Style

Dans l’histoire littéraire, le critère du style a été longtemps un critère essentiel pour la détermination de la « littérarité » d’une œuvre, le discours réputé littéraire étant celui qui était « stylistiquement marqué ». Cette conception du style comme « écart » par rapport à une norme (Bally) est aujourd’hui largement abandonnée du fait de la prise de conscience par les poéticiens qu’il n’y a pas de degré zéro du style et que tout énoncé est stylistiquement formaté. S’il n’est plus l’apanage de la littérature, le style reste néanmoins un objet de préoccupation important de l’analyse littéraire. Ce concept s’entend généralement selon au moins quatre acceptions principales.

Un style peut être celui d’un mode d’expression inhérent au type de canal utilisé et à la situation de communication particulière (style écrit, style oral, style familier, style oratoire, style journalistique…)

Un style peut être celui d’un genre. Dans la mesure où un genre fonctionne comme un moule matriciel avec des contraintes canoniques, le style du genre est le catalogue des contraintes rhétoriques et linguistiques (ou encore paralinguistiques dans le cas d’énoncés oraux) qui lui sont spécifiques.

Un style peut être celui d’une école ou d’une tendance (style réaliste, style pompier), qualifications qui sont souvent partagées avec des arts autres que littéraires.

Un style peut enfin être celui d’un auteur ou d’un interprète (pour l’oralité) que celui-ci soit envisagé dans son identité idiosyncrasique (style proustien) ou dans son identité sociale (style populaire, style féminin).

Dans chacune de ces quatre acceptions, l’approche du style peut être envisagée à deux niveaux :

Un niveau macrostylistique qui s’attache plus particulièrement aux qualités rhétoriques et morphologiques d’une œuvre ;

Un niveau microstylistique qui s’intéresse aux propriétés linguistiques repérables des séquences d’un énoncé par une mise en figures du signifiant ou du signifié (tropes).

Ces principes généraux restent valables pour ce qui est des littératures écrites et orales en langues africaines, mais avec toutefois des spécificités dont il convient de tenir compte. L’écrivain qui s’exprime dans une langue où il n’y a pas de longue tradition littéraire ne pourra évidemment se référer à des styles d’école antérieurs et il devra créer un style écrit de sa langue qui se démarque de ses propriétés orales, les seules en usage jusqu’ici. C’est l’évolution exigée par ce passage de l’oral à l’écrit (qui obéit à d’autres lois de communication) qui conduit un certain nombre de lecteurs autochtones à trouver que la langue de telles œuvres est bien artificielle par rapport à l’idée qu’ils se font de sa pratique à partir de leur expérience orale. Ce même écrivain devra créer aussi un style de genre dans la mesure où il s’exprime le plus souvent dans le cadre de catégories génériques étrangères à sa tradition littéraire orale. Il lui arrive alors de puiser ses références stylistiques à ces genres empruntés (la plupart du temps ceux de la culture coloniale qui les a importés) qu’il transporte dans une autre langue. C’est pourquoi le comparatisme sera très utile pour les approches stylistiques des littératures en langues africaines.

Pour ce qui est de l’oralité, c’est d’abord le style de genre qui est le plus visible.   Il est en effet généralement beaucoup plus marqué que dans la tradition littéraire écrite, du fait que les genres oraux, préexistant dans des répertoires patrimoniaux, ont besoin de contraintes canoniques particulièrement rigides (voir formulaire) pour pouvoir être mémorisés et reproduits avec un certain degré de fidélité, même relatif. Comme, selon l’idéologie dominante, il est demandé aux interprètes de ne pas rechercher l’originalité mais plutôt la fidélité à une tradition, les styles propres aux exécutants d’une œuvre ne sont guère mis en évidence dans la perception autochtone des énoncés de tradition. Ce point de vue ne devra pas pour autant abuser le critique, car dans la réalité, même inconsciemment, les interprètes mettent – ne serait-ce que discrètement –   leur empreinte stylistique dans l’actualisation des œuvres qu’ils exécutent. Il peut donc être légitime de chercher les traits stylistiques marquants d’un interprète (style propre au répertoire d’un conteur par exemple) que celui-ci soit envisagé dans sa composante individuelle ou sociale. Il est à noter aussi que les cultures orales peuvent aussi être sensibles à des styles d’école pour certains genres. Ainsi l’épopée mandingue, par exemple, a des propriétés stylistiques reconnaissables selon les écoles de griots (Kela, Kirina etc.).

A certaines conditions, l’approche stylistique est donc pertinente, pour l’étude des littératures écrites et orales en langue africaine.

Jean Derive