Les lámara (proverbes dioula)

 

 

 

Mots-clés:  mandingue, dioula, Dioula de Kong, Côte d’Ivoire — oralité, parémiologie, lámara, proverbe.

Résumé:  L’étude précise ce que sont les lámara, leur morphologie, leur valeur d’emploi, les conditions dans lesquelles ils ont été recueillis. Elle présente ensuite un échantillon de soixante-dix-huit exemples relevant de ce genre en version bilingue dioula-français. Pour chaque exemple, est mentionné le sens sous-jacent que la communauté des Dioula de Kong est susceptible de donner à ces énoncés imagés, suivant une enquête menée auprès de personnes ressource sur place.

L’étude est extraite de Jean Derive 1987. Les références de pages indiquées renvoient à cette édition.

 

 

 

Sommaire

 

Introduction

 

I   Lámara normatifs

 

1.1     Énoncé d’une seule proposition

1.1.1    Figure à dominante actantielle

1.1.2     Figure à dominante situationnelle

1.2     Énoncés contenant plusieurs propositions

1.2.1     Figure à dominante situationnelle

1.2.2     Figure symbolique

 

II   Lámara constatifs

 

2.1     Énoncés d’une seule proposition

2.1.1    Figure à dominante actantielle

2.1.1.1    Image fondée sur une propriété implicite du (ou des) support(s) actantiel(s)

2.1.1.2    Image fondée sur une (des) propriété(s) anecdotique(s) du (des) support(s) actantiel(s), explicitement présente(s) dans l’énoncé

2.1.2     Figure à dominante situationnelle

2.1.3     Figure symbolique

2.2     Énoncés contenant plusieurs propositions

2.2.1     Figure à dominante actantielle

2.2.1.1    Image fondée sur une (ou des) propriété(s) implicites(s) du (ou des) support(s) actantiel(s)

2.2.1.2    Image fondée sur une (des) propriété(s) du (des) support(s) actantiel(s), explicitement présente(s) dans l’énoncé

2.2.2     Figure à dominante situationnelle

2.2.3     Figure symbolique

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Introduction

 

 

 

Le terme « proverbe » pour traduire lámara est une approximation. Ce type d’énoncé sentencieux a des canons bien particuliers que nous avons exposés dans notre tome 1 (pp. 140-142).

Il en est des lámara comme des lásiri dɔnkili « devises chantées » : c’est un genre qui ne fait pas l’objet de séances particulières qui lui sont consacrées : ou bien il est au quotidien pour illustrer une situation vécue, ou faire des remontrances à quelqu’un — dans ce dernier emploi, on l’appelle alors kúmakɔrɔtigi (cf. t. 1: 140-142) ; ou bien, il peut prendre une forme chantée et s’intégrer à des corpus relatifs à d’autres genres littéraires (cf. t.1: 228-230).

 

Collecte

La plupart de ces textes n’ont pas été recueillis dans leurs conditions naturelles de production, qui étaient très difficiles à saisir pour un non-résident, du fait de la contingence de cette production à la communication quotidienne. Ce sont donc surtout des lámara qui nous ont été donnés « hors situation », par diverses personnes ressources.

 

Présentation du corpus

Dans la présentation de ce corpus, nous dérogeons aux principes que nous nous sommes fixés, et qui consiste à présenter nos séries d’œuvres selon le déroulement effectif de leur énonciation, au moment de leur production naturelle, lorsque celle-ci a fait l’objet d’une « séance » (cf. t. 1: 93). Puisque cette méthode est impossible à appliquer ici, nous présentons les textes selon un classement analytique permettant de mieux mettre en évidence les principaux traits, notamment structuraux, qui caractérisent le genre.

Tous les énoncés sentencieux n’étaient pas considérés par les Dioula comme lámara : n’ont ce statut, en principe, que ceux qui ont été soumis à un processus imageant, en fonction d’un code bien déterminé qui conduit l’énoncé à avoir un double statut de dénotation (J. Cauvin 1976a). Le premier niveau de dénotation1 fonctionne, comme dans tout énoncé, grâce au code linguistique, qui permet de renvoyer les signifiants de l’énoncé à des signifiés connus. Mais, dans le cas du lámara, s’y associe un second niveau dans lequel les signifiés du premier deviennent des signifiants, qui dénotent à leur tour autre chose. Ce second transfert de signification se fait selon un code culturel fonctionnant sur le principe de l’homothèse (J. Cauvin 1976a:: 20-24).

 

Classement

Le fonctionnement de ce second code homothétique, donne au lámara sa personnalité propre par rapport à la communication contingente au quotidien, et sa véritable pertinence culturelle. Sa connaissance est en effet nécessaire pour que le kɔ́rɔ du proverbe, c’est-à-dire son sens caché (ou heuristique — J. Cauvin 1976a:: 19-20) puisse être saisi. Les différentes modalités de ce code imageant déterminent la structure poétique des lámara et pourront nous guider dans notre classement.

Mais ce code est lui-même dépendant des différentes fonctions que peut avoir le proverbe dans la communication, fonctions qui représentent également un critère important pour les distinguer entre eux. C’est donc d’après cette double structure poétique et fonctionnelle que nous allons classer nos textes.

 

Critères fonctionnels

Notre classement se fondera en premier lieu sur un critère fonctionnel qui nous permettra de distinguer des lámara « normatifs » et des lámara « constatifs ». Bien sûr, tout proverbe comporte plus ou moins une référence à une norme, dans la mesure où il est censé énoncer une vérité tenue pour établie. Mais il y a une différence fondamentale entre ceux qui se bornent à constater l’existence d’une loi dont la validité est reconnue par l’expérience collective de la communauté (ceux que nous appelons « constatifs »), et ceux qui dictent explicitement une véritable norme de comportement (ceux que nous appelons « normatifs »), au nom d’une certaine conception de la vie.

Ces derniers se distinguent toujours formellement des autres par le fait que leur énoncé comporte nécessairement des éléments linguistiques exprimant l’obligation (du type « il faut », « on doit », « tu dois », ou « il ne faut pas », « on ne doit pas »…) ou bien l’injonction (utilisation de l’impératif selon un mode positif ou négatif : « fais ceci », « ne fais pas cela »). Ces lámara normatifs ont généralement une forte valeur conative2, et l’utilisation de la deuxième personne y est fréquente.

Deux exemples feront bien comprendre la distinction entre ces deux types.

1° « L’œil du vainqueur ne se cache pas ».

Ce lámara constate une vérité d’expérience, à savoir que celui qui se trouve en position de force ne se gêne généralement pas pour imposer ses points de vue ou ses entreprises. Mais il ne contient aucun jugement de valeur ni positif ni négatif à l’égard d’un tel comportement. C’est donc un proverbe « constatif ». Il en irait différemment si l’énoncé était : « L’œil du vainqueur ne doit pas se cacher », car il supposerait alors une prise de position de la culture populaire par rapport au fait constaté.

2° « Si tu ne peux te permettre d’abandonner ton compagnon dans ta fuite, ne mange pas la drogue qui donne les jambes sans lui en laisser ».

Dans ce second lámara, au contraire, la structure de l’énoncé est telle qu’elle dicte explicitement une norme de comportement. Lorsqu’on est solidaire de quelqu’un dans une épreuve, il ne faut pas envisager une stratégie individuelle pour s’en sortir. La présence de la deuxième personne « tu », « ne mange pas » donne à ce conseil une fonction conative très forte : il devient une véritable exhortation. C’est un proverbe « normatif ».

Cependant, les lámara du type « constatif » peuvent être employés dans un sens « normatif ». Ainsi le proverbe « L’œil du vainqueur ne se cache pas » peut être dit pour :

      • commenter le comportement d’un tiers absent au moment de l’acte de communication ;
      • mais aussi pour encourager son interlocuteur à faire fi de ses scrupules, et à profiter de rapport de force qui lui est favorable pour s’imposer ;
      • à l’inverse, il peut aussi fonctionner comme un reproche, signifiant alors : « Je vois que, profitant de la situation, on ne se gêne plus ».

Mais ces différents emplois sont justement permis par une neutralité relative de l’énoncé et dépendent de la volonté de l’utilisateur. Par rapport à la proposition de base, il peut émettre le jugement de valeur qu’il veut. Dans le cas du proverbe « normatif », c’est au contraire la culture communautaire qui impose son point de vue.

Il y a là une différence très importante du point de vue du fonctionnement idéologique d’une société. Chacun des deux types de proverbes correspond en effet à deux attitudes pédagogiques bien distinctes pour favoriser l’assimilation du système de valeurs qui y prédomine, l’une plus ouverte, l’autre plus dogmatique.

 

Critères syntaxiques

Notre classement tiendra compte d’une seconde distinction. Elle séparera les lámara dont l’énoncé ne comporte qu’une seule proposition (premier exemple ci-dessus) et ceux dont l’énoncé comporte deux propositions ou plus (deuxième exemple) liées entre elles par différentes sortes de rapports logiques. On aura, à titre indicatif :

      • relation de cause à effet (s’il arrive ceci, il se passera cela — ou « tu devras faire cela » — si c’est un proverbe « normatif ») ;
      • relation de concession (même s’il arrive ceci — ou bien qu’il arrive ceci — il se passera cela) ;
      • relation de comparaison pour exprimer une égalité (il se passe ceci qui est comme cela) ou une hiérarchie (qu’il se passe ceci vaut mieux qu’il se passe cela), etc.

Ce nouveau type de distinction a aussi son importance, car il est également révélateur de deux attitudes culturelles. Des proverbes limités à des propositions simples se bornent à exprimer le fruit d’une expérience directe et immédiate : nous sommes dans l’ordre du « pragmatique ». Des proverbes qui, au contraire, font état de plusieurs propositions liées entre elles par des relations logiques impliquent alors l’ébauche d’un raisonnement, donc, d’une construction aboutissant à une vision du monde : nous sommes dans l’ordre de la « philosophie ». La proportion dans le patrimoine de l’un et de l’autre type de proverbes n’est donc pas indifférente pour déterminer à quel type de culture on a affaire.

 

Modalités de la fonction imageante

À ces distinctions, nous en avons combiné d’autres, déterminées par les modalités de la fonction imageante dans le proverbe. Celles-ci sont cette fois plutôt révélatrices d’une poétique de la culture. Le mécanisme imageant du proverbe ne suit pas en effet toujours le même principe.

Le caractère figuré du lámara s’appuie sur deux grands types d’images :

      • celles qui sont relatives aux supports actantiels de l’énoncé ; par exemple, les personnages d’une action, ou les éléments auxquels s’appliquent une situation, un état. Nous les appellerons « images actantielles » ;
      • celles qui sont relatives aux actions et/ou aux situations mises en cause dans cet énoncé. Nous les appellerons « images situationnelles ».3

Il peut arriver que les lámara ne soient imagés qu’à un seul de ces deux plans, mais le plus souvent la fonction homothétique porte à la fois sur le ou les rapports actantiels, et sur la ou les situations.

Cependant, ce n’est pas parce que l’homothèse est complète qu’il n’existe pas un principe de figuration dominant.

L’expression figurée du lámara est souvent commandée par une image-pivot qui est la base même de la figure. Celle-ci peut porter soit sur les supports actantiels, soit sur les prédicats, c’est-à-dire les actions ou les situations dans lesquelles sont impliqués les actants. Voici quelques exemples, pour illustrer ces différents cas d’espèce.

Soit le proverbe suivant : « Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres ».

Dans un tel énoncé, on voit nettement que la figure est commandée par des images portant sur les supports actantiels : « le battant de porte usagé » représente un objet de référence (qui peut bien entendu être une personne, un sentiment aussi bien qu’une « chose ») dont la caractéristique est d’être dévalorisé ou périmé dans une conjoncture de base non définie dans l’énoncé, et « l’entrée de la maison des chèvres » figure une seconde conjoncture, dépréciée par rapport à la première, dans laquelle l’objet de référence est susceptible de retrouver une certaine valeur. Le lien prédicatif qui unit ces deux supports, « fait bon effet »4, est quant à lui à peine figuré, et l’expression pourrait presque se retrouver intacte dans une formulation non imagée. Nous avons là une figure à dominante actantielle.

Par contre, dans un proverbe comme celui-ci, « on apprend à marcher sur un pied en prévision d’un certain jour », c’est l’action-situation « marcher sur un pied » qui joue le rôle d’image-pivot. Il s’agit d’une figure à dominante situationnelle.

Mais très souvent, c’est la relation qui existe entre le (ou les) support(s) actantiel(s) et la (ou les) situation(s) qui justifie la pertinence de la figure.

Soit par exemple ce lámara : « Ils ont la main dans la poche du boubou qu’ils ne portent pas », qui s’emploie lorsqu’on veut signifier que des gens se mêlent de ce qui ne les regarde pas.

Dans ce cas, on ne peut pas dire que la pertinence de la figure d’ensemble est davantage commandée par une image actantielle (le boubou) que par une image situationnelle (ne pas le porter, avoir la main dans la poche).

Elle est véritablement fondée sur la relation qui existe entre ces deux catégories d’éléments, et qui nous fait passer de la simple image au symbole. Nous parlerons alors de figures symboliques. C’est évidemment le processus de figuration le plus achevé.

Il est donc également intéressant, dans le cadre d’une approche de la poétique du langage « littéraire », de voir, parmi ces différents mécanismes de la fonction imageante, ceux qui sont privilégiés et qui témoignent de différents degrés dans la maîtrise du langage.

 

L’analyse du sens

Les grandes lignes de notre grille classificatoire ayant été définies, nous pouvons maintenant passer à la présentation de notre échantillon de proverbes. Nous accompagnerons chaque lámara d’un commentaire intitulé kɔ́rɔ. Ce n’est pas par simple coquetterie que nous avons utilisé ce terme dioula pour l’analyse du sens de ces énoncés. C’est que chez les Dioula, c’est une pratique classique de donner, dans un but pédagogique, le kɔ́rɔ des proverbes utilisés à un étranger ou à un interlocuteur jugé trop inexpérimenté pour le connaître. Les lámara sont donc l’objet effectif de commentaires par les utilisateurs eux-mêmes. Bien sûr, ces commentaires, comme tous ceux qui sont issus de cultures populaires, ne sont pas faits en fonction d’un modèle théorique de type scientifique, et plusieurs niveaux s’y trouvent confondus : on y retrouve pêle-mêle, l’explication des images particulières, les valeurs d’emploi de l’énoncé, et la traduction de la figure sous la forme plus abstraite d’une sentence énoncée en « kúma bgɛ́ »5,  en langage clair (par opposition au langage imagé) : c’est-à-dire qu’en général, à un aphorisme imagé qui a acquis le statut de lámara, les Dioula, pour en expliquer le sens, substituent en équivalent un aphorisme sans image, qui en est comme la version décodée. Quoi qu’il en soit, l’exposé de ces kɔ́rɔ est en général très riche, et ce sont eux qui ont en grande partie nourri nos propres commentaires, auxquels nous avons simplement donné une forme un peu plus organisée et davantage modélisée. C’est par respect pour ces sources que nous les avons intitulés « kɔ́rɔ ».

 

 

 


 

 

I

Lámara normatifs

 

 

1.1   Énoncé d’une seule proposition

1.1.1 Figure à dominante actantielle

1

Dén tágamabaruku kána

yɛ́rɛko mùruku mà

Enfant qui n’a pas encore marché,

ne te moque pas d’un perclus.

Kɔ́rɔ : Tout le principe de la figuration repose ici sur la double relation, antinomique, de parallélisme et d’opposition entre les deux images actantielles : parallélisme, car ni l’enfant ni le perclus ne marchent ; opposition, car l’un n’a pas encore marché, alors que l’autre ne marche plus. Par contre la situation qui les unit l’un à l’autre dans l’énoncé, marquée par le verbe « se moquer » employé à l’impératif négatif, est exprimée sous une forme qui n’est pas quant à elle vraiment figurée, car c’est bien de moquerie dont il est question dans la signification effective du proverbe : il ne faut pas s’amuser de l’échec ou des difficultés de quelqu’un dans un domaine où on n’a pas fait soi-même les preuves (sous-entendu : en effet, on risque de faire encore moins bien, lorsqu’on sera soi-même confronté à cette situation).

