Ce mot est encore souvent utilisé pour désigner les langues à tradition orale, principalement celles d’Afrique. En Europe, on aurait des langues, comme l’allemand, l’anglais, l’espagnol, le français, l’italien, etc. En Afrique, on aurait des dialectes, comme le wolof, le bambara, le peul, le baoulé, etc. Le dialecte serait caractérisé par l’absence de grammaire et de dictionnaire, un vocabulaire réduit, dénué, notamment, de mots abstraits. Le mot, en ce sens, est un héritage de la colonisation. Il a pour objectif de dévaloriser certaines langues et les gens qui les parlent. Remarquons cependant que tous les acteurs de la période coloniale ne partageaient pas ce point de vue. Ainsi, Maurice Delafosse, alors administrateur en chef des Colonies, publiait en 1912 un ouvrage intitulé Haut-Sénégal-Niger : Le pays, les peuples, les langues, l’histoire, les civilisations.
Pour le spécialiste de la linguistique historique, le dialecte sera la résultante d’un processus de différenciation à partir d’une langue-mère. C’est par exemple le cas du latin. En se répandant dans tout l’empire romain, la langue latine s’est diversifiée au point que, au bout de quelques siècles, elle a donné naissance à un ensemble de dialectes dont l’ensemble forme ce que l’on appelle maintenant la famille des langues romanes. Parmi les langues romanes, on trouve le portugais, l’espagnol, le français, l’italien, le roumain, etc. Au bout de ce processus évolutif, ces dialectes sont devenus bien distincts, à la fois du latin, la langue-mère, et entre eux. Ainsi, les Portugais ne comprennent pas la langue française, à moins de l’avoir apprise, et vice-versa.
Pour le linguiste qui étudie les langues telles qu’elles sont actuellement, indépendamment de leur histoire, le dialecte sera une variété d’une même langue, ou une subdivision à base géographique d’une même langue. Sur le terrain, il y a généralement intercompréhension forte entre dialectes contigus, mais intercompréhension plus difficile entre les deux bouts de la chaîne.
Voici l’exemple d’une langue A, répandue sur un vaste territoire. Elle s’est progressivement différenciée en A1, A2, A3, A4. Ces quatre variétés se trouvent dispersées sur un axe Ouest-Est, A1 étant à l’Ouest et A4 étant à l’Est. A1 et A2, A2 et A3, A3 et A4 se comprendront assez bien entre elles, du fait qu’elles sont contiguës. A1 et A3, A2 et A4 se comprendront un peu plus difficilement car elles sont un peu plus distantes géographiquement. Entre A1 et A4, il se peut que la communication soit devenue difficile. Cet exemple fictif correspond à peu près à la situation de la langue peule en Afrique. Le pulaar, qui correspondrait à A1, n’est effectivement pas immédiatement intercompréhensible avec le fulfulde du Cameroun, qui correspondrait à A4. Dans un tel cas de figure, on considérera A1, A2, A3 et A4 comme les dialectes d’une même langue A.
Nous retiendrons donc, ici, que le dialecte est une variété de langue intercompréhensible (c’est-à-dire que la personne qui parle un dialecte A de telle langue et la personne qui parle le dialecte B de la même langue peuvent se comprendre), l’intercompréhension pouvant être plus ou moins grande. Il n’y a donc aucune connotation négative liée au mot « dialecte » pris en ces sens. Cependant, on utilise souvent comme synonyme l’expression de « variante dialectale », qui suscite moins de réticences.
Henry Tourneux