Le mot est peu connu en français, c’est un anglicisme qui vient d’un héros des Pickwick Papers (1836-1837) de Charles Dickens. Mais ce n’est pas Dickens qui a inventé le concept, pas plus que son personnage, Sam Weller, qui apparaît à partir du chapitre dixième de son livre. L’Encyclopedia Americana (1965: 608) soutient que, déjà au 3ème siècle avant J.-C., Théocrite usait des wellérismes; tandis que d’après W. Mieder et A. Kingsbury (1994), le genre existe depuis l’époque des Sumériens (5ème millénaire a.C.). Et depuis, il est populaire dans beaucoup de langues européennes et certaines langues africaines.
– “La vertu se trouve au milieu”, comme disait le diable entre deux prostituées.
– “Je la guérirai avec de bonnes paroles”, comme disait le pasteur en jetant la Bible à la tête de sa femme.
Mais il faudra attendre que C. Dickens mette plusieurs phrases de cette forme d’humour dans la bouche d’un serviteur dévoué de Mr. Pickwick nommé Sam Weller, qui avait tendance à enfiler des paroles sentencieuses (souvent des proverbes) en les accompagnant de la formule “comme disait…”, leur donnant ainsi plus de poids, pour que le genre soit connu. Ce qui a incité le public à les appeler “wellerisms” en 1839, soit deux ans après la publication du livre.
– “Now we look compact and comfortable”, as the father said when he cut his little boy’s head off to cure him of squinting.
– “I see”, said the blind man after he had fallen into the ditch.
Le mot en question figure dans très peu de dictionnaires de langue française. Il est absent des encyclopédies et il est largement ignoré du public. Souvent on confond encore le wellérisme et le dicton, le proverbe, l’aphorisme, etc. L’Encyclopedia Americana le définit comme:
“a form of comparison in which a familiar saying or proverb is identified, often punningly, with what was said by someone in a specified but humorously in apposite situation”.
Il se caractérise donc par un discours ou un avis émis par un personnage bien identifié dans une situation déterminée qui tourne à l’ironie et engendre le comique. La structure montre deux parties distinctes: l’anecdote qui peut s’exprimer comme un récit ou une question. Dans le cas du Rwanda, il peut aussi prendre la forme d’un substantif narratif qui est un nom propre de personnage historique ou fictif. Sous sa forme de récit, l’anecdote se compose d’un sujet humain vivant ou un animal, suivi d’une relative indiquant ce que le sujet a fait ou subi. L’énoncé est en général prononcé par le sujet de l’anecdote, mais il arrive aussi qu’il soit le propos du partenaire ou, plus rarement, d’un tiers (P. Crépeau & S. Bizimana, 1979: 6).
Des proverbes et des devinettes s’intègrent facilement dans le wellérisme et ceci fait naître une confusion totale entre les trois. Dans la littérature rwandaise, par exemple, A. Bigirumwami (1967), P. Crépeau & S. Bizimana (1979) classent les wellérismes dans les proverbes dialogués. Comme nous l’avons dit, la parole dite peut avoir une structure de proverbe; mais le wellérisme insistera toujours sur la situation, les circonstances dans lesquelles telle parole a été produite; tandis que le proverbe se contente de livrer la matière brute, une vérité à dimension universelle que chacun va adapter à telle ou telle situation au moment de son intégration dans le discours.
Ainsi, certains proverbes sont des wellérismes qui ont été dépouillés de la partie précisant les circonstances de leur naissance. Au lieu de considérer le wellérisme comme un proverbe, à la rigueur on pourrait prendre certains proverbes pour des wellérismes tronqués.
Dans certains cas, on peut penser qu’au début était le conte comme dirait N. Mayugi (1983) qui parle de “condensation originelle”. Dans cette perspective, à la suite d’une évolution tout à fait normale, le conte a donné naissance au récit étiologique qui a évolué en wellérisme avant d’aboutir au proverbe qui en constitue le noyau dur.
Ainsi, dans le wellérisme, l’énonciateur est déterminé même s’il peut être fictif, alors que dans le proverbe il reste en général indéterminé, indéfini. Le wellérisme a des considérations idiosyncrasiques ou individuelles, une expérience singulière où quelqu’un exprime une pensée à partir de son moi, là où le proverbe porte sur des croyances ou une sagesse collective par-delà les singularités et les subjectivités. Le proverbe généralise à outrance pendant que le wellérisme est particularisant; c’est l’individu qui parle. Le proverbe reste un énoncé clos et minimal (condensation), le wellérisme tend à la narrativisation et prend la forme d’un micro-récit ou d’un conte en raccourci (expansion). Le wellérisme nécessite un contexte d’insertion et décrit une situation alors que le proverbe est souvent considéré comme autonome. Le wellérisme transgresse des règles prescrites par la morale pratique, les bonnes manières et les règles de convenance; il fait fi de la décence, de la respectabilité et de la pudeur. Le proverbe est une parole sacrée et d’autorité qui cultive le sérieux. Il est garant de la stabilité de l’ordre établi. Le wellérisme exalte le comique et garde une fonction essentiellement ludique, philosophique (contestataire).
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Bibliographie:
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- ARNOLD, T., 1976, “De l’humour populaire au projet philosophique africain: une possible continuité”, in L’informateur, n°1, p. 33-47.
- BIGIRUMWAMI, A., 1967, Imigani migufi = proverbes, inshamarenga = dictons, ibisakuzo = devinettes, Nyundo.
- BRYAN, G.-B. & Mieder, W., 1997, “As Sam Weller said, when finding himself on the stage”: wellerisms in contemporary dramatizations of Charles Dickens’ Pickwick Papers”, in Proverbium, vol.3, n° 11, p. 57-76.
- CRÉPEAU, J.-P. & Bizimana, S., 1979, Proverbes du Rwanda, Butare/Tervuren, INRS/MRAC.
- DICKENS, C., 1964 (7ème ed.), Pickwick Papers, London, Oxford Clarendon Press.
- DUNDES, A., “Some Yoruba wellerisms, dialogue proverbs and tongue-twisters”, in Folklore, vol. 75, n°2, p. 113-120.
- MAYUGI, N., 1983, “Le génie créateur de la culture rundi et l’enseignement de la langue nationale”, in Culture et Education, p. 43-50.
- MIEDER, W. & KINGSBURY, S.-A., 1994, A Dictionary of wellerisms, Oxford, Oxford University Press.
- NKEJABAHIZI, J.-C., 2009, Les wellérismes du Rwanda. Textes, traduction et commentaires, Butare, Eds de l’université nationale du Rwanda.
- NKEJABAHIZI, J.-C., 2013, Les wellérismes du Rwanda. Approche ethnolinguistique, Butare, Eds de l’université nationale du Rwanda.
- OLBRECHTS-TYTECA, L., 1974, Le comique du discours, Bruxelles, Ed. de l’ULB.
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- TAYLOR, A., 1952, “A Bibliographical Note on wellerisms”, in Journal of American Folklore, 65, p. 420.
- A supplement to the Oxford English Dictionary, Oxford Clarendon Press, 1986, p. 1253: “wellerism”.
- Encyclopedia Americana, vol. 28, NY, 1965, p. 608: “wellerism”.
- The Oxford English Dictionary, vol. XII, Oxford Clarendon Press, 1933, p. 294: “wellerism”.
Jean-Chrysostome Nkejabahizi