Ce lámara peut avoir deux significations d’emploi principales :

1°Il peut être utilisé lorsque quelqu’un se rit effectivement des difficultés de quelqu’un d’autre, et il fonctionne alors comme une sorte de reproche adressé au persifleur dont l’aptitude à faire mieux est mise en doute.

2° Mais il peut être adressé aussi à ce même interlocuteur un peu plus tard, lorsqu’il se trouve confronté au même type de problème que la personne dont il se moquait, et qu’il rencontre à son tour des difficultés. Le proverbe prend alors valeur de leçon.

 

1.1.2 Figure à dominante situationnelle

2

Kána síran byɛ́ nyá kà í nàgakɔrɔ mwɔ́mwɔn.

N’aie pas peur de caresser ton bas ventre devant tout le monde.

Kɔ́rɔ : Dans cet énoncé, ni l’actant (exprimé seulement par la deuxième personne impliquée par l’emploi de l’impératif), ni l’exhortation qui lui est adressée (káná síran : n’aie pas peur) ne sont véritablement figurés. Toute l’image est concentrée sur la relation qui existe entre l’action qu’on prête à l’interlocuteur (kà í nàgakɔrɔ mwɔ́mwɔn : se caresser le bas ventre) et les modalités selon lesquelles se déroule cette action (byɛ́ nyá : aux yeux de tous).

Le bas ventre, c’est le siège des instincts, des appétits grossiers. Se caresser le bas ventre, c’est flatter ces tendances, leur donner libre cours. Le faire aux yeux de tous, c’est manquer de retenue.

C’est pourquoi ce proverbe est employé par antiphrase, avec une intention ironique, un peu comme dans ces énoncés qu’on rencontre assez fréquemment dans la conversation : « Eh bien ne te gêne plus ! », « Ne t’en fais surtout pas »… Les Dioula sont en effet des gens très prudes, pour qui l’apparence extérieure compte énormément, et manquer de pudeur en public, c’est se conduire comme un wòloso, un captif domestique. L’apparente exhortation est donc en réalité un reproche ironique qu’on adresse à celui qui ne fait pas preuve de suffisamment de retenue devant les autres.

Toutefois il peut arriver — nous en avons été témoins — que le proverbe se prête aussi à l’emploi inverse. Devant se comprendre alors au premier degré de signification de l’énoncé, il est dans ce cas un encouragement réel adressé à quelqu’un d’excessivement timide, pour qu’il extériorise davantage ses désirs. Mais ce dernier emploi est beaucoup plus rare.

 

1.2   Énoncés contenant plusieurs propositions

1.2.1 Figure à dominante situationnelle

3

Ní í tɛ́ nà sé kà bòli kà mɔ̀gɔ mín tó,

kána bòlifila dómu kà ò tígi tó.

Si tu ne peux te permettre d’abandonner ton compagnon dans ta fuite,

ne mange pas la drogue qui donne des jambes sans lui en laisser.

Kɔ́rɔ : Nous avons classé ce lámara dans les figures à dominante situationnelle, puisque les images qui commandent la figure portent sur l’action (courir, manger de la drogue), et non sur les actants.

Ce proverbe normatif s’emploie pour déconseiller formellement, lorsqu’on est indissolublement solidaire de quelqu’un dans une épreuve difficile, de chercher des solutions individuelles pour s’en sortir.

 

4

Mɔ̀gɔ mín kà à fɔ́ dúnunya tɛ́ só yé,

ò yé tága Alahara.

La personne qui dit que le monde n’est pas habitable,

qu’elle parte au royaume d’Allah.

Kɔ́rɔ : On pourrait penser au premier abord que nous sommes en présence, pour une fois, d’une sentence non imagée. En effet, dans la mesure où l’actant ne fait pas d’objet d’une quelconque figure (« la personne qui dit »), cet énoncé peut se comprendre comme un adage renvoyant directement à la situation exprimée par le signifié du texte : « Celui qui n’est pas content de vivre n’a qu’à partir au séjour des morts ».

Mais en fait, il n’en va pas ainsi, et l’expérience montre que ce lámara se rapporte le plus souvent à des situations tout à fait autres. Par conséquent, les deux procès (dire que le monde n’est pas habitable, partir au royaume d’Allah) sont bien des figures représentant d’autres situations possibles.

Le proverbe a donc un sens beaucoup plus général que celui qui est porté par son simple signifié, et on l’emploie habituellement pour commenter le comportement de celui qui se plaint à tort d’une situation (économique, matrimoniale, etc.) qui est loin d’être si mauvaise. On suggère ainsi que si cette personne juge son état présent insupportable, elle n’a qu’à agir pour en changer au lieu de se plaindre. Si elle ne le fait pas, c’est peut-être qu’au fond, elle ne trouve pas sa situation aussi désagréable qu’elle le dit et qu’elle sait qu’elle pourrait rencontrer bien pire.

Bien qu’à la différence du proverbe précèdent, il n’y ait pas de propositions subordonnées l’une à l’autre dans un rapport de cause à effet introduit par la conjonction ní, la juxtaposition rend cette relation implicite. Et la fonction normative de l’énoncé est portée par la seconde proposition, qui a une certaine valeur injonctive : « Si on n’est pas content du monde des vivants, on n’a qu’à partir chez les morts ».

 

1.2.2 Figure symbolique

Dans les exemples qui vont suivre, le processus de figuration portera sur la relation entre tous les éléments de l’énoncé qui s’unissent pour former un symbole.

 

5

Ní í tɛ́ nà mùsokɔrɔni bɛ̀n ní à dòni yé,

kána à fɔ́ : « Màma tó ń yé ń tá lá í fɛ̀. »

Si tu ne parviens pas à rencontrer la vielle femme avec son fardeau (pour la décharger),

ne dis pas : « Maman, laisse-moi ajouter le mien au tien. »

Kɔ́rɔ : Cette fois la cohérence de la figure porte sur la relation entre les images actantielles (vieille femme, c’est-à-dire quelqu’un que son fardeau accable particulièrement et qu’il faudrait donc normalement aider) et les images situationnelles (décharger ou alourdir le fardeau).

Ce proverbe se dit à l’intention de quelqu’un qui sollicite une aide auprès d’un tiers qui en aurait infiniment plus besoin que lui.

On pourra remarquer que les lámara 3 et 5 ont exactement la même structure syntaxique pour exprimer leur fonction normative : « ní í tɛ́ nà…, kána… ». La relation qui existe entre les deux propositions est un rapport explicite de cause à effet, même s’il s’agit en l’occurrence, par la négation, de prévenir un effet jugé dommageable.

 

6

Ní í t í ń kɛ́ dèrekeba yé,

kána ń kɛ́ kɔ́rɔra yé.

Si tu ne peux me mettre en grand boubou,

ne me mets pas en sous-vêtement.

Kɔ́rɔ : Dèrekeba, le grand boubou, c’est le costume prestigieux par excellence, qui s’oppose naturellement au sous-vêtement, tenue familière dans laquelle on ne se montre pas en public.

Ce lámara 6 a la même structure syntaxique que les lámara 3 et 5, et sa valeur d’emploi est très proche du précédent. De même que, si on ne peut pas soulager la vieille en la déchargeant de son fardeau, ce n’est pas une raison pour ajouter le sien à celui qu’elle porte déjà, de même, ce n’est pas parce qu’on ne peut rendre à quelqu’un un grand service (le mettre en grand boubou, état valorisé), qu’il faut pour autant lui nuire, en le dépouillant (le mettre en sous-vêtement) : si tu ne peux m’aider, au moins ne me gêne pas.

Le proverbe qui suit, toujours à fonction normative, va mettre cette fois en jeu un rapport d’opposition entre les deux propositions.

 

7

Í mána à fɔ́ í yé fìtina blà fyé yé,

Í yé kɔ́gɔ kɛ́ à ná ná.

Au lieu de prétendre allumer une lampe à huile pour un aveugle,

mets-lui plutôt du sel dans sa sauce.

Kɔ́rɔ : Le sens de cette figure-symbole est facile à saisir. On emploie ce lámara pour conseiller à quelqu’un de faire quelque chose de plus sensé que ce qu’il fait.

 

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*          *

 

Nous allons maintenant citer une série de proverbes que nous avons rangés dans la catégorie normative, bien que les marques linguistiques de cette fonction soient, dans leur énoncé, moins évidentes que dans les cas précédents. Ces lámara sont généralement construits selon les structures syntaxiques suivantes : à une première proposition à valeur conditionnelle plus ou moins explicitement affirmée, suit une question, qui n’est en réalité qu’une provocation, car il s’agit d’une fausse question dont la réponse est évidente. Elle n’a donc d’autre fonction que de faire accepter par l’interlocuteur lui-même une norme de comportement, selon une technique maïeutique bien connue.

Au lieu d’une question, la proposition qui suit l’expression de la condition peut aussi être une prévision marquée par le futur. Celle-ci apparaît alors comme une conséquence négative de la condition initiale, qui est toujours une hypothèse formulée sur un comportement possible. L’effet négatif de ce comportement, énoncé dans la deuxième partie du proverbe, revient à la condamner implicitement. Il s’agit bien d’un mode d’expression normatif.

Dans la plupart des lámara de ce type, la présence de la deuxième personne, sous diverses formes grammaticales, donne à l’énoncé une valeur conative qui en renforce encore la fonction normative.

 

8

Bása bɛ́ fòrontoji mìnna,

Íle sàkɛnɛ táraji bɔ́ kún ?

Le margouillat boit l’eau pimentée,

pourquoi est-ce toi le petit lézard qui transpires ?

Kɔ́rɔ : Avec un tel lámara, on aurait pu penser qu’on était en présence d’une figure à dominante situationnelle, dans la mesure où, apparemment, l’ancrage qui en fonde l’isotopie porte d’abord sur la relation entre les actions : « boire l’eau pimentée », et « transpirer ». Il est bien connu en effet que l’absorption d’aliments pimentés accélère notablement la sudation. On pourrait être alors tenté de considérer que le caractère imagé des actants (le margouillat et le petit lézard), relativement arbitraire, est sans grande pertinence pour le système, sinon qu’il s’agit de personnages appartenant à des espèces assez proches l’une de l’autre. Si une telle hypothèse était fondée, on pourrait remplacer ces actants par d’autres, ayant entre eux le même rapport de proximité (par exemple : « Le mouton boit l’eau pimentée, pourquoi est-ce toi, le cabri, qui transpires ? ») en conservant au proverbe tout son sens.

En fait, il n’en est rien et, par un tel transfert, la figure perdrait une partie de sa pertinence, qui donne au lámara toute sa finesse. Il convient de préciser d’abord que bása et sàkɛnɛ sont deux sortes de lézards de taille sensiblement différente. Bása, le margouillat, qui fait partie de la famille des agames, a une longueur d’environ trente centimètres. Sàkɛnɛ est un lézard beaucoup plus petit (dix centimètres tout au plus). Il y a donc déjà, dans le rapport entre les deux images, l’idée implicite d’une inégalité entre un grand, un puissant, et un petit, plus faible. Mais surtout, il faut savoir que le sàkɛnɛ est une variété de lézard qui a le dos légèrement argenté, ce qui donne effectivement l’impression, lorsqu’il se trouve au soleil, qu’il est recouvert d’humidité. Ce n’est donc pas arbitrairement qu’il a été choisi pour figurer celui qui sue. C’est l’ensemble de ces implications, saisies par l’interlocuteur familier de la culture, qui donne à la figure toute sa complexité.

Selon ce que nous avons brièvement expliqué dans l’introduction à cette série spécifique de lámara, ce processus a une fonction normative suggérée par sa structure linguistique même. C’est une formulation qui sous une forme atténuée équivaut à celle-ci : « Puisque c’est le margouillat qui a bu l’eau pimentée, toi, le lézard, tu ne devrais pas suer ». Il s’agit donc bien de proposer sous une forme indirecte une norme de comportement, en encourageant le faible à ne pas accepter de subir les conséquences d’un méfait commis par un plus fort, qui doit précisément son impunité à sa puissance.

 

9

Ní í kà fɔ́ í kà mùsoko lɔ́n í bláncɛ yé,

à kà dén wóro cógoya mín ná kà à dí í mà, í kà ò lɔ́n ?

Si tu dis que, question femmes, tu t’y connais mieux que ton beau-père,

la manière dont il a engendré sa fille pour te la donner, est-ce que tu la connais ?

Kɔ́rɔ : Il s’agit bien d’un énoncé sentencieux imagé, car bien entendu ce lámara a une signification de portée générale susceptible de s’appliquer à un très grand nombre de situations autres que le cas d’espèce très particulier envisagé dans son énoncé. Il s’emploie pour rappeler quelqu’un, qui prétend avoir des connaissances égales ou supérieures à celles des spécialistes dans un domaine qui n’est pas le sien, à plus de modestie. Mais la figure de beau-père et du gendre n’est pas neutre, car nous avons pu constater que ce proverbe était souvent utilisé pour valoriser effectivement l’expérience des vieux sur celle des plus jeunes.

 

10

Ní í kà í kùn dán í sìnamuso tá dán cógorá,

ní tùru má à yága, shyéden kélen ò nà à yága.

Si tu te tresses la chevelure de la même manière que ta coépouse,

même si le chignon n’est pas différent, un cheveu au moins manque.

Kɔ́rɔ : On ne peut jamais faire exactement pareil que son prochain. Tout comme dans l’exemple 7, la structure syntaxique de ce lámara est telle que cette constatation prend une forte valeur conative et donne à l’énoncé une fonction normative : il ne faut pas essayer de copier systématiquement les autres, on n’y réussira pas. Il vaut donc mieux chercher sa propre voie.

 

11

Ní fàtɔ kà í bílan tà, í kà gbán à kwɔ́,

íle bɛ́ fàtɔ dɔ́ lè yé.

Si un fou te prend ton cache-sexe et que tu cours après lui,

tu ne seras toi-même qu’un autre fou.

Kɔ́rɔ : La valeur normative implicite de ce lámara est cette fois encore parfaitement perceptible du fait de la structure de l’énoncé. On ne doit pas répondre à une inconséquence par une autre inconséquence.

 

12

Jí tɛ́ dàga mín ná, à ká kɔ̀rɔ,

ní íle kà à fɔ́ í yé ò fà, í yé myɛ́n.

Le canari qui n’a pas contenu d’eau depuis longtemps,

si tu dis que tu vas le remplir, tu y passeras du temps.

Kɔ́rɔ : Pour bien comprendre la valeur imagée de ce lámara, il faut savoir que la terre des poteries utilisées dans cette partie de l’Afrique pour conserver l’eau, a une porosité qui l’amène à en absorber une bonne partie ; ce qui permet d’ailleurs de conserver l’eau fraîche par un phénomène d’évaporation constante. Lorsque le récipient est utilisé régulièrement, ses parois sont encore imbibées d’eau, même si son contenu est vide. Aussi, quand on va le remplir d’eau à nouveau, le niveau du contenu ne baissera-t-il pas sensiblement. Par contre, s’il s’agit d’une poterie entièrement sèche, le contenu des premiers pleins sera rapidement absorbé par la paroi, et le canari se videra de lui-même. Il faudra donc recommencer l’opération plusieurs fois avant que le niveau ne se stabilise enfin.

Une telle figure signifie donc qu’il est coûteux et laborieux de se lancer dans une action ou une entreprise avec quelqu’un qui n’y est pas entraîné (ou si on n’y est pas soi-même entraîné). La structure de l’énoncé, identique à celle des précédents, suggère qu’il vaut mieux ne pas agir ainsi, d’où le classement de ce lámara dans la catégorie des proverbes normatifs.

