Glottophagie

 

Mot forgé par Louis-Jean Calvet (1974) sur le modèle d’« anthropophagie ». L’anthropophagie désigne le fait, pour un être humain, « de consommer de la chair humaine1 ». Le Trésor de la langue française informatisé 2 donne « cannibalisme » pour synonyme d’« anthropophagie ».

La glottophagie est le fait, pour un groupe social, de « dévorer » la langue de l’autre.

Le groupe « glottophage », en Afrique, constitué par l’entreprise coloniale, refuse d’admettre la différence linguistique de l’Autre et le contraint à s’aligner sur sa propre langue (étrangère). Ce groupe étant politiquement dominant, il nie par la même occasion la culture et l’organisation sociale de l’Autre.

Pour arriver à ses fins, le groupe « glottophage » dévalorise les langues africaines en leur déniant le statut de langues. Après les avoir qualifiées de patois ou de dialectes, il peut donc justifier leur élimination. Selon L.-J. Calvet, la glottophagie s’opère en deux stades. Au départ, les classes locales supérieures adoptent la langue coloniale (dominante) pour assurer leurs intérêts auprès de la puissance coloniale, et elles délaissent les langues locales (dominées). De bilingues, elles deviennent progressivement monolingues. À un deuxième stade, on a donc une classe monolingue au pouvoir qui n’a accès qu’à la langue dominante, face à un peuple citadin bilingue et un peuple rural toujours monolingue car exclu de la scolarisation. Après les indépendances, les classes dirigeantes ont pris le relais de la puissance coloniale et ont, très souvent, continué l’œuvre d’élimination des langues africaines.

Ce scénario est évidemment trop schématique et ne peut rendre compte de toutes les situations linguistiques coloniales ou postcoloniales. En effet, toutes les classes locales dirigeantes n’ont pas eu la même attitude vis-à-vis de la langue coloniale. Cela s’est traduit, en bien des lieux, par un refus de l’école étrangère.

Il faut bien noter ici que, lorsque l’on parle de glottophagie, c’est de façon métaphorique et que ce n’est pas une langue X qui « dévore » une langue Y, mais les locuteurs d’une langue X, appartenant à un groupe sociopolitique particulier (colonisateur), qui « dévorent » la langue des locuteurs de langue Y. Il n’y a donc pas, comme certains sociolinguistes aiment à le dire, une « langue tueuse » (killer language » (Mufwene 2005) et une langue assassinée. Ce qui est en jeu, c’est un rapport de pouvoir entre locuteurs de langues différentes.

Toute situation de plurilinguisme n’entraîne pas automatiquement de glottophagie, évidemment. Ainsi, des locuteurs de langues différentes cohabitant au quotidien, étant en contact dans leurs activités économiques et culturelles et entretenant des interactions en contexte d’oralité, ne se trouvent pas forcément dans un rapport de force et de domination.

 


Renvois:

1  https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9A1923

2  https://www.atilf.fr/ressources/tlfi/

 


Références:

    • Calvet Louis-Jean, 1974, Linguistique et colonialisme : Petit traité de glottophagie, Paris, Payot, 252 p.
    • Mufwene Salikoko S., 2005, « Globalization and the myth of killer languages: What’s really going on? », Perspectives on endangerment 5, p. 19-48.

Henry Tourneux