Transcription

Dans le but de créer un support qui permette leur analyse, mais également pour pérenniser les textes oraux, la recherche a recours à différents moyens : on peut les enregistrer sur des supports audio et/ou audiovisuels, ou bien les transcrire après les avoir enregistrés, sachant que cette dernière opération reste indispensable pour toute approche scientifique[1]. En effet, la transcription qui consiste à fixer par écrit une performance fournit un document consultable de façon illimitée. Elle entraîne en outre un changement de statut du texte oral.

Fixer un texte oral par écrit le fait passer de l’oralité première à l’oralité seconde, celle qui est médiatisée et dont les productions, à l’instar de celles de l’écrit, peuvent être matérialisées et stockées, car l’énoncé survit de cette façon au moment de sa création et existe de manière pérenne. Ce changement de statut permet sa diffusion au delà de son univers culturel de création, ce qui impose un ensemble de précautions méthodologiques dans son édition, notamment sa contextualisation précise sous forme d’introduction et d’explications.

Transcrire n’est pas écrire

L’opération de transcrire consiste à noter strictement ce qui a été dit. Le transcripteur n’est pas l’auteur du texte qu’il fixe fidèlement, sans ajouts ni suppressions. Tout au plus, il peut y apporter des annotations dans le but de rendre le texte mieux intelligible, ce qui peut s’avérer indispensable, car le texte est transposé dans un autre univers culturel et énoncé selon un mode de communication différent.

A propos de la transcription, on a parfois tendance à parler de manière erronnée de « passage de l’oral à l’écrit ». La transcription n’implique pas le passage à une rhétorique qui serait celle de la culture écrite. En effet, si la transcription est fidèle, l’œuvre transcrite continue à être régie par la rhétorique de l’oral. Contrairement à la conception d’une œuvre qui s’inscrit dès le départ dans une perspective de médiatisation – écrire un livre, faire un film, enregistrer un disque – les œuvres appartenant à l’oralité seconde ne sont pas, à l’origine, conçues pour quitter leur contexte de production. De ce fait, ces œuvres ne réfléchissent pas à la communication interculturelle ni à l’écart qui peut exister entre la culture de départ et celle à laquelle appartient le futur lecteur, auditeur ou spectateur. Pour cette raison, on ne peut justement pas considérer l’utilisation de « l’écriture » dans le contexte de l’oralité seconde comme un passage de l’oral à l’écrit, comme s’il existait une continuité entre ces deux statuts. Au contraire, un texte oral qui est transcrit, et de ce fait médiatisé, est justement sorti de son système de communication non médiatisée, ce qui constitue une rupture.

Une opération complexe

Travaillant sur des textes déjà établis et publiés, les spécialistes de la littérature ne sont pas familiarisés avec la transcription, une opération qui se situe à la confluence de la linguistique et de l’édition des textes. Le premier principe à respecter est celui de fidélité et de transparence, tout en sachant qu’il n’est pas possible de rendre dans tous ses aspects un texte tel qu’il a été dit. Malgré cette difficulté, plusieurs précautions méthodologiques permettent de se rapprocher au mieux du principe de fidélité et de transparence.

Identification et authentification de la performance

La transcription comprend l’identification de la performance. Il s’agit non seulement de l’authentifier (lieu, date, circonstances), mais également d’apporter des renseignements précieux par rapport aux conditions de l’enregistrement et à sa qualité, ou par rapport aux éventuelles incidences des conditions particulières sur l’œuvre. Ces précisions sont complétées par des informations détaillées sur la collecte.

La situation d’énonciation

La transcription rend compte de facteurs qui relèvent de la situation d’énonciation, qu’il s’agisse d’éléments paralinguistiques ou d’interactions avec le public. Un énonciateur peut avoir recours à un geste pour illustrer une action qu’il ne nomme pas. Par conséquent, l’énoncé linguistique peut paraître incomplet ou incompréhensible, alors que dans la situation d’énonciation, il est parfaitement cohérent. La transcription doit éclaircir cette donnée en ayant recours à une annotation. De même, il convient de marquer les interactions avec le public parmi lesquelles on peut citer le rire, le commentaire, le rectificatif, la réaffirmation, l’interruption etc. Elles constituent des éléments de réception des performances.