 

13

Ní kùnduru6 kà à ní à fá síra blà,

lólen byɛ̀n lè yé à sɔ̀gɔ.

Si la souris abandonne le chemin de sa mère et de son père,

c’est la pointe du chiendent qui la piquera.

Kɔ́rɔ : Si on prend des libertés avec la voie tracée par les ancêtres — autrement dit avec les normes culturelles de toutes sortes —, on s’expose aux pires ennuis. Par conséquent, il faut respecter cette norme culturelle.

 

 

II

Lámara constatifs

 

 

L’énoncé des lámara constatifs ne comporte pas de marques linguistiques impliquant la proposition à l’interlocuteur d’une norme de comportement.

 

2.1   Énoncés d’une seule proposition

2.1.1 Figure à dominante actantielle

Dans la mesure où l’échantillon des énoncés de ce type est plus conséquent pour les proverbes constatifs que pour les proverbes normatifs, nous allons subdiviser cette rubrique des « figures à dominante actantielle » en plusieurs catégories.

Nous distinguerons deux cas :

      • l’image est choisie pour une (ou des) propriété(s) du (ou des) support(s) actantiel(s) supposée(s) connue (s), mais non présente(s) dans l’énoncé.
      • l’image est fondée sur (une) ou des propriété(s) anecdotique(s) et/ou non intrinsèque(s) du (ou des) support(s) actantiel(s) qui sont précisées dans l’énoncé.

À l’intérieur de chacune de ces catégories, nous établirons encore une distinction entre les images qui sont commandées par un seul support actantiel, et celles qui sont commandées par la relation entre plusieurs (au moins deux) supports actantiels.

 

2.1.1.1   Image fondée sur une propriété implicite du (ou des) support(s) actantiel(s)

          • Image commandée par un seul support

14

Sébaga nyá fíri tɛ́.

L’œil du vainqueur ne se cache pas.

Kɔ́rɔ : La signification de ce proverbe a déjà été évoquée supra : celui qui se trouve en position de force, profite de cette situation favorable pour s’imposer. Chacun sait que l’œil du vainqueur est arrogant et saisit donc la pertinence de l’image choisie.

 

          • Image commandée par la relation entre plusieurs supports

15

Fén mín bɛ́ bóro rá ò má dá dán.

Ce qui se trouve dans la main n’a pas créé la bouche.

Kɔ́rɔ : La chose qui se trouve ainsi dans la main, c’est, dans cette figure, la poignée de nourriture qu’on a prise de sa main droite dans le plat, et qu’on va porter à sa bouche. L’image globale se fonde donc sur la relation entre cette poignée de nourriture et la bouche qui est une relation du type proie/prédateur. Il faut comprendre : la poignée de nourriture n’aurait pas été assez sotte pour créer la bouche qui l’absorbe.

Ce proverbe s’emploie donc surtout pour expliquer le comportement de quelqu’un qui cherche à éviter à tout prix d’agir contre son intérêt. Cependant, il a aussi un type d’emploi légèrement différent, qui repose sur un autre aspect de la relation bouche/nourriture. Il existe entre les deux termes un rapport hiérarchique dominant/dominé. Le proverbe peut donc aussi signifier : le subordonné n’a pas créé le maître (sous-entendu, c’est le maître qui a créé le subordonné). Dans ce dernier emploi, il peut prendre alors une fonction normative, puisqu’un tel énoncé implique qu’il ne faut pas renverser l’échelle des valeurs.

 

16

Kómbo tî lɔ́n sánje júkɔrɔ.

On ne reconnaît pas les pleurs sous la pluie.

Kɔ́rɔ : Cette fois encore la pertinence de l’image est fondée sur la relation de similitude (liquide qui coule) entre pluie et pleurs.

Ce proverbe s’emploie surtout à propos d’un menteur réputé qui, affirmant qu’il dit pour une fois la vérité, demande à être cru. Le proverbe justifie alors les réserves de ses interlocuteurs. Si on veut donner à ce lámara une signification plus générale, formulée de façon plus abstraite, on peut le traduire par la sentence suivante : il est difficile de distinguer le vrai du faux lorsqu’on se trouve dans une situation où l’on est abreuvé de faux.

 

2.1.1.2   Image fondée sur une (des) propriété(s) anecdotique(s) du (des) support(s) actantiel(s), explicitement présente(s) dans l’énoncé

          • Image commandée par un seul support

 

17

Bóromanden fɛ́rɛ, dɔ́ á jàn dɔ́ yé.

Regarde les doigts, certains sont plus grands que d’autres.

Kɔ́rɔ : Syntaxiquement parlant, cet énoncé est formé de deux propositions, mais du point de vue sémantique il se réduit à une proposition unique : certains doigts sont plus grands que d’autres. C’est pourquoi nous l’avons classé dans les lámara ne contenant qu’une seule proposition. Les doigts de la main sont ici le support figuré de l’inégalité entre les êtres dans le monde. Pour que cette figure soit bien comprise, l’énoncé précise la propriété des doigts qui est retenue pour justifier la pertinence de l’image : ils sont de grandeur différente. La traduction abstraite de ce proverbe serait : l’inégalité est chose naturelle.

 

          • Image commandée par la relation entre plusieurs supports

 

18

Kón kólon cɛ́ á nyì bàbonda rá.

Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres.

Kɔ́rɔ : Le fonctionnement de ce lámara a déjà été analysé, à titre d’exemple, dans l’introduction. Nous ajouterons simplement que la figure ne prend son sens que par rapport à une qualité spécifique que l’énoncé attribue au battant de la porte, et qui n’est pas intrinsèque à cet objet. Il est usagé (kólon), ce qui l’a rendu impropre à son usage originel (fermer l’entrée de la maison des gens) et l’a amené à passer d’une situation initiale à une situation seconde dégradée, dans laquelle il se trouve du coup revalorisé. Traduction abstraite : ce qui n’est plus bon dans une conjoncture donnée peut retrouver du prix dans une conjoncture dégradée.

 

19

Sú mín yé nà díya, ò lɔ́n ò fìtiri lè mà.

C’est à son crépuscule qu’on reconnaît la nuit qui sera agréable.

Kɔ́rɔ : L’image de la nuit est associée ici au trait « agréable » qui caractérise, non pas toutes les sortes de nuit, mais un type bien particulier.

Ce lámara s’emploie pour commenter un événement dont on attend (ou dont on a attendu) des suites agréables qu’on espère obtenir (ou qu’on a obtenues). Il est fondé sur l’idée que beaucoup de phénomènes, positifs ou négatifs, sont précédés de signes annonciateurs qui, lorsqu’on sait les lire, rendent ces phénomènes prévisibles.

Il faut toutefois préciser que ce lámara s’emploie souvent dans le contexte du badinage amoureux. Le succès de la conquête (dont le fruit agréable se cueille la nuit) est annoncé par certains signes favorables de la personne courtisée.

 

20

Kùnkolo júgu tí fwɔ́n gbànvila júgu rá.

La vilaine tête ne manque pas d’avoir un vilain bonnet.

Kɔ́rɔ : La relation de complémentarité entre kùnkolo (tête) et gbànvila (bonnet) est associée ici à une relation d’identité qualitative, exprimée dans l’énoncé par une propriété péjorative, qui est parallèlement attribuée aux deux termes : júgu (mauvais, vilain). Ce lámara peut avoir deux sens légèrement différents :

1° à méchante personne, méchante action ;

2° une méchante personne ne manquera pas d’attirer sur elle-même des malheurs (qu’elle provoquera par sa propre attitude).

 

21

Dá tòri tá lè bɛ́ à kálen yé.

Voici à la bouche puante sa cuillère.

Kɔ́rɔ : Ce lámara fonctionne selon un mécanisme très proche du précédent. Il y a la même relation de complémentarité entre bouche et cuillère qu’entre tête et bonnet, et une relation d’identité suggérée entre les deux termes avec l’application du qualificatif « puant » à la bouche. Il faut comprendre : la cuillère qu’il faut à la bouche puante. Le sens est donc à peu près le même que celui de l’emploi n° 2 du proverbe qui précède. C’est une façon de dire que ce qui arrive de fâcheux à quelqu’un est mérité du fait de sa mauvaise conduite.

 

2.1.2 Figure à dominante situationnelle

 

22

Mɔ̀gɔ sèn kélen t̰ágama dègi lá dɔ́ kɔ̀sɔn.

On apprend à marcher sur un pied en prévision d’un certain jour.

Kɔ́rɔ : Ce lámara a lui aussi déjà fait l’objet de remarques dans notre introduction, qui en expliquent le mécanisme de figuration. Il est généralement employé pour commenter une action pénible accomplie par une personne (ou une situation difficile dans laquelle elle s’est volontairement mise), alors que cette action ne semble pas justifiée par le contexte immédiat.

Cette absence apparente d’adéquation entre la situation et le contexte conduit à penser que celle-ci ne prend son sens que par rapport à un terme différé.

Le proverbe est souvent employé à propos du rationnement alimentaire, en prévision d’une éventuelle disette. Il peut être utilisé avec une fonction conative pour justifier les restrictions qu’on impose à quelqu’un, ou pour lui conseiller de se restreindre lui-même.

 

2.1.3 Figure symbolique

La figure s’appuie sur les relations existant entre tous les éléments de l’énoncé.

 

23

Síra tí yɛ̀rɛ yíri kàn.

La route ne monte pas sur l’arbre.

Kɔ́rɔ : Deux termes sont liés par un procès qui exprime un certain type d’incompatibilité relationnelle entre eux.

Par ce proverbe, on signifie qu’une chose est impossible. Il est souvent employé pour décourager quelqu’un de se lancer dans une entreprise dont le simple bon sens suggère que les chances de succès sont nulles.

 

24

Nyá ngúnu dò tɛ́ dànda bɛ̀n.

La réprimande du regard ne peut pas encercler le mur.

Kɔ́rɔ : On utilise ce proverbe pour signifier qu’une personne A (représentée par le mur) se moque de la réprobation ou de l’hostilité d’une personne B (le regard), car cette dernière n’est pas dans une situation qui pourra lui permettre d’empêcher A de continuer à faire ce qu’il fait (encercler). La figure suggère que le rapport de force est favorable à A, car c’est le mur qui encercle celui qui le regarde, et non l’inverse.

 

25

Sìra nùgu lè ò ngányagaden wóro.

C’est le baobab lisse qui engendre un fruit qui donne la démangeaison.

Kɔ́rɔ : Toute la force de la figure provient ici de l’opposition entre la propriété qui est attribuée au baobab (il est lisse, on s’attend à ce qu’il offre un contact doux) et celle qui est prêtée à son fruit (il a un contact urticant).

Le proverbe peut s’appliquer soit à des personnes soit à des événements :

1° Dans le cas de personnes, il illustre presque toujours une dissemblance surprenante entre parents et enfants ou éventuellement entre maître et disciple. Mais il faut préciser qu’ici l’opposition entre les deux termes se fait toujours dans le sens positif (pour le père, le maître) vers le sens négatif (pour l’enfant, le disciple), comme dans l’énoncé de la figure. La relation de filiation qui existe entre les deux termes et qui est exprimée par le verbe « wóro » (engendrer) est encore renforcée en dioula par le fait que le mot qui désigne le fruit (dén) est le même que celui qui désigne l’enfant.

2° Appliqué à des événements, le proverbe se borne à constater qu’une cause a produit un effet exactement inverse de celui qu’elle laissait prévoir. Dans cet emploi, ce lámara prend donc le contrepied du n° 20 présenté ci-dessus, qui exprimait le point de vue opposé.

 

26

Kɔ́lɔn kólon dɔ́ yé kári à yɛ̀rɛ lè kùn ná.

C’est sur lui-même que s’écroule le mauvais puits.

Kɔ́rɔ : Ce proverbe s’emploie pour prédire que la mauvaise conduite d’une personne (qui peut être aussi bien l’interlocuteur qu’un tiers dont on parle), le conduira à sa propre perte. Il peut aussi être un simple commentaire, si l’effet néfaste s’est déjà produit.

 

27

Dàntɔ kɔ́nɔnɔ kó lè yé à sìgi tà.

C’est le projet du bossu qui l’a rendu ainsi courbé.

Kɔ́rɔ : Un tel lámara offre un cas intéressant, car il ne peut se comprendre que par référence à un récit étiologique (ngálen kúma) mettant en scène un personnage qui cherchait à noyer des enfants dans un fleuve. Il s’est penché au-dessus du fleuve pour réaliser son dessein et, puni pour ses mauvaises intentions, il n’a jamais pu se redresser. C’est ce qui explique l’origine des bossus.

À la lumière de cette référence, on comprendra mieux le sens du proverbe, qui fonctionne généralement comme une menace proférée à l’égard d’un interlocuteur ou d’un tiers qu’on soupçonne de mauvaises intentions (le plus souvent à l’égard de celui qui dit le lámara). Il s’agit d’affirmer qu’il sera lui-même (ou qu’il a été, si l’effet attendu a eu lieu) puni de ses machinations.

La valeur d’emploi de ce proverbe est donc assez proche de celle des lámara 20, 21, 26. Mais dans ce dernier cas, le comportement négatif désigné par l’image aura toujours une composante relationnelle où se trouve supposée l’intention de nuire à autrui, ce qui n’était pas nécessairement le cas des précédentes.

 

28

Límɔgɔ tí mága bòda kɔ́ gbánsan.

La mouche ne bourdonne pas autour du derrière pour rien.

Kɔ́rɔ : Par ce lámara, on explique généralement un comportement (celui de l’auteur du proverbe, de son interlocuteur ou d’un tiers), dont les motivations n’apparaissent pas clairement, par la recherche supposée d’un intérêt.

 

29

Dèreke mín tɛ́ àri kàn ná, àri bóro bɛ́ ò júfa lè rá.

Ils ont la main dans la poche du boubou qu’ils ne portent pas7.

Kɔ́rɔ : Nous avons déjà donné le sens de ce lámara, utilisé comme exemple dans notre introduction. Il sert à figurer une situation dans laquelle des gens se mêlent de ce qui ne les regarde pas8.

 

30

Nán díman dàga kɔ́nɔ lè yé gbɛ́.

C’est l’intérieur du canari contenant la bonne sauce qui est bien lapé.

Kɔ́rɔ : Lorsqu’une situation est agréable, on en profite au maximum.

 

31

Bóro flà lè nyɔ́gɔn kwó kwò.

Ce sont les deux mains qui se lavent le dos l’une l’autre.

Kɔ́rɔ : Bien que sa structure linguistique de ce lámara exprime une constatation, il a souvent une valeur conative explicite. C’est un appel à la solidarité entre des personnes qui sont liées par des intérêts communs.

 

32

Bàra lákolon lè yé mànkan kɛ́.

C’est la gourde vide qui fait du bruit.

Kɔ́rɔ : Selon cette figure la « gourde vide » représente ceux qui n’ont pas le pouvoir, ou qui ne sont pas compétents dans un domaine donné. Ce sont généralement ces gens-là, d’après le lámara, qui « font du bruit », comme une gourde vide qui résonne quand on la frappe, c’est-à-dire qui s’agitent avec le plus d’ostentation et se donnent le plus d’importance, dans des affaires où ils n’ont pas leur place. Ceux qui ont le véritable pouvoir, ou la véritable connaissance (les gourdes pleines) restent quant à eux discrets (la gourde pleine ne résonne pas) et préfèrent agir.

 

 

2.2   Énoncés contenant plusieurs propositions

2.2.1 Figure à dominante actantielle

2.2.1.1   Image fondée sur une (ou des) propriété(s) implicites(s) du (ou des) support(s) actantiel(s)

Dans des énoncés contenant plusieurs propositions, la figure à dominante actantielle est toujours commandée par la relation entre les supports.

