Stylistique

 

 

Le substantif désigne une discipline à laquelle on a recours dans le cadre de l’approche des textes, en particulier littéraires. Elle a pour objet de caractériser le style d’un énoncé, c’est-à-dire d’étudier les procédés d’expression qui lui confèrent une originalité propre en termes d’expressivité. De ce point de vue, le concept est proche de ceux de poétique et de rhétorique avec lesquels il entretient des relations étroites. La stylistique est une science qui s’attache plutôt quant à elle à une approche microstructurale des textes.

Norme et écart

L’acception du terme a connu une importante évolution au cours de l’histoire de la critique littéraire. D’abord conçue comme l’analyse d’un écart par rapport à une norme énonciative (Charles Bally, 1951) en vue de créer un effet expressif, la stylistique est aujourd’hui devenue une science plus structurale. Considérant que la théorie de l’écart était bien artificielle dans la mesure où il n’y a jamais de degré zéro de l’expression.

Effet expressif

Les stylisticiens contemporains, depuis au moins Michaël Riffaterre, se sont attachés à étudier non pas l’effet expressif des figures stylistiques prises séparément, mais l’effet expressif de l’ensemble des figures d’un texte, envisagé comme un système dans lequel chaque procédé d’expression trouve sa légitimité par rapport aux autres. Cette position théorique fait aujourd’hui office de doxa dans la discipline.
Il convient d’adopter cette stratégie dans le cas de l’approche formelle des textes littéraires écrits en langue africaine. En effet, pour ces langues qui n’ont pas de longue tradition écrite, les notions de registres littéraires et de niveaux d’expressivité n’ont que très peu été étudiées et il n’y en a pas de nomenclature vraiment établie. C’est donc dans la cohérence de la combinaison des procédés d’expression au sein d’un même énoncé qu’il convient de faire émerger le « style » d’un texte en langue africaine.

Figures du signifié, figures du signifiant

Pour définir les pièces de ce système, il sera certes possible de se référer à la taxonomie des figures connues et recensées par la discipline stylistique, qu’on trouve dans tous les dictionnaires spécialisés : tropes ou figures du signifié (métaphores, métonymies etc.) aussi bien que figures du signifiant (jeux sonores, figures rythmiques : répétitions, parallélismes, chiasmes, anaphores, épiphores etc.). Les figures (notamment à propos du rythme et de la prosodie) ne sont pas forcément toutes transculturelles. Il en existe souvent qui sont spécifiques à la langue dans laquelle le texte est écrit. De ce fait, il conviendra, dans l’étude stylistique de ce type de texte, de ne pas se contenter de plaquer artificiellement le catalogue connu des figures recensées dans la culture occidentale. Il faudra aussi veiller à interroger la conception autochtone de l’expressivité verbale telle qu’elle est révélée par le lexique et les usages de la langue africaine concernée, pour créer des catégories propres à la culture de référence.
La science stylistique peut aussi s’appliquer à un ensemble de textes, pour mettre en évidence ce qui les rapproche d’un point de vue formel, en termes de procédés d’expression. Cela peut concerner par exemple les textes provenant d’un même auteur ou d’une même époque au sein d’une culture donnée : on parlera alors de « style d’auteur » ou de « style d’époque ».

Analyse stylistique de la littérature orale

Quant à l’analyse stylistique des textes de littérature orale, elle prend en compte la différence fondamentale de l’expressivité en contexte d‘écriture littéraire et d’oralité. En effet, dans le premier cas, elle ne concerne que le texte. En revanche en oralité, elle agit sur les deux niveaux de l’oeuvre : l’énoncé ou le texte, et tous les éléments accompagnant sa production. En effet, la présence physique ou « corporéité » de l’énonciateur (P. Zumthor 1994) offre des ressources spécifiques d’expressivité. Si la critique ne prend pas en considération cette réalité, elle peut conclure, à tort, que le texte de littérature orale serait « moins élaboré », « plus rudimentaire » qu’un texte écrit. Or, l’accoutrement et les accessoires, la voix, la mimique, la gestuelle, la posture et l’accompagnement musical ou les échanges avec le public sont des niveaux d’expressivité spécifique. Ils accompagnent, illustrent, complètent et commentent l’énoncé ou se substituent partiellement à celui-ci. Quant à l’enoncé lui-même, il présente aussi bien les figures du signifié concernant l’expression du sens, que les figures du signifiant. Outre ces figures stylistiques, selon les cas, les textes oraux enrichissent les figures du signifiant par des ressources stylistiques particulièrement efficaces en oralité, par exemple, les mots expressifs : des intensificateurs, des onomatopées et des idéophones. Ces derniers interviennent dans la définition de styles propres aux genres littéraires, mais également à des styles pouvant varier selon les énonciateurs. A ce niveau se manifeste, entre autres, leurs créativité.

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Bibliographie:

  • BALLY Charles, 1951, Traité de stylistique française I et II, Paris, Klincksieck, (rééd. de 1921).
  • CRESSOT Marcel, 1951, Le Style et ses techniques, Paris, PUF.
  • FROMILHAGUE, Catherine & Anne SANCIER-CHÂTEAU, 2005, Analyses stylistiques, formes et genres, Paris, Armand Colin.
  • GARDES-TAMINE Joëlle, 2004, La Stylistique, Paris, Armand Colin, (rééd de 2001).
  • GUIRAUD Pierre, 1985 , Essais de stylistique, Paris, Klincksieck.
  • KARABATIAN Pierre, 2000, Histoire des stylistiques, Paris, Armand Colin.
  • KOUADIO Kobenan, NGUETTIA Martin, 2009, « Essai d’analyse stylistique et poétique d’une poésie urbaine chantée de Côte d’Ivoire : texte, contexte et signification », En-quête n° 22, Abidjan, EDUCI, , pp. 41-45.
  • MOLINIÉ Georges, 1993, La Stylistique, Paris, PUF.
  • RIFFATERRE Michaël, 1971, Essais de stylistique structurale, Paris Flammarion.
  • ZUMTHOR Paul, 1994, « Poésie et vocalité au Moyen Âge », Cahiers de Littérature orale, 36 – Oralité médiévale, Paris, p. 10-34.

Jean Derive