Changement de support et segmentation du texte

La transcription opère un changement de support : le son est transformé en « image » dans la mesure où on produit un texte « écrit » utilisant une graphie connue. Or, l’habitude de la lecture crée des attentes particulières par rapport au texte écrit, attentes auxquelles la transcription cherchera à répondre en présentant un texte lisible[2] tout en respectant le principe de fidélité. Dans ce contexte, la première opération est celle de la segmentation qui comprend la distinction de petites unités (phrases) et d’entités textuelles plus longues (paragraphes). Il existe des marqueurs linguistiques ou prosodiques qui segmentent le texte (pauses, interjections, intonation). Même si le texte est dit de manière ininterrompue, cette structuration peut intervenir pour éviter la présentation d’un texte en continu. La présentation sous forme de vers relève du même ordre.

Des problèmes plus inattendus peuvent se poser à propos de la matérialisation du discours direct et indirect et de certaines structures syntaxiques relevant selon les cas elles aussi de la parataxe, procédé de subordination marquée par juxtaposition, sans mot de liaison apparent.

Toutes ces questions peuvent être traitées en deux temps : lorsqu’on veut publier le texte, on accordera toute l’attention requise au problème de la lisibilité en détaillant les choix opérés ; en revanche, lorsqu’il s’agit d’un document de travail, la plus grande fidélité est requise, ce qui permet justement d’observer et d’analyser le texte de manière attentive.

Quelle graphie ?

De nombreuses langues africaines disposent actuellement d’une graphie latine conventionnelle avec, le cas échéant, des graphes particuliers pour noter des phonèmes spécifiques. La graphie choisie pour la transcription se conformera aux usages en cours et rappellera si nécessaire le système phonologique de la langue. Si celui n’est pas établi, la phase préalable consiste à le définir.

Alors que la phonologie se contente d’isoler les phonèmes, i.e. les sons distinctifs de la langue, la phonétique s’intéresse à la qualité et à la réalisation des sons. Cette différence peut poser des questions au niveau de la transcription des textes oraux, car on peut être tenté de pratiquer une transcription phonétique pour rester le plus près de l’énoncé réalisé. Or, dès lors que le système phonologique de la langue est établi, il est en général tout à fait satisfaisant de l’utiliser pour la transcription. Pour des besoins d’analyse stylistique, on peut être amené ponctuellement à une transcription phonétique d’extrait limités.

Transcription et variabilité

L’oralité comprend la variabilité. Or, le texte transcrit qui semble être un texte « écrit » peut être abordé de manière erronnée selon les mêmes critères qu’un texte qui s’inscrit dans une culture de l’écrit, notamment si celle-ci valorise la langue standard, l’écriture orthographique et l’absence de variantes. Pour éviter tout malentendu, la définition de la politique de transcription adoptée rappellera le traitement de la variabilité, analysera les types de variantes attestés dans le corpus transcrit et les signalera pour expliquer qu’un même terme peut être « écrit » de façons différentes, ce qui pourrait être interprété comme une faute ou un écart par rapport à la norme. Or, la transcription n’est justement pas une écriture « orthographique[3] » si on entend par là une écriture obéissant et établissant des normes ; au contraire, la transcription rend compte des variantes.

Ursula Baumgardt

Références bibliographiques

BAUMGARDT Ursula, 2013, Littérature orale et alphabétisation : quelques réflexions à partir du peul, Abdoulaye Keita (dir.) 2013, Au carrefour des littératures Afrique-Europe, Hommage à Lilyan Kesteloot, Paris, Karthala, pp. 199-214.

ONG Walter J., 1982, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, Londres/New-York, Methuen, 201 p. [2ème édition en 1989, Londres/New York, Routledge, 201 p.] {Chap. 1, 5, 8, 12}

ROULON-DOKO Paulette, 2008, Collecte, enquête, transcription, U. BAUMGART, J. DERIVE, (dir.) Littératures orales africaines. Perspectives théoriques et méthodologiques, (sous la dir. de, avec Jean DERIVE), Paris, Karthala, pp. 273-285

[1] Voir pour l’historique de la transcription, Paulette Roulon-Doko, 2008, pp. 281-287

[2] Voir U. Baumgardt, 2013, pp. 197 – 212.

[3] voir U. Baumgardt, 2013