Nous allons donc distinguer les lámara de cette catégorie, selon les différents types de relations logiques mises en cause entre leurs propositions.

 

          • Relation de cause à effet

33

Ní í kà à yé lɛ̀sɛbuku á bón wóto yé,

sìraya lè kà lɛ̀sɛbuku sìgi tèn.

Si tu vois que le mollet est plus gros que la cuisse,

c’est que la maladie l’a rendu tel.

Kɔ́rɔ : Il y a bien, dans cet énoncé, une relation de comparaison entre la cuisse et le mollet. Pourtant nous l’avons classé dans les proverbes fondés sur une relation de cause à effet. C’est qu’il y a une hiérarchie dans les rapports logiques en jeu dans cet énoncé, et le lien qui est dominant, ce n’est pas l’inégalité entre le mollet et la cuisse, mais le rapport d’effet à cause existant entre un bouleversement de l’ordre naturel et ce qui l’a provoqué.

En effet dans cette figure, le mollet et la cuisse ne sont pas des images représentants en elles-mêmes des types de situations particuliers. La preuve, c’est que nous avons recueilli une autre version de ce lámara, avec une variante relative à l’un des supports actantiels :

í kà à yé fɔ́rɔkiri á bón wóto yé lá ó lá,

sìraya lè bɛ́ à rá.

Toutes les fois que tu verras la pine9 plus grosse que la cuisse,

c’est qu’elle a une maladie.

Par conséquent, ce qui compte avant tout, c’est moins la nature des éléments imagés, que la relation qu’ils entretiennent entre eux, et qui est déterminée par une propriété de taille qui leur est respectivement attribuée.

Ce qu’il faut retenir de cette relation, c’est qu’elle exprime un bouleversement de l’ordre des choses, qui sont connues des interlocuteurs. Le proverbe, d’esprit conservateur, exprime donc l’idée qu’il y a un ordre naturel des choses, et que chaque fois qu’il est inversé, c’est qu’il y a une anomalie.

 

34

Ní í kà à fɔ́ í yé tága kóngo, ní í má wùru sɔ̀rɔ,

í kà bà sɔ̀rɔ, í yé tága ní à yé.

Si tu as l’intention d’aller au champ et que tu ne trouves pas de chien (pour t’accompagner),

si tu trouves une chèvre, tu l’emmènes.

Kɔ́rɔ : Le chien est le compagnon traditionnel de l’homme qui va travailler au champ. Ce n’est évidemment pas le cas de la chèvre, qui risque de manger les plantes et d’endommager les buttes, de ses sabots. Toutefois elle sera tout de même un compagnon pour le cultivateur qui pourra trouver que c’est mieux que rien. Lorsqu’on n’a pas l’objet ou la situation qu’on espérait, on se contente alors d’un succédané dégradé.

 

35

Fén mín bɔ́ dèrekeba tɔ̀ rá

ò lè kɛ́ ò júfa yé.

C’est de ce qui reste10 d’un grand boubou

qu’on fait la poche.

Kɔ́rɔ : Dans cet énoncé, on ne trouve pas la construction la plus classique pour exprimer la cause de relation à effet entre deux propositions : si tu fais ceci (ou si tu omets de le faire), il t’arrivera cela (ou cela te fera défaut). Cependant, même si elle est atténuée, c’est bien toujours une relation de même type qui unit ces deux rôles figurés : le tissu qui reste du boubou en devient la poche.

Ce lámara s’emploie généralement pour suggérer la remise d’une gratification (le tissu qui reste pour faire la poche) de la part d’une personne11 qui vient de réaliser une bonne affaire (le grand boubou) à un tiers12 qui peut y prétendre, soit parce qu’il est proche d’elle, soit parce qu’il l’a aidée. Le proverbe suggère que celui-ci saura se contenter de ces « miettes » (il faudrait parler ici de ces « chutes » pour respecter la cohérence de la figure), et qu’il saura en trouver l’emploi (faire la poche).

D’une façon plus générale, la figure exprime l’idée que tout est bon à récupérer, même les choses d’apparence insignifiante.

 

36

Tò mín má nyà,

ò sána tí nyà.

Le « tò »13 qui n’est pas bon,

la croûte qui reste au fond ne sera pas bonne.

Kɔ́rɔ: Bien que non soumis à une structure syntaxique qui rende explicite la relation de cause à effet, celle-ci est évidente : « Si le tò n’est pas bon, la croûte qui reste au fond (du canari) ne sera pas bonne non plus ». Une telle proposition signifie que quand une cause est mauvaise, ses effets le sont aussi. Cela peut s’appliquer à des situations (quand une affaire est mal engagée, elle a peu de chances d’aboutir) ou à des personnes (à mauvais parents, mauvais enfants, à mauvais maître, mauvais disciples…) Ce lámara exprime donc le point de vue exactement inverse du n° 25 : « C’est le baobab lisse qui engendre un fruit qui donne la démangeaison ».

 

          • Relation de concession

37

Yírikurun kà myén jí rá cógo ó cógo, à tí sé kà kɛ́ bàmba yé.

Un tronc d’arbre peut rester longtemps dans l’eau, de toute manière il ne deviendra jamais crocodile.

Kɔ́rɔ : Ce lámara avait deux valeurs d’emploi : une forte et une faible.

La valeur d’emploi forte est celle dans laquelle tous les éléments de la figure trouvent leur pleine pertinence : quel que soit l’effort qu’on puisse faire ou l’entraînement qu’on puisse se donner (le séjour du tronc dans l’eau), on ne peut jamais parvenir à des réalisations qui sont contre la nature des choses (l’arbre ne devient pas crocodile). Dans le même ordre d’idées, quelle que soit l’apparente acclimatation d’une personne, d’un animal ou d’un objet, ils ne deviendront jamais ce qui n’est pas dans leur nature d’être.

La valeur d’emploi faible ne tient pas compte de la première proposition de l’énoncé. C’est comme si on avait simplement : « Un tronc d’arbre ne deviendra jamais crocodile ». On donne alors le proverbe pour signifier que l’espoir d’un résultat quelconque n’est pas réaliste, car il n’est pas dans l’ordre naturel. Thématiquement parlant, on peut rapprocher ce lámara du n° 33 car il participe de la même philosophie.

 

          • Relation de comparaison

Cette relation peut elle-même se décomposer en plusieurs types d’opérations logiques : identité, analogie, inégalité, opposition, etc.

En voici deux exemples :

            • Analogie (ici par complémentarité)

38

Fén mín má kólon tó,

ò tí kólonkálanden tó.

Ce qui n’a pas épargné le mortier,

n’épargne pas le pilon.

Kɔ́rɔ : Toute la figure repose sur la complémentarité « essentielle » du mortier et du pilon. Lorsque deux personnes, deux objets, deux situations sont solidaires l’une de l’autre, elles sont soumises aux mêmes aléas.

 

            • Opposition

39

Lá byɛ́ tá bɛ́ sòn tá yé,

lón kélen bɛ́ féntigi tá yé.

Tous les jours appartiennent au voleur,

un seul jour appartient au propriétaire.

Kɔ́rɔ : La relation d’antinomie est fondée à la fois sur l’opposition « tous les jours » vs « un seul jour » et sur l’antithèse « voleur vs  propriétaire ». Le voleur peut commettre son larcin au moment où il le veut, car c’est lui qui a l’initiative de l’action, tandis que celui qui est victime du vol ne peut pas choisir le jour où il va surprendre le voleur.

Ce proverbe est beaucoup employé à propose de l’adultère (il est plus facile de commettre un adultère que d’en surprendre un), mais d’une façon générale il avance l’opinion que celui qui a l’initiative d’une action est avantagé sur celui qui la subit.

 

40

Fén mín bɛ́ màsadenya rá, màsacɛ kà ò lɔ́n ;

fén mín bɛ́ màsaya rá, màsaden má ò lɔ̀n.

Ce qui se passe chez les enfants du roi, le roi le sait ;

ce qui se passe chez le roi, l’enfant du roi ne le sait pas.

Kɔ́rɔ : Ce n’est pas parce que des personnes ou des actions sont en relation d’intimité ou de solidarité très étroite, que cette relation est soumise à une réciprocité totale. L’intimité, la proximité, n’excluent pas la hiérarchie.

 

41

Sòfali lɔ̀ko bɔ́ra jàra mà,

ń yé à lɔ́n à nyáden tí jàra tá bɔ́.

La manière de s’arrêter de l’âne ressemble à celle du lion,

je sais que son œil ne vaut pas celui du lion.

Kɔ́rɔ : Ce n’est pas parce que deux choses (objets, situations, personnes) ont une propriété en commun, qu’elles partagent toutes leurs autres qualités.

Ce lámara s’emploie surtout pour des personnes à propos desquelles on oppose alors apparence et réalité : certains peuvent avoir une apparence flatteuse (donnant une illusion de richesse, de puissance), mais ce ne sont pas forcément eux qui ont la réalité du pouvoir.

 

2.2.1.2   Image fondée sur une (des) propriété(s) du (des) support(s) actantiel(s), explicitement présente(s) dans l’énoncé

On peut classer les proverbes relevant de cette rubrique en fonction des relations logiques qu’ils mettent en cause :

 

            • Relation de cause à effet

42

Bá kà fà cógo ó cógo, í kà dájikuru kélen blà à ra,

ó yé dɔ́ lè à kàn.

Quel que soit le niveau du fleuve, si tu mets un crachat dedans,

cela fait tout de même quelque chose qui est dedans.

Kɔ́rɔ : L’image du crachat dans le fleuve fonctionne par rapport à une propriété qu’on attribue à ce dernier : la façon dont il est plein. Il faut comprendre : « Même si un fleuve est très plein et que tu craches dedans… » ; le crachat, si ténu et invisible soit-il, sera la cause d’une augmentation du contenu dans le fleuve. Un dommage qui peut paraître insignifiant pour celui qui le subit est tout de même un dommage.

 

            • Relation de concession

43

Sín tɛ́ kɔ̀nɔ fɛ̀,

Ala yé à dén báro.

L’oiseau n’a pas de mamelles,

Dieu nourrit son oisillon.

Kɔ́rɔ : L’image de l’oiseau n’est pertinente dans cette figure que par rapport à une propriété particulière sur laquelle on insiste explicitement dans l’énoncé : il n’a pas de mamelles. Même lorsqu’une situation apparaît compliquée ou défavorable, il ne faut pas perdre toute confiance pour autant : la providence peut tout arranger. Le lámara peut aussi s’appliquer à une personne sans défense qui va se lancer dans une entreprise hasardeuse pour elle. C’est une façon d’affirmer la permanence d’un certain espoir malgré cette conjoncture inquiétante.

 

44

Sàgajigi tòngo jùsu bɛ́ í rá,

gbànko lè tóra.

Bélier sans corne tu as du cœur14,

reste le problème des cornes.

Kɔ́rɔ : Cette fois c’est la propriété particulière à un type de bélier qui est mise en avant : l’absence de corne. C’est autour d’elle que se forme la cohérence de la figure. Il ne suffit pas d’avoir de l’ardeur ou de la bonne volonté15, il faut encore avoir les moyens de l’exercer. Les bonnes intentions ne suffisent pas.

 

            • Relation de comparaison
              • Identité

45

Fén mín bɛ́ wúgu kɔ́nɔ,

òle bɛ́ wúguden kɔ́no.

Ce qui se trouve dans la grande meule,

c’est ce qui se trouve dans la petite meule.

Kɔ́rɔ : La figure met l’accent sur l’identité des deux éléments de la comparaison (formés ici sur la même base lexicale : wúgu « meule » et wúguden « l’enfant-meule ») qui sont par ailleurs opposés l’un à l’autre par la propriété inverse que l’énoncé attribue à chacun d’eux (grande vs petite). Des choses de même nature offrent des avantages ou des inconvénients de même nature. Seul l’ordre quantitatif change.

Ce lámara s’emploie surtout pour des personnes, et tout particulièrement à propos de la relation parents / enfants. Il peut être employé aussi bien dans un sens positif que négatif. Dans cet emploi, il se rapproche donc du lámara n° 34, à cette différence près que ce dernier s’utilisait uniquement en un sens négatif. Il est, lui aussi, l’antithèse du n° 25.

 

              • Opposition

46

Mìsi kò sùrun nàna bín nyími dúga lè,

à má nà kò fìfa dúga.

La vache à la queue courte est venue là pour brouter de l’herbe,

pas pour y balancer sa queue.

Kɔ́rɔ : L’opposition porte certes sur les deux actions, « brouter », « balancer sa queue », mais il est bien légitime de classer cependant ce lámara dans les figures à dominante actantielles, car la nature de ces procès est subordonnée à la nature de l’actant, la vache à la courte queue, qui joue le rôle d’image-pivot ; celle-ci s’applique semble-t-il toujours à des personnes. Le proverbe exprime l’idée que lorsque quelqu’un est mal doué dans un domaine, il est raisonnable qu’il s’applique à d’autres tâches.

 

2.2.2 Figure à dominante situationnelle

Puisque nous sommes toujours dans un cas d’énoncés contenant plusieurs propositions, nous allons continuer à classer les proverbes selon les différents types de relations logiques que ces propositions entretiennent entre elles.

 

            • Relation de cause à effet

47

Ní júkɔrɔ dàga gbánko má nyà,

sánna tá yé ténge ténge.

Si le canari du dessous n’est pas bien fixé,

celui du dessus bringuebalera.

Kɔ́rɔ : L’image du canari comme actant du procès n’est pas en soi indispensable au sens de la figure, et on pourrait concevoir d’autres supports. En revanche, toute la pertinence d’une telle sentence provient de la figuration des procès (mal fixer, bringuebaler). C’est ce qui justifie la présence de ce lámara dans la catégorie des figures « à dominante situationnelle ».

Avec cet exemple, on retrouve la construction classique des énoncés relevant de ce type de relation logique où la première proposition, exprimant une condition qui apparaît comme la cause de la seconde, est introduite par la conjonction ní « si ».

Ce proverbe est très proche du n° 36 (« Le tò qui n’est pas bon, la croûte qui reste au fond n’est pas bonne ») dont il reçoit à peu près les mêmes valeurs d’emploi.

 

48

Ní tɔ̀ri má blà jí gbànin rá,

à tɛ́ à jí bɛ́ síya flà.

Si le crapaud n’est pas tombé dans l’eau chaude,

il ne sait pas qu’il y a deux sortes d’eau.

Kɔ́rɔ : L’actant importe moins que les actions, et il pourrait sans inconvénient être remplacé par un autre personnage. L’idée dominante est ici qu’il n’y a que les expériences malheureuses pour instruire des dangers.

 

49

Sú fɛ́ kùn lí láwirira,

nyɔ̀gɔn tóro tìgɛ káman.

Se raser mutuellement la tête la nuit,

c’est vouloir se couper les oreilles l’un l’autre.

Kɔ́rɔ : Ce lámara et le suivant vont maintenant présenter des exemples où la relation de cause à effet entre les propositions n’est pas portée par une marque grammaticale explicite de l’énoncé. Elle découle du sens relatif de chacune de ces propositions qui sont simplement juxtaposées.

Dans ce cas précis, ce sont encore les actions (se raser, se couper) qui commandent la figure. L’idée qu’elle exprime est aisément perceptible : se lancer dans des entreprises manifestement imprudentes, c’est chercher les ennuis. La présence du pluriel, ainsi que la marque de la réciprocité (nyɔ̀gɔn) font que le proverbe s’applique surtout pour commenter des actions qui engagent solidairement plusieurs personnes.

 

50

Nyá má sù yé,

nyáji tí bɔ́.

Les yeux n’ont pas vu le cadavre,

les larmes ne coulent pas.

Kɔ́rɔ : De la juxtaposition, il faut déduire le rapport suivant : tant que les yeux n’ont pas vu le cadavre, les larmes ne coulent pas. Ce sont les procès (voir la mort, pleurer) qui commandent ici la figure. L’idée centrale de la sentence est qu’on ne croit au malheur que lorsqu’il est arrivé, qu’on ne sait pas le prévoir parce qu’on refuse de le voir venir.

Le proverbe s’emploie aussi bien pour conseiller à quelqu’un plus de clairvoyance par rapport aux menaces qui pèsent sur lui — il faut alors comprendre : « il sera bien temps de pleurer quand les choses seront arrivées » — que pour commenter son insouciance qui ne l’a pas préparé au malheur qui lui est arrivé, si l’événement est déjà survenu.

 

            • Relation de concession

51

Dùgu kà dɔ́gɔya nyá ò nyá,

à mìsi fàga lón bɛ́.

Quelle que soit la petitesse d’un village,

il y a un jour où on tue le bœuf.

Kɔ́rɔ : Le procès (tuer le bœuf) sert ici de pivot à la figure.

Le proverbe s’applique en général à des personnes : quelque condition qu’on ait, il y a toujours des périodes plus favorables, des temps de joie ou de fête, ou même des moments d’opulence relative, à son niveau.

 

            • Relation de comparaison
              • Inégalité

52

Dɔ́gɔman mìna

fisa « án yé nà nyɔ́gɔn yé ».

Tenir un petit peu

vaut mieux que « nous verrons par la suite ».

Kɔ́rɔ : Ici, la sentence est à la limite de la figure, car la formulation de la première proposition est plus abstraite qu’imagée (dɔ́gɔman mìna : attraper un petit peu). Ce qui fait que les Dioula classent cet adage dans la famille des lámara, c’est sans doute la formulation du second procès (« nous verrons par la suite »), évoquant l’interlocuteur qui cherche à éluder une demande de service qu’on lui adresse.

Ce lámara a  une valeur d’emploi légèrement différente dans la mesure où il s’adresse plus spécifiquement à celui qui fait l’objet d’une sollicitation. L’énonciateur suggère ainsi que plutôt que de grandes promesses pour l’avenir, il préfère un début de réalisation modeste, mais immédiate.

 

2.2.3 Figure symbolique

            • Relation de cause à effet

 

53

Dá tí màganí fén dɔ́ tɛ́ à rá.

La bouche ne remue pas s’il n’y a pas quelque chose dedans.

Kɔ́rɔ : Ici, c’est le rapport entre tous les éléments de l’énoncé qui fonde la figure.

Ce lámara a deux valeurs d’emploi. Il peut servir à commenter un comportement qui semble inexplicable. Il a alors une valeur de supposition : si quelqu’un s’affaire ainsi, c’est qu’il a sans doute une raison car « la bouche ne remue pas s’il n’y a pas quelque chose dedans », c’est-à-dire, il n’y a pas d’effet sans cause.

Mais il y a une autre façon d’utiliser ce proverbe pour inciter quelqu’un à « graisser la patte » de celui à qui il demande un service. La sentence exprime alors une certaine philosophie des rapports humains : l’homme, comme la bouche, n’agit que s’il y trouve son intérêt. C’est ce second emploi qui semble le plus valorisé chez les Dioula.

 

54

Ní í kà à yé fúlaburu jàlen bɛ́ à fɔ́ra kó síni

nyɔ́gɔnmasi ń bɛ́ bá nyá dɔ́ mín kàn,

fɔ́nyɔ lè kúmakan bɛ́ à tóro lá.

Si tu vois une feuille sèche dire que demain,

à pareille heure, elle sera de l’autre côté de fleuve,

c’est que les paroles du vent lui sont parvenues aux oreilles.

Kɔ́rɔ : Lorsque quelqu’un de faible ou de modeste (la feuille sèche) annonce fermement un projet à court terme qu’il n’est pas en mesure de réaliser par lui-même (être de l’autre côté du fleuve, le lendemain à pareille heure), c’est qu’il a eu la promesse de l’appui d’un puissant (qui l’aidera, comme le vent aide la feuille à traverser le fleuve).

 

55

Ní gbángbara kà fìri sán ná,

byɛ́ yé à bóro lá à kùn lè rá.

Si on jette des cailloux en l’air,

chacun va se mettre les mains sur la tête.

Kɔ́rɔ : Lorsqu’on fait des choses risquées (jeter des cailloux en l’air), elles peuvent avoir des conséquences dangereuses dont il faut savoir se prémunir (se mettre les mains sur la tête).

 

56

Ní sèn má yáara,

nyá tí kó yé.

Si les pieds ne voyagent pas,

l’œil ne voit pas ce qu’il y a à voir.

Kɔ́rɔ : Toute instruction (ce que voit l’œil dans le monde) suppose un minimum d’effort et d’action (les pieds qui marchent)

 

57

Ní myɛ́ntoya kà í dón nɔ̀gɔsi sògo nyímina ná,

tɛ̀sɛri kójugu lè yé í bɔ́ à rá.

Si la gloutonnerie te pousse à manger de la viande de caméléon,

une forte nausée te fera l’abandonner.

Kɔ́rɔ : Si nos actions sont guidées par nos vices (dont la gloutonnerie est une métonymie emblématique), on en reçoit toujours remords ou punition (figurés dans le proverbe par la nausée).

 

*

*          *

 

Les exemples que nous avons présentés jusqu’ici dans cette rubrique exprimaient tous la relation de cause à effet par une subordonnée conditionnelle à valeur causale introduite par conjonction ní suivie (ou précédée) d’une principale apparaissant comme la conséquence. Nous allons maintenant donner quelques autres proverbes exprimant le même type de rapport logique, souvent de façon plus implicite, au moyen d’autres structures grammaticales.

 

58

Jàkuma yé nyínan mìna,

tɔ̀nɔ bɛ́ à yɛ̀rɛ yé.

Le chat attrape la souris,

c’est à lui que le bénéfice en revient.

Kɔ́rɔ : Ici c’est la simple juxtaposition qui porte la relation entre les étapes du procès. Il faut comprendre : « Si le chat attrape la souris, c’est à lui… »

C’est celui qui travaille (le chat) qui, en premier lieu, doit bénéficier du fruit de son labeur (manger la souris) et non, comme cela est sous-entendu, des profiteurs qui n’ont rien fait.

 

59

Tén sùsu lè,

tɔ̀nkɔnɔ cèuya.

À front heurté,

nuque maligne.

Kɔ́rɔ : La relation parataxique entre les deux propositions, présentées ici de façon très elliptique, est la même que dans le cas précédent avec la même valeur. On s’instruit non seulement de sa propre expérience mais également de celle des proches. C’est surtout vrai, en ce cas d’espèce, d’expériences négatives qui rendent plus avisé.

 

60

Fɔ́rɔkiri kà à fɔ́ bwòda súma bɔ́,

Sìgiduga wɛ́rɛlè bɛ́ à fɛ̀.

À entendre les couilles16 dire que le derrière sent,

c’est qu’elles ont un autre endroit où s’installer

Kɔ́rɔ : L’énoncé n’est construit que sur une simple juxtaposition : « Les couilles ont dit que le derrière sentait, elles ont un autre endroit où s’installer. » C’est le sens général qui suggère la relation de cause à effet. Lorsqu’on se met à attaquer quelqu’un dont on est en principe solidaire, c’est qu’on a les moyens de rompre cette solidarité.

 

61

Tìga wɔ́rɔn nyɔ́gɔn kɔ́,

òle yé à fàra cáya.

Décortiquer les arachides les unes après les autres,

voilà qui fait la quantité des coques.

Kɔ́rɔ : La construction parataxique17 suppose toujours le même type de relation de juxtaposition entre les propositions. La quantité des coques est le résultat d’un décorticage patient et laborieux. En d’autres termes, l’accumulation d’actions infimes aboutit à une œuvre d’importance.

 

62

Mìsi kà tìgɛ,

à yé à kɔ́rɔ rá,

mɔ̀gɔ lè sùsu.

Lorsque le bœuf se détache,

c’est celui qui est à côté de lui

qui sera piétiné18.

Kɔ́rɔ : Nous avons créé dans notre traduction française une relation d’hypotaxe19 là où l’énoncé dioula juxtapose simplement trois propositions : 1) le bœuf s’est détaché, 2) celui qui est à côté, 3) celui-là sera piétiné.

Ce lámara s’emploie généralement à propos de la situation de gens qui se sont imprudemment placés dans des situations risquées. Le proverbe est aussi utilisé fréquemment pour justifier qu’on ne veuille pas s’engager dans de telles situations.

 

63

Àri yé kɔ̀rɔ sùlawulencɛ kíri dúga mín ná kɔ̀rɔcɛgbɛ

à yé tága dúga lè rá.

Le lieu où on appelle le grand-frère singe rouge grand-frère à peau claire,

c’est là qu’il ira.

Kɔ́rɔ : Ce lámara ouvre une nouvelle série d’exemples où les deux propositions sont liées par une relation hypotaxique, mais avec une construction différente de celle qui était introduite par le conjonctif hypothétique ní. Ici nous sommes en présence d’une subordonnée de type relatif régie par mín ná « lieu où ». Cela équivaut toujours au même type de relation logique : s’il y a un lieu où l’on appelle le singe rouge « grand-frère à peau claire », c’est là qu’il ira.

Ce proverbe se comprend lorsqu’on sait que chez les Dioula, l’appellation « grand-frère » est une adresse respectueuse et que la peau claire est valorisée. Le singe, animal peu considéré dans la culture dioula, ira donc là où on lui témoigne de la considération et de l’admiration. Le proverbe suggère donc que les gens fréquentent de préférence ceux qui les honorent.

 

64

Límaniya lè yé à tó

sánji yé wùru bùgo kóngo síra rá.

C’est la fidélité qui fait que

la pluie bat le chien sur le chemin de la brousse.

Kɔ́rɔ : Le chien, plus rapide que son maître, pourrait, lorsque la pluie s’annonce au retour du champ, courir se mettre à l’abri. S’il ne le fait pas, c’est par fidélité pour son maître.

Ce proverbe s’emploie donc à propos de quelqu’un qui, par amitié pour un proche, accepte volontairement de s’exposer à des ennuis qu’il pourrait facilement éviter.

 

65

Sani bènna ó sánji má bèn ó

kɔ̀lɔnda nyíginin kɔ́rɔ lò.

Qu’il ait plu ou qu’il n’ait pas plu,

les abords du puits sont toujours humides.

Kɔ́rɔ : Du fait de sa fonction, le puits a des abords toujours mouillés car on y renverse de l’eau.

Ce proverbe s’emploie pour signifier que certains défauts sont inhérents à un individu et qu’il est inutile de vouloir les corriger.

 

66

Sùla bóro tí sé nɛ̀rɛ mín ná

à yé à fɔ̀ tùmbu bɛ́ òle rá.

Le singe dont la main ne peut atteindre le néré20

dit qu’il contient des vers.

Kɔ́rɔ : Le lámara sert à railler un trait de comportement bien connu qui consiste à affecter de mépriser ce qui est hors de sa portée. S’applique à un individu se trouvant dans cette situation.

 

            • Relation de concession

67

Sísɛ kà dɔ́gɔya nyá ó nyá,

à tí sé kà nyími ní à shyé yé.

La poule a beau être petite21,

on ne peut la manger avec son plumage.

Kɔ́rɔ : Même une affaire qui paraît insignifiante (la petite poule), peut donner du fil à retordre, ou tout au moins demander un certain effort (il faut toujours plumer la poule).

 

68

Dàga kà bònya cógo ó cógo,

dɔ́ lè yé à dátugu.

Quelle que soit la grosseur d’un canari,

il y a toujours quelqu’un pour le fermer.

Kɔ́rɔ : La première construction est faite selon une structure syntaxique identique à celle du lámara 67.

Ce lámara peut avoir deux valeurs d’emploi, selon qu’il s’applique à des situations ou à des personnes : appliqué à des situations, il signifie que quelle que soit la taille d’un obstacle, il se trouve toujours quelqu’un pour le surmonter ; appliqué à des personnes, ce qui est le cas le plus fréquent, il signifie qu’il n’y a d’homme si puissant qu’il ne trouve un jour quelqu’un pour le réduire. Dans ce cas, il peut fonctionner souvent comme une menace ou un défi.

 

69

Tɔ̀ri tí mɔ̀gɔ kín,

à dò nyì kúrusikɔrɔ rá.

Le crapaud ne mord pas,

pourtant, il n’est pas agréable dans les fonds de pantalon.

Kɔ́rɔ : C’est toujours la même relation logique qui est en cause, et l’on peut comprendre : même si le crapaud ne mord pas, il n’est pas bon dans les fonds de pantalon. Mais cette valeur concessive est déterminée par un type de construction différent, puisque nous avons deux propositions liées entre elles par dò (pourtant).

Ce lámara, qui s’applique essentiellement à des personnes, suggère que certains ne sont pas toujours aussi inoffensifs qu’ils en ont l’air, et qu’il est par conséquent imprudent de les provoquer.

 

70

Bóro myɛ́n bóro kɔ́nɔ,

bóro tí tó bóro kɔ́rɔ.

La main peut rester longtemps dans la main,

la main ne peut rester toujours dans la main22

Kɔ́rɔ : Ici c’est une juxtaposition des deux propositions qui suffit à porter leur relation logique : même si la main peut rester longtemps dans la main, elle ne peut y rester toujours.

Être la main dans la main, c’est, chez les Dioula comme dans beaucoup d’autres sociétés, un signe d’amitié. Il s’agit donc d’exprimer par ce lámara que l’amitié, l’amour ne sont pas éternels.

 

71

Sán kà mánamana nyáni bagatɔ tò lɔ́gɔma lè yé.

Lorsque le ciel brille, le malheureux voit sa poignée de tò.

Kɔ́rɔ: La construction en dioula se présente en apparence sous la forme d’une juxtaposition. Il y a cependant une relation hypotaxique fortement suggérée par la forme verbale de la première proposition. Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer que l’emploi d’un accompli simple (kà mánamana) avec valeur de présent23, fonctionnait comme un équivalent de la construction ní sán kà mánamana « si le ciel brille » ou « lorsque le ciel brille », d’où notre traduction française.

Mais ici la relation entre les deux propositions n’est pas une relation consécutive, contrairement à ce qu’implique la plupart du temps ce type de construction, mais une relation concessive : « Même lorsque le ciel brille, le malheureux voit toujours sa poignée de tò », ou encore : « Le ciel a beau briller, c’est toujours sa poignée de tò que le malheureux retrouve ».

Une fois cette relation saisie, le sens est assez clair. Le fait que la nourriture soit évoquée sous la forme d’une simple poignée montre ici l’extrême pauvreté du personnage qui a tout juste de quoi manger. Il faut donc comprendre : même lorsque c’est la liesse générale, que le monde est en fête (situation représentée par l’image du ciel qui brille), le malheureux, lui, se retrouve toujours avec sa misère. Ces changements ne modifient pas sa condition.

 

72

Kɔ́gɔ yá bòn kɔ́gɔ yé lè,

kɔ́gɔ mán dí kɔ́gɔ yé.

Un sel peut être plus gros qu’un autre sel,

un sel ne peut être meilleur qu’un autre sel 24

Kɔ́rɔ : La valeur concessive de la première proposition de cet énoncé est encore une fois implicite, et doit se déduire de la juxtaposition des temps. Il faut comprendre : « Même si une variété de sel a des grains plus gros qu’une autre, ce n’est pas pour autant qu’elle salera mieux », figure qui traduit l’idée qu’il ne faut pas toujours se fier aux apparences d’une chose pour juger de son efficacité.

 

73

Dén dɔ́gɔma yé sé bòndo rá dòn ná,

cɛ̀kɔrɔba yɛ̀rɛ bóro yé sé sánajuru mà.

Le petit enfant sait entrer dans le grenier,

c’est tout de même la main du vieillard qui tient la corde en haut.

Kɔ́rɔ : Dans cet énoncé, construit par le même modèle syntaxique que le lámara 72, c’est sur yɛ̀rɛ25 que porte toute la valeur concessive qu’en français nous avons rendue par « tout de même ». Si l’on voulait renforcer cette valeur, on écrirait : « Le petit enfant sait peut-être rentrer dans le grenier, mais c’est tout de même la main du vieillard qui tient la corde en haut ».

Pour comprendre cette figure, il faut savoir comment se présentent les greniers ouest-africains. Il s’agit de petits silos cylindriques de deux à trois mètres de hauteur, selon leur taille. Pour prendre le grain, on entre dedans par le haut, au moyen d’une échelle, après en avoir retiré le toit de paille conique, qui est amovible, jouant le rôle de couvercle protecteur. Bien entendu le jeune enfant, de par son agilité, pourra pénétrer dans le grenier beaucoup plus facilement qu’un vieillard perclus. Mais, pour peu que le silo soit presque vide, il se retrouvera au fond du cylindre, par terre. Pour qu’il puisse ressortir, il faut alors que quelqu’un du haut de l’échelle lui tende une corde, à l’aide de laquelle il pourra remonter.

Ce proverbe, qui constate que les hommes, dont les compétences sont complémentaires (l’enfant est agile, mais le vieillard a de la force, sa main est solide pour tenir la corde), ont besoin les uns des autres, est une invitation implicite à la solidarité. Il peut s’employer dans un contexte assez général pour rappeler à quelqu’un de présomptueux qu’une aide, même dérisoire en apparence, peut s’avérer parfois bien utile. Mais, sans doute du fait même des images choisies dans la figure (le petit enfant, le vieillard), on l’utilise surtout à propos des conflits de génération, lorsque les jeunes se montrent un peu trop prétentieux à l’égard de leurs aînés.

 

            • Relation de comparaison
              • Hiérarchie

74

Nyá mín tì má à lɔ́n é nà kári yé, ò kà nà lòlo yé.

L’œil qui ne savait pas qu’il allait voir la lune, a vu l’étoile.

Kɔ́ro : Le principe de la figure est fondé sur la hiérarchie entre les deux actions « voir la lune » et « voir l’étoile ». Voir la lune, qui est grosse et bien visible, est quelque chose de relativement facile. Voir l’étoile, beaucoup plus petite, est déjà beaucoup plus difficile et plus improbable.

Ce lámara se dit donc pour commenter le comportement de quelqu’un qui, alors qu’il n’escomptait même pas réussir quelque chose d’assez facilement accessible, a réussi, à sa grande surprise, quelque chose de beaucoup plus difficile. Il s’emploie également lorsqu’un événement très heureux est arrivé à quelqu’un, alors qu’il était loin de s’attendre à une quelconque satisfaction, même minime.

 

              • Opposition

75

Nyínan màko lè yé à sé gbàda rá,

ní ò tɛ́ gbàda rá fén tɛ́.

C’est la nécessité qui amène la souris au foyer,

sinon elle n’est pas un élément du foyer.

Kɔ́rɔ : La souris n’arrive au foyer que pour y trouver de la nourriture, mais elle ne fait pas intrinsèquement partie des composantes fondamentales du foyer.

Ce lámara s’emploie pour commenter le comportement de quelqu’un qui fait quelque chose de mauvais gré, parce qu’il y est obligé, alors que ce n’est pas dans sa nature.

 

76

Ní í kà à fɔ́ í bàba bòmboshye mán shyá,

dɔ́ tɛ́ í ná mín fɛ̀ dò.

Si tu affirmes que ton père n’a pas beaucoup de barbe,

ta mère en a encore moins.

Kɔ́rɔ : On utilise généralement ce lámara comme réplique à celui qui critique son prochain à propos d’un domaine quelconque, alors que dans ce même domaine, il est lui-même encore plus critiquable.

 

77

Mɔ̀gɔ mínri lára kà ján,

àri má Ala yé, sànko íle bírinin.

Les gens qui sont couchés sur le dos n’ont pas vu Dieu,

à plus forte raison, toi qui te trouves courbé vers le sol.

Kɔ́rɔ : La présence de la deuxième personne dans la seconde proposition donne au proverbe une certaine valeur conative.

On l’emploie généralement pour dissuader quelqu’un d’entreprendre une action dans laquelle d’autres, placés pourtant beaucoup plus favorablement que lui, ont échoué. Il peut être aussi un commentaire de l’échec, s’il est déjà survenu.

 

78

Kɔ̀rɔ tìmba lè tì kó ní àle ná kà nà sà,

àle tága à sù dón dùgukoro wóronf lanan júkɔrɔ.

À ná yé sà sága mín na,

ò kà à sɔ̀rɔ à le bóro fúnunin bɛ́.

Grand frère oryctérope26 dit que si sa mère vient à mourir,

il enterrera sa dépouille dans le septième sous-sol.

Au moment où sa mère mourut,

il se trouva que sa main était enflée.

Kɔ́rɔ : Le choix de l’oryctérope comme image du personnage n’est nullement arbitraire dans ce contexte. En effet, ce mammifère, comme l’indique l’étymologie grecque de son nom, est un « fouisseur », ce qui explique qu’on l’appelle aussi parfois « cochon de terre ». Pour bien saisir le symbolisme de la figure, il faut aussi savoir que dans la cosmologie dioula, il y a sept ciels et sept terres. C’est dans la septième terre, inhabitée, que doit se faire le jugement dernier. « Enterrer quelqu’un dans le septième sous-sol », c’est donc accomplir à la perfection ses devoirs en matière de funérailles.

L’énoncé de ce lámara est un des plus développés de notre échantillon, dans la mesure où il est formé de deux grandes propositions dans des phrases entières, qui sont elles-mêmes complexes. Ce qui oriente son sens, c’est la relation d’opposition entre ces deux principales propositions.

Le proverbe s’applique donc à celui qui fait de grandes promesses, mais qui, le jour où l’occasion lui est donnée de les réaliser, trouve toujours de bons prétextes pour ne pas les tenir.

 

 


 

Références:

CAUVIN, Jean, 1976a, « Les proverbes comme expression privilégiée de la pensée imageante » Afrique et Langage n° 6, 2e semestre, pp. 5-34.

CAUVIN, Jean, 1976b, « Préalable à une recherche parémiologique », Afrique et Langage n° 5, 1er semestre, pp. 18-20.

DERIVE, Jean, 2007, « Les formes brèves dans la littérature orale mandingue », HAL. HAL Id: halshs-00347053 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00347053/file/Les_formes_breves_dans_la_litterature_orale_mandingue.pdf

DERIVE, Jean, 1987, Le fonctionnement sociologique de la littérature orale. L’exemple des Dioula de Kong, 2 vol., Paris, Institut d’Ethnologie, collection « Sciences humaines », 987 p. + 1339 p. [Archives et documents].

JAKOBSON, Roman, 1963, Essais de linguistique générale. Tome 1 : Les fondations du langage, Paris, Les Éditions de minuit, 260 p.

 

Jean Derive, 18/01/2022

 


 

Notes:

1      Niveau de dénotation : le signifiant (le mot) renvoie directement au signifié, au réel . Ce niveau se distingue de celui de connotation : selon la situation ou le contexte, un sens particulier vient s’ajouter au sens premier, celui qui relève de la dénotation.

2      La fonction conative, d’après Roman Jakobson (1963: 213-216), est celle par laquelle le message linguistique cherche à produire un effet sur le destinataire.

3     J. Cauvin (1976a) appelle respectivement ces deux types « image-être » et « image-action ».

4      Le mot à mot dioula « à cyɛ́ á nyì » signifie : « son aspect est bon » (ou « est beau »).

5      Sur ce concept de « kúma gbɛ́ » et sa relation à celui de « kúma kɔ̀rɔ », cf. t. 1: 109-110.

6      Il s’agit d’une variété particulière de souris et non du terme générique (nýinan).

7     Pour éviter des lourdeurs inacceptables de traduction, nous avons dû intervertir l’ordre des propositions de l’énoncé dioula qui, mot à mot, était construit ainsi : « Le boubou qu’ils ne portent pas, c’est dans sa poche qu’ils ont la main ».

8    Ce proverbe a été recueilli sous une forme qui fait intervenir la 3e personne du pluriel (àri), mais il pourrait être utilisé avec d’autres personnes grammaticales : tu as la main dans la poche du boubou que tu ne portes pas, il a la main, vous avez la main, etc.

9      Nous avons traduit à dessein par un terme grossier. Le mot fɔ́rɔkiri (qui peut désigner soit les testicules, soit le pénis lui-même) appartient en effet à la langue vulgaire, par opposition à des termes plus choisis, comme cɛ̀ya (ou kàya) désignant le sexe masculin.

10      Ce qui reste de tissu, après la confection.

11     Celle-ci peut être l’interlocuteur, mais pas nécessairement.

12     Celui-ci est bien souvent l’énonciateur même du proverbe, qui dans ce cas formule une sorte de réclamation déguisée.

13     Le tò est l’un des plats de base des Dioula. C’est une pâte consistante faite à partir de farine de mil, de fonio, de sorgho, ou de maïs.

14     Dans ce contexte, « cœur » = « courage ».

15     La plupart de temps, la situation de la réalité à laquelle renvoie l’image du « cœur » (jùsu) ne concerne pas, à la différence de cette figure, l’audace au combat, mais le courage laborieux, l’ardeur au travail.

16    Ce terme grossier dans la traduction correspond à la crudité du mot dioula dans l’énoncé original.

17     Construction parataxique : structure syntaxique dans laquelle une relation de dépendance entre deux propositions est marquée par leur simple juxtaposition. L’hypotaxe, au contraire, exprime la relation de dépendance entre les propositions un marqueur de subordination.

18    Notre traduction française a rendu explicite les liens logiques sous-entendus de la construction parataxique dioula.

19     Voir note sur la construction parataxique du lámara précédent.

20    Arbre de savane (parkia biglobosa) dont le fruit, qui porte le même nom, joue un rôle dans l’alimentation.

21     Mot à mot : « quelle que soit la petitesse de la poule ».

22     Nous avons rendu par une opposition entre des adverbes (longtemps / toujours), celle qui dans le texte original s’appuyait sur des verbes : myɛ́n : durer longtemps, et tó : rester (ici, dans le sens de rester définitivement par opposition à myɛ́n).

23     Cf. le kɔ́rɔ du lámara 60.

24     Ce lámara a été parodié par un de nos chants de wóloso ; cf. Woloso dɔ̀nkili, chant n°1, et le commentaire qui suit, p. 1287.

25     Cɛ̀kɔrɔba yɛ̀rɛ : mot à mot « le vieillard lui-même ».

26     L’expression kɔ́rɔ antéposée à un nom de personne est un terme d’adresse familier (il connote une certaine intimité) envers un aîné de sa génération. On l’emploie assez souvent dans les contes pour désigner certains personnages-animaux.

Traduction

 

 

La traduction est un domaine depuis longtemps exploré dans le cadre des études littéraires. Il continue à faire l’objet de publications constantes. En France, il existe même une Société Française de Traduction (Soft) qui consacre une bonne partie de son activité aux productions littéraires. Cette société savante est composée de traducteurs (les praticiens) et de chercheurs universitaires (linguistes, comparatistes, sémioticiens) qui interrogent les fondements théoriques de ce champ en tant que discipline propre.

On distingue classiquement les problèmes théoriques de la traduction selon deux grandes catégories conceptuelles :

    • d’une part, les problèmes spécifiquement linguistiques tenant au fait que les structures grammaticales des deux langues impliquées dans cette opération ne coïncident pas ;
    • d’autre part, les problèmes anthropologiques, inhérents à la différence des contextes culturels dont sont tributaires ces deux langues, ce qui suppose des transpositions permanentes transcendant le niveau linguistique proprement dit.

Face à ces difficultés, inhérentes à toute opération translinguistique, s’opposent deux positionnements théoriques : le courant de ceux qu’on appelle les « sourciers » et celui de ceux qui se définissent comme « ciblistes ».

    • Les sourciers ont pour politique de faire en sorte que leur traduction serre au plus près les caractéristiques linguistiques (syntaxiques, lexicales) de la langue originelle. Suivant ce parti-pris, le texte traduit ne fait pas totalement oublier qu’il s’agit d’une traduction. Il doit certes être totalement compréhensible et ne pas apparaître comme un jargon. Toutefois, lorsque c’est possible, le texte traduit prend soin de ne pas effacer la physionomie (notamment idiomatique) de la langue-source. Les choses doivent certes être dites dans une langue d’arrivée correcte et clairement accessible, sans lourdeur maladroite, mais elles ne sont pas dites comme les aurait probablement formulées, sous une forme plus consensuelle et banale, un scripteur de langue maternelle. C’est une façon de revivifier la langue-cible qui suppose beaucoup de doigté et, lorsque l’opération est réussie, on peut avoir des résultats assez heureux en termes de poétique. Le lecteur se rend compte alors que la traduction à laquelle il a affaire est travaillée par un amont linguistiquement exogène.
    • À l’inverse, les ciblistes cherchent à faire oublier au lecteur qu’ils sont en présence de la traduction d’une langue provenant d’une culture étrangère. Ils acclimatent donc au maximum leur texte en transposant systématiquement les topoï culturels de la langue-source dans le contexte culturel de la langue-cible. Cette politique présente l’avantage de favoriser la lisibilité de la traduction à un lecteur qui se sentira moins déstabilisé par le dépaysement, mais elle est alors guettée par l’écueil de l’ethnocentrisme au profit de la langue d’arrivée. L’effacement de l’altérité est loin d’être une richesse.

Entre ces deux courants, bien des degrés de compromis sont possibles. Dans leur principe, les problèmes théoriques de la traduction sont les mêmes quelles que soient les deux langues concernées par l’opération de traduction.  Cela dit, ils se posent avec plus ou moins d’acuité selon que ces langues appartiennent ou non à une même famille linguistique (langues romanes, langues slaves, langues tchadiques etc.) et qu’elles proviennent de cultures aux items plus ou moins étrangers les uns aux autres.

Pour ce qui est des textes originellement produits dans une langue africaine, ils font la plupart du temps l’objet d’une traduction en direction de langues européennes : allemand, anglais, espagnol, français, portugais…, beaucoup plus rarement d’une langue africaine à une autre1. Ces traductions vers les langues européennes sont d’autant plus délicates que les langues impliquées relèvent de familles très éloignées les unes des autres où les coïncidences syntaxiques de l’une à l’autre sont rares, ce qui suppose des reformulations permanentes. Les cultures qui les ont engendrées sont de même très différentes et la politique d’équivalence des items culturels est beaucoup plus compliquée. A cet égard plusieurs stratégies sont possibles.

L’une d’elles, d’esprit essentiellement cibliste, consiste, lorsqu’un mot référant à un item culturel de la langue-source n’a pas d’équivalent connu dans la langue d’arrivée, à chercher un autre mot désignant un item approchant dans la langue cible. Une telle politique nous ramène la plupart du temps au piège de l’ethnocentrisme évoqué ci-dessus.

Une autre pourra consister, en l’absence d’équivalent lexical, à user d’une périphrase pour faire comprendre ce dont il s’agit.

Une autre enfin choisira de garder tel quel le mot de la langue-source, assorti d’un commentaire explicatif dans le texte ou dans une note infra paginale.

Dans le cas de la traduction d’œuvres littéraires en langues africaines, le problème est encore complexifié par le fait qu’une bonne partie d’entre elles est spécifiquement orale et que la grande majorité de ces productions orales sont traduites dans des langues européennes sur un support écrit. Or la langue orale n’est pas la langue écrite, elle s’accommode beaucoup plus facilement des suspensions, des reprises, des répétitions, des tournures asyntaxiques… au point que la transcription d’un énoncé oral devient souvent illisible à l’écrit, a fortiori s’il est traduit dans une autre langue. Il convient donc, en passant d’une langue à une autre en même temps que d’un mode de communication à un autre de chercher les meilleures transpositions possibles qui aboutissent dans la langue d’arrivée à un texte lisible tout en lui conservant autant que faire se peut les traits de son oralité originelle. Au changement de langue s’ajoute donc un changement de code de communication ce qui rend l’opération de traduction d’autant plus délicate.

En outre, dans les performances orales, une bonne partie de la charge sémantique des énoncés est portée par des éléments non verbaux, intonations de voix, gestes, éléments kinésiques et proxémiques. Ce sont de tels phénomènes qui prennent en charge, dans l’élaboration du sens, tout ce qui a trait à l’expressivité et à la connotation. Le verbe dénote, le geste, la diction connotent. Le traducteur devra avoir le souci de faire passer dans son texte écrit où tous ces traits propres à l’oralité disparaissent, des formulations verbales qui rendent compte au plus près de cette sémiotique de l’oral, pour ne pas amputer la richesse signifiante du texte. Il lui incombera en outre de contextualiser l’énoncé qu’il traduit car en oralité le contexte énonciatif signifie souvent autant voire davantage que l’énoncé lui-même. C’est pourquoi la traduction d’œuvres orales africaines ne peut guère se concevoir en dehors d’une édition critique.

Pour les œuvres littéraires en langues africaines, qu’elles soient écrites ou orales, dans la mesure où il s’agit souvent de champs culturels minorés, la traduction est un phénomène d’autant plus important qu’elle importe à leur survie. Elle accroît leur champ d’extension en les ouvrant à de nouveaux publics et elle renforce leur légitimité pour en faire des biens ressortissant au patrimoine littéraire universel.

 

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Note:

1 Le cas existe cependant parfois chez des maisons d’édition africaine. Par exemple, Kanuya Wale, roman originellement bambara paru à la Société Malienne d’Édition (SOMED) a été traduit en peul et en songhaï. Sur ce roman, voir : http://ellaf.huma-num.fr/kanuya-wale-un-acte-damour/.

 

 


 

Références bibliographiques de quelques fondamentaux

    • CARY, Edmond, 1956, La Traduction dans le monde moderne, Genève, Georg & Cie, 196 p.
    • DERIVE, Jean, 1975, Collecte et traduction des littératures orales : un exemple négro-africain, les contes ngbaka ma’bo de RCA, Paris, SELAF, 256 p.
    • DERIVE, Jean, 2008, « Fixer et traduire la littérature orale africaine », in Ursula Baumgardt & Jean Derive (dir.), Littératures orales : perspectives théoriques et méthodologiques, Paris, Karthala, pp. 287-329.
    • JAKOBSON, Roman, 1963, « Aspects linguistiques de la traduction » in Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, traduction française de N. Ruwet, pp.78-86.
    • LADMIRAL, Jean-René, 1994, Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard, 304 p.
    • LADMIRAL, Jean-René, 2014, Sourcier ou cibliste, les profondeurs de la traduction, Paris, Les Belles Lettres, 304 p.
    • LADMIRAL, Jean-René (dir.), 1972, La Traduction, Langages 28, Paris, Larousse, 117 p.
    • MOUNIN, Georges, 1963, Les problèmes théoriques de la traduction, Paris, nrf Gallimard, 296 p.
    • NIDA, Eugène, 1964, Toward a science of translating with special references to principles and procedures in Bible translating, Leiden, Brill, 331 p.
    • OSÉKI-DÉPRÉ, Inès, 1999, Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris, Armand Colin, 283 p.
  •  Jean Derive

 

Un bàra de Bamoro Traoré

 

Mots-clés:

mandingue, dioula, Dioula de Kong, Côte d’Ivoire — oralité, bàra, chant, conte, proverbes, spectacle — critique sociale; morale

Producteur du corpus

Bamoro Traoré, artiste spécialisé dans l’énonciation du genre, accompagné par Takatu Saganogo (jouant du yànbara) et Siriki Traoré (jouant du dáworo).

Collecte

Enregistré le 25 décembre 1977 auprès de Bamoro Traoré, artiste, par Jean Derive.

Contexte de production

Le bàra, genre parlé et chanté chez les Dioula de Kong, est un pot-pourri de plusieurs autres genres du patrimoine littéraire oral de société. Il est accompagné de deux types d’instruments: des yànbara, hochets sonneurs auxquels le genre doit peut-être son nom, et une clochette appelée dáworo. Les chants empruntés sont accompagnés d’instruments différents lorsqu’ils sont énoncés au titre de leurs genres d’origine.

Un genre autonome: Le bàra est un genre autonome qui n’est pas intégré dans une classe d’ordre supérieure. Il s’agit d’un cas assez particulier, puisqu’il se présente sous la forme d’un spectacle assez long (environ trois heures), essentiellement composé de divers chants, puisés pour la plupart dans le répertoire des dɔ̀n dɔ̀nkili, les chants de danse, parmi lesquels se trouvent de nombreux lámara (proverbes), certains récits provenant du répertoire des ntàlen (contes), et quelques lámara non chantés, qui sont contingents au discours par lequel l’interprète lie entre elles ces différentes parties.

Un art d’agencement d’éléments hétérogènes: Dans la mesure où le bàra est pour une bonne part formée d’œuvres empruntées à l’extérieur, son originalité propre, qui le constitue à son tour comme genre spécifique, provient surtout de l’agencement très surprenant de ces éléments hétérogènes: les différentes histoires sont coupées et s’entremêlent entre elles avec, en contrepoint, les chants et les discours improvisés de l’interprète. Ces improvisations sont aussi un facteur important pour déterminer l’essence même du bàra, puisqu’il s’agit de créations véritablement originales, produites à chaque séance, à partir d’un modèle plus ou moins général.

Œuvre de spécialiste: Un autre aspect de l’originalité du genre tient au fait qu’il s’agit de l’œuvre d’un spécialiste, qui a des compétences propres, définies à la fois par une technique et un talent particuliers. Cet art spécifique de l’interprète (le bàrakɛbaga) donne aux genres qu’il emprunte une physionomie très caractéristique, par la façon bien personnelle qu’il a de les énoncer. S’il conserve généralement la mélodie originale des chants qu’il utilise, il leur donne un accompagnement musical différent de leur genre d’origine et il les interprète, de même d’ailleurs que les contes et les proverbes, selon une gestuelle et une diction tout à fait originales: beaucoup de danse et profusion de gestes mimiques, énonciation criée et très rythmée.

Un espace scénique: Cette particularité du mode d’énonciation est encore renforcée par le fait que le bàra offre une situation un peu différente de celles que connaît habituellement la communication littéraire dioula. Ici, un artiste, accompagné accompagné d’un ou deux acoytes qui lui servent de faire-valoir, se donne en spectacle à un public consommateur qui, par l’intermédiaire du promoteur du spectacle, a payé pour cela. Il le fait sur une aire de jeu bien délimitée, comme la scène d’un théâtre ou l’arène d’un cirque. Celle-ci, généralement rectangulaire, est définie par le public qui s’installe autour du gbɛ́ndege (place propre à chaque quartier où se déroulent un certain nombre de cérémonies publiques). Il détermine ainsi un aspect clos à l’intérieur duquel vont évoluer l’artiste et ses musiciens. La famille et les amis de celui qui a commandé le spectacle sont toujours installés au premier rang, sur un des petits côtés du rectangle. Ce côté définit alors une sorte de tribune d’honneur près de laquelle reviendra le plus souvent l’interprète, et à laquelle il s’adressera de façon privilégiée. Cependant tout au long du spectacle, il se déplace continuellement de long en large, tout en dansant, occupant ainsi tout l’espace scénique01. Ce caractère de spectacle propre au bàra est encore renforcé par le fait que le bàrakɛbaga est vêtu d’une sorte de costume de scène.

Référence du corpus

DERIVE, Jean, 1987, Le fonctionnement sociologique de la littérature orale. L’exemple des Dioula de Kong, vol ; 2, Paris, Institut d’Ethnologie, collection « Sciences humaines », pp. 163-269.

Bibliographie

DERIVE, Jean, 1987, Le fonctionnement sociologique de la littérature orale. L’exemple des Dioula de Kong, 2 vol., Paris, Institut d’Ethnologie, collection « Sciences humaines », 987 p. + 1339 p.

DERIVE, Jean, 2005, « Le bàra: analyse d’un genre chez les Dioula de Kong », in DERIVE, Jean, DAUPHIN-TINTURIER, Anne-Marie (éds), Oralité africaine et création, Paris , Karthala, pp.849-856.

Corpus inédit, © copyright Jean Dérive.

 

Note:

01  C’est le bàrakɛbaga qui commande tous les déplacements. Ses deux acolytes ne font que le suivre, l’encadrant en principe chacun d’un côté.

 


 

 

Un bàra de Bamoro Traoré

 

Le corpus alterne quatorze parties chantées et quatorze parties parlées. Dans la suite de la performance, BAMORO Traoré raconte encore quatre autres histoires empruntées au répertoire des contes et entrecoupées de chants et de commentaires parlés. On pourra avoir accès au texte intégral de cette suite en traduction française dans DERIVE, Jean, 1987: 163-269.

 

 

Partie chantée I

Dɔ̀nkili n° 1 — Chant n° 1

Chant d’ouverture

Distique repris 5 fois par Bamoro et 2 fois par son acolyte Takatu

 

Àn tága Ala fɛ̀, Ala,

Allons chez Dieu, oui Dieu,

Ala lè bɛ́ kíti byɛ́ nyábɔ

C’est Dieu notre maître qui règle tous les jugements

 

Dɔ̀nkili n° 2 — Chant n° 2

Chant d’ouverture qui est, comme le précédent, conforme à l’ouverture des séances de dɔ̀n dɔ̀nkili, les chants de danse, où, à des chants à thèmes religieux se mêlent des chants sérieux contenant des réflexions sur la vie et la mort.

 

Bamoro

Sàya bɛ́ dí mɔ̀gɔtigi mà,

Comment est la mort pour le chef d’une [grande] famille,

Sànko dénkelentigi ?

à plus forte raison pour celui qui n’a qu’un enfant ?

Mɔ̀gɔtigi mà, sànko dénkelentigi ? (bis)

[Comment est-elle] pour le chef d’une [grande] famille à plus forte raison pour celui qui n’a qu’un enfant ? (bis)

Í kà í tá wùru júgu gbɛ̀n,

Si tu chasses ton mauvais chien,

Dɔ́ tá bà yé í kín.

La chèvre d’un autre te mordra.

Wùru júgu gbɛ̀n,

Chasse le mauvais chien,

Dɔ́ tá bà yé í kín.

La chèvre d’un autre te mordra.

Wùru júgu gbɛ̀n,

Chasse le mauvais chien,

Dɔ́ tá bà yé í kín,  ń téri.

La chèvre d’un autre te mordra, mon ami.

 

Takatu

Sàya bɛ́ dì mɔ̀gɔtigi mà,)

Comment est la mort pour le chef d’une [grande] famille,

Sànko dénkelentigi ?

À plus forte raison, [comment est-elle] pour celui qui n’a qu’un enfant ?

Sàya bɛ́ dì mɔ̀gɔtigi mà,)

Comment est la mort pour le chef d’une [grande] famille,

Sànko dénkelentigi ?

À plus forte raison, [comment est-elle] pour celui qui n’a qu’un enfant ?

Sàya bɛ́ dì mɔ̀gɔtigi mà,)

Comment est la mort pour le chef d’une [grande] famille,

Sànko dénkelentigi ?

À plus forte raison, [comment est-elle] pour celui qui n’a qu’un enfant ?

Í kà í tá wùru júgu gbɛ̀n,

Si tu chasses ton mauvais chien,

ÍDɔ́ tá bà yé í kín

La chèvre d’un autre te mordra.

Wùru júgu gbɛ̀n,

Chasse le mauvais chien,

Dɔ́ tá bà yé í kín

La chèvre d’un autre te mordra.

Í kà í tá wùru júgu gbɛ̀n,

Si tu chasses ton mauvais chien,

ÍDɔ́ tá bà yé í kín

La chèvre d’un autre te mordra.

Wùru júgu gbɛ̀n,

Chasse le mauvais chien,

Dɔ́ tá bà yé í kín

La chèvre d’un autre te mordra.

 

Dɔ̀nkili n° 3 — Chant n° 3

Le dɔ̀nkili n° 3 introduit un autre thème classique de l’ouverture, le problème de la relation de l’artiste avec son auditoire qu’il personnalise en en faisant un interlocuteur auquel il s’adresse à la deuxième personne du singulier.

 

Bamoro

í kà né mìna kpɔ́ngin,

Si tu me traites avec considération,

Né yé í le mìna kpɔ́ngin.

Je te traiterai toi aussi avec considération.

í kà né mìna kpɔ́ngin,

Si tu me traites avec considération,

Né yé í le mìna kpɔ́ngin.

Je te traiterai toi aussi avec considération.

Ní í nàna né mìna yɛ̀lɛkɛn,

Si tu te mets à me traiter avec désinvolture,

Né yé í le mìna yɛ̀lɛkɛn1 .

Je te traiterai toi aussi avec désinvolture.

Ní í nàna né mìna yɛ̀lɛkɛn,

Si tu te mets à me traiter avec désinvolture,

Né yé í le mìna yɛ̀lɛkɛn.

Je te traiterai toi aussi avec désinvolture.

 

Dɔ̀nkili n° 4 — Chant n° 4

Le chant ouvre le thème de la salutation proprement dite. Bamoro y met en scène l’hypocrite, le flatteur, celui qui donne des salutations avec des simagrées à n’en plus finir. Selon son propre commentaire, a posteriori, il signifie par ce chant que les salutations qu’il va faire ne sont précisément pas celles du flatteur.

 

Bamoro

Lá byɛ́ bàba, jáheli2 fòri tí bán,

Chaque jour, père, l’hypocrite salue à n’en plus finir,

Lá byɛ́, lá byɛ́, ń ná, à ní wúla, jáheli fòri tí bán.

Chaque jour, ma mère bonsoir, l’hypocrite salue à n’en plus finir.

Lá byɛ́ bàba, jáheli fòri tí bán,

Chaque jour, père, l’hypocrite salue à n’en plus finir,

Lá byɛ́, lá byɛ́, ń ná, à ní wúla, jáheli fòri tí bán.

Chaque jour, ma mère bonsoir, l’hypocrite salue à n’en plus finir.

 

Partie parlée I

 

Bamoro

Téle ká gbàn nyá ó nyá, fítirimawale3 bɛ́ à sèn kàn lè.

Quelle que soit la chaleur, le flatteur est toujours sur pied.

 
Takatu

À tí sìgi.

il ne s’assoit pas.

 


 
Partie chantée II

Dɔ̀nkili n° 4 bis — Chant n° 4 bis

Le chant reprend à une variante près le chant 4, d’où sa numérotation.

 

Bamoro

Lá byɛ́ lá byɛ́, bàba, jáheli fòri tí bán,

Chaque jour, chaque jour, père, l’hypocrite salue à n’en plus finir,

Lá byɛ́ lá byɛ́, ń ná, à ní wúla, jáhili fòri tí bán.

Chaque jour, chaque jour, ma mère, bonsoir, l’hypocrite salue à n’en plus finir.

 

Dɔ̀nkili n° 5 — Chant n° 5

Avec ce dɔ̀nkili, on retrouve par l’évocation de la providence divine, un chant à thème à la fois morale et religieux, topique qui doit toujours dominer l’ouverture. D’autre part, il a certainement une valeur circonstancielle précise. Il correspond à une préoccupation essentielle de l’interprète qui pense ne pas être reconnu à son juste mérite par une partie de son public. Mais, d’une façon plus générale, ce thème reprend la problématique abordée avec le chant n° 3 : celle de la réciprocité des attitudes entre l’artiste et son public.

 

Mátigi Ála dɔ́gɔ tɛ́ kó nyùman lɔ́nbari rá àbada4.

Dieu notre maître n’est jamais indulgent avec un ingrat.

Kó nyùman má bán,

Le bien n’est pas épuisé,

Kó nyùman lɔ́nbari lè yá shyá ń teri.

Mais ce sont les ingrats qui sont nombreux, mon ami.

 

Partie parlée II

Cette fois, l’intermède n’est ni un commentaire ni un développement du chant qui précède, mais une simple répétition de son texte sur le mode parlé.

 

Bamoro

Í má à yé, nyùman má bán, kó nyùman lɔ́nbari lè yá shyá.

Tu vois, le bien n’est pas épuisé, mais ce sont les ingrats qui sont nombreux.

 

Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 


 
Partie chantée III

Dɔ̀nkili n° 5 bis — Chant n° 5 bis

Cette fois encore, un même chant encadre l’intermède parlé.

 

Bamoro

Kó nyùman má bán,

Le bien n’est pas épuisé,

Kó nyùman lɔ́nbari lè yá shyá.

Ce sont les ingrats qui sont nombreux.

 

Dɔ̀nkili n° 6 — Chant n° 6

Ici, Bamoro se définit explicitement comme artiste: il cherche le public. Ce chant sert de conclusion à la série qui a précédé et dont la thématique évoquait les relations du bàrakɛbaga avec son public.

 

Bamoro

Jàma lón bɛ́, né yé à nyíni ó,

Il y a un jour pour le public, et moi je le cherche, ô,

Jàma lón bɛ́, Jàma lón bɛ́.

Il y a un jour pour le public, il y a un jour pour le public.

 

Takatu

Jàma lón bɛ́, né yé à nyíni ó,

Il y a un jour pour le public, et moi je le cherche,

Jàma lón bɛ́, Jàma lón bɛ́.

Il y a un jour pour le public, il y a un jour pour le public.

 

Partie parlée III

 

Bamoro

Án má cɛ̀ náani bɔ́ bì ?

Aujourd’hui, est-ce que nous n’avons pas fait se déranger quatre hommes5  ?

Ń kó kó yé bònya yé.

Je dis que c’est une affaire d’importance.

Mɔ̀gɔ tì kà à fɔ́ kó né ní Tubabu yé nà bàra

Si quelqu’un avait dit que les Blancs et moi nous viendrions

Kɛ́ yàn, ári tì à fɔ́: fàniya !

Faire le bàra ici, vous auriez dit: mensonge6  !

 


 

Partie chantée IV

Dɔ̀nkili n° 7  — Chant n° 7

 

Bamoro

À ní wúla, Fà Baseu, wé, à ní wúla,

Bonsoir, Père Bassehou, Hé !, bonsoir,

Kàbilatigi, wé Baseu, wé, à ní wúla !

Chef de quartier, ô Bassehou, Hé ! Bonsoir!

Án yé Tarawere bɛ́ ári fòra,

Voici que nous, les Traore, nous vous saluons,

À ní wúla, báraka !

Bonsoir, et grâces soient sur vous !

 

Dɔ̀nkili n° 8 — Chant n° 8

Òle ń kó í fòri lò

Voilà ce que je dis, c’est toi que je salue,

Bónda náani cɛ̀bari tá fòri lò.

Ainsi que les personnalités des quatre maisons [du quartier Baro].

Í fòri lè yé, í fòri lò.

Voici que je te salue, c’est toi que je salue.

Tarawere Bamoro tá fòri lò.

C’est le salut de Bamoro Traore.

Í fòri lè yé, í fòri lò.

Voici que je te salue, c’est toi que je salue.

Tubabu mín kà án kíri, ò tá fòri lò,

Le Blanc qui nous a sollicités, c’est lui que je salue,

Í fòri lè yé, í fòri lò.

Voici que je te salue, c’est toi que je salue .

 

Dɔ̀nkili n° 9 — Chant n° 9

Bádenya tùgu dén tá fòri lò.

C’est toi que je salue, enfant, lien de la famille.

Fén mín yé fɔ́ ári rá, ní òle má bɔ́,

Ce qu’on a dit de vous, si cela n’est pas périmé,

Ń kó ári fòri béle bɛ́ à nyá kɔ̀rɔma yé.

Je dis que je vous salue toujours de la manière traditionnelle.

Bádenya bé án cɛ́, ní òle má bán,

Le lien de parenté qui nous unit, s’il n’est pas rompu,

Ń kó ári fòri béle bɛ́ à nyá kɔ̀rɔma yé.

Je dis que je vous salue toujours de la manière traditionnelle.

Lámɔgɔya bɛ́ án cɛ́, ní òle mź bán,

Le lien de fraternité qui nous unit, s’il n’est pas rompu,

Ń kó ári fòri béle bɛ́ à nyá kɔ̀rɔma yé.

Je dis que je vous salue toujours de la manière traditionnelle.

Í kà à yé ń yé lwɔ̀lwɔ̀ dá nìn ná,

Si tu vois que je m’arrête à cette porte,

Lámɔgɔya ní bádenya lè yá dí ń yé.

C’est que j’aime la parenté et la fraternité.

Í kà à yé ń yé lwɔ̀lwɔ̀ dá nìn ná,

Si tu vois que je m’arrête à cette porte,

Lámɔgɔya ní bádenya lè yá dí ń yé.

C’est que j’aime la parenté et la fraternité.

 

Dɔnkili n° 10 — Chant n° 10

Ce chant, sous forme d’aphorisme, est traditionnel du répertoire des chants de danse. Il permet d’introduire un nouveau thème: les bienfaits de Dieu à l’égard de l’artiste.

 

Ń yé à lɔ́n mɔ̀gɔ kà í sɔ̀n

Je sais que si quelqu’un te fait un cadeau,

Ò yé í wágola lè, à yé í wágola.

Il raconte partout qu’il te l’a fait, il le raconte partout.

Mátigi Ála kà í sɔ̀n,

Si Dieu notre maître te fait un cadeau,

Ò tí í dànda lá.

Il ne le dit à personne.

 

Partie parlée IV

 

Bamoro

ɔ̀nhɔ́n ! mɔ̀gɔ lè tì kà bàra dí né ná

Ah oui, si c’était un homme qui m’avait donne le bàra, est-ce qu’il l’aurait repris7  ?

À kà à mìna wà ?

Comme c’est Dieu qui l’a donné, est-ce que tu ne le vois pas en ma possession ?

Ála kà à dí, í má à yé ń bóro wà ?

Si tu as l’intention de le prendre, c’est Dieu qui te prendra8 .

Í kà à fɔ́ í yé à mìna, Ála yé í mìna,

Si tu le prends, Dieu te prendra.

Í kà à mìna, Ála yé í mìna.

Ah oui, si c’était un homme qui m’avait donne le bàra, est-ce qu’il l’aurait repris ?

 

Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 


 

Partie chantée V

Dɔ̀nkili n° 11 — Chant n° 11

D’une façon générale ce chant n°11, plus développé que la plupart de ceux qui l’ont précédé, est placé sous le signe d’une structure de principe ternaire, car il est composé de trois parties principales, de volume inégal, qui correspondent chacune à l’un des thèmes de base de l’œuvre:

1° il ne faut ni se vanter des bienfaits de Dieu ni se désespérer de leur absence (thème du premier distique).

2° La providence n’a pas fait des hommes égaux. Tous n’ont pas la même chance (thème englobant les versets 3 à 10).

3° Cependant la mort rétablit l’égalité (thème des trois derniers distiques).

 

Bamoro

ó ní Ála kà í sɔ̌n, kána wáson,

Oh, si Dieu te fait un cadeau, ne te vante pas,

Ní à béle kà í fwɔ́n, kána nímisa.

S’il ne t’a rien donné, ne te décourage pas.

Kó díman sàwa, Ála má à dí jɔ̀n byɛ́ mà,

Les trois bienfaits9 , Dieu ne les a pas donnés à tous ses esclaves10,

Kó díman sàwa, Ála tɛ́ ò dí jɔ̀n byɛ́ mà,

Les trois bienfaits, Dieu ne les donne pas11 à tous ses esclaves,

Kó díman sàwa, Ála má à dí jɔ̀n byɛ́ mà.

Les trois bienfaits, Dieu ne les a pas donnés à tous ses esclaves.

Nàforo shyáman, Ála tɛ́ ò dí jɔ̀n byɛ́ mà.

La richesse, Dieu ne les donne pas à tous ses esclaves,

Kó díman sàwa, Ála má à dí jɔ̀n byɛ́ mà,

Les trois bienfaits, Dieu ne les a pas donnés à tous ses esclaves.

Lámɔgɔya, Ála tɛ́ ò dí jɔ̀n byɛ́ mà.

La bonne entente entre proches, Dieu ne la donne pas à tous ses esclaves

Refrain — Avec l’acolyte

Fúrumuso bɛ̀rɛbɛrɛ Ála má à dí jɔ̀n byɛ́ mà.

La bonne épouse, Dieu ne l’a pas donnée à tous ses esclaves.

Refrain — Avec l’acolyte

Fúrumuso bɛ̀rɛbɛrɛ Ála má à dí jɔ̀n byɛ́ mà.

La bonne épouse, Dieu ne l’a pas donnée à tous ses esclaves.

Refrain — Avec l’acolyte

Fúrumuso bɛ̀rɛbɛrɛ Ála má à dí jɔ̀n byɛ́ mà.

La bonne épouse, Dieu ne l’a pas donnée à tous ses esclaves.

Refrain — Avec l’acolyte

Sàya tí mɔ̀gɔ tó kó dén bɛ́ ń fɛ̀.

La mort n’épargne pas quelqu’un sous prétexte qu’il a des enfants12 .

Refrain — Avec l’acolyte

Sàya tí mɔ̀gɔ tó kó wári bɛ́ ń fɛ̀.

La mort n’épargne pas quelqu’un sous prétexte qu’il a de l’argent.

Refrain — Avec l’acolyte

Sàya tí mɔ̀gɔ tó kó mɔ̀gɔ bɛ́ ń fɛ́

La mort n’épargne pas quelqu’un sous prétexte qu’il a une famille.

Refrain — Avec l’acolyte

 

Partie parlée V

 

Bamoro

Sàya tí mɔ̀gɔ tó kó wári bɛ́ ń fɛ́,

La mort n’épargne pas quelqu’un sous prétexte qu’il a de l’argent,

Sàya dò tí í tó kó dénbɛ́ ń fɛ́.

La mort ne te laisse pas davantage sous prétexte que tu as des enfants13 .

Sàya tì yé màlo mɔ̀gɔ mà,

Si la mort avait honte de prendre quelqu’un,

Mínri kà héji kɛ́ kó wóronfla,

Ceux qui ont fait le pèlerinage sept fois,

Sàya tì yé òri tó.

Elle les aurait épargnés.

À béle bàra òri rá.

Elle les surprend aussi.

 

Takatu

kóba.

Affaire d’importance.

 

Bamoro

À yé dɔ́ mìna Makan síra rá…

Elle en attrape certains sur le chemin de la Mecque…14

 

Takatu

cɔ́.

Certes15 .

 

Bamoro

…kà dɔ́ wɛ́rɛ tó, ò yé tága Makan yé.

…et elle en laisse d’autres aller voir la Mecque.

Òle kɔ̀sɔn, bàra kó16 :

C’est pour cela que le bàra a dit:

 


 

Partie chantée VI

Dɔ̀nkili n° 12 — Chant n° 12

Toute la dynamique du texte est fondée sur l’opposition entre la justice de ce monde et la justice divine. Cette opposition est doublement marquée dans l’énoncé: d’une part par les contrastes entre les accomplis du premier distique et les futurs qui suivent — les récompenses que nous avons déjà eues, ce sont les récompenses terrestres, celles que nous aurons, ce sont les récompenses (ou punitions) divines; d’autre part, au plan lexical, par l’antithèse entre yàn « ici » au verset 2, et kìyama « l’au-delà » dans le refrain.

 

Bamoro

Án kó nyùman ó, án bɔ́ra à nyùman,

nos bonnes fortunes, hé, nous en avons tiré bénéfice,

À nyùman yàn, án bɔ́ra nyùman.

Le bénéfice qu’elles procurent ici-bas nous l’avons eu.

Mɔ̀gɔ kà júguman kɛ́, Ála, à yé bɔ́ à nyùman,

Par Dieu, si quelqu’un fait le mal, il en tirera le bénéfice,

Kìyama lón17 , í yé bɔ́ à nyùman.

Dans l’autre monde, tu en tireras le bénéfice.

Í kà lámɔgɔgya lálaga, í yé bɔ́ à nyùman, ń báden.

Si tu t’occupes de ta famille, tu en tireras le bénéfice mon frère,

Refrain

Mùso kà fúru bàto nyánama, à yé bɔ́ à nyùman

Si la femme respecte bien le mariage, elle en tirera le bénéfice,

Refrain

Bádenya tìgɛbaga, à yé bɔ́ à nyùman túgun18 .

Celui qui désunit sa famille, il en tirera le bénéfice aussi,

Refrain

Òle ń kó Mahoma Wala salamu ó, Mahoma Wala salamu ó19  !

Voilà ce que je dis, Mahomet Wala salamou, oh ! Mahomet Wala salamou, oh !

Bádenya, Mahoma Wala salamu ó, Mahoma Wala salamu ó !

Dans la famille, Mahomet Wala salamou, oh ! Mahomet Wala salamou, oh !

Lámɔgɔya Mahoma salamu ó, Mahoma Wala salamu ó, ń téri !

Chez les proches, Mahomet Wala salamou, oh ! Mahomet Wala salamou, oh !

Mahoma salamu ó !

Mahomet Wala salamou, oh !

Àrijɛnɛ bòlonda mín, bóndagada nyùman,

La porte d’entrée du paradis est une bonne porte,

Mɔ̀gɔ mín yé dón à rá kó nyùmankɛbaga.

La personne qui y rentre, c’est celle qui a fait le bien.

 
Partie parlée VI

 

Bamoro

ɔ̀nhɔn, à tɛ́ kárako àrijɛnɛ ó !

Eh oui, ce n’est pas comme ça avec le paradis !

Ála tí ò dí mɔ̀gɔ mà kó í bònboshye yá bòn.

Dieu ne le donne pas à quelqu’un sous prétexte qu’il a beaucoup de barbe.

 

Takatu

bada.

Absolument jamais.

 

Bamoro

à yé à dí í mà nyà bɔ́ri lè kàn.

c’est selon tes mérites qu’il te le donne.

Ála tí àrijɛnɛ dí í mà kó í dèreke nyá á dí byɛ́ tá yé.

Dieu ne te donne pas le paradis sous prétexte que ton boubou est le plus propre de tous.

Ála dò tí àrijɛnɛ dí í mà kó í le dén lè tì yá shyá.

Dieu ne te donne pas davantage le paradis sous prétexte que tu as beaucoup d’enfants.

Ní ò tɛ́, cɛ̀kɔrɔba shyáman bɛ́, òri yé à yɛ̀rɛ àrijɛnɛ rá.

Sinon, il y aurait beaucoup de vieux qui seraient au paradis.

Álahara, bórokuru yé ò byɛ́ fàga. Fàga kó flà:

Dans l’autre monde, le coup de poing20 les tuera tous. C’est mourir deux fois:

kà í fàga dúnunya ná yàn, kà tó yèn kà í fàga Álahara.

mourir dans ce monde d’ici-bas, en plus, mourir dans l’au-delà.

Fàga má sé à dàn ná ?

Est-ce que la mort n’a pas atteint