre romanesque de Thomas Mofolo, tout entière écrite en sesotho au début du 20ème siècle, naît de cette matrice missionnaire avant de rendre son autonomie. Son roman Chaka, qui paraît en 1925, reprend la geste du fondateur de la nation zoulou en faisant de ce héros épique un personnage problématique engagé dans la spirale mortifère du pouvoir. Ce texte majeur est considéré comme un classique du roman africain. L’expansion du roman au tournant des indépendances est, par exemple dans le cas du roman swahili ou du roman shona, liée à des programmes d’institutionnalisation des langues et à la constitution de corpus de prose narrative en milieux scolaires. La conquête du roman dans les langues africaines est devenu un enjeu important de la lutte contre l’influence des grandes langues coloniales qui dominent actuellement la production romanesque continentale. Le remarquable développement du roman swahili en Tanzanie depuis la fin des années 60 et la décision du romancier kenyan Ngugi wa Thiong’o de ne plus écrire qu’en gikuyu à la fin des années 70 marquent des étapes importantes vers une ouverture mondiale du roman en langues africaines. Parallèlement, un roman populaire s’est développé à partir des années 80 comme les romans d’amour hausa (littattafan soyayya) ou, plus récemment, le roman policier zulu en Afrique du Sud.
Xavier Garnier
Bibliographie indicative
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RICARD, Alain, Littératures d’Afrique noire, des langues aux livres, Paris, CNRS editions/ Karthala, 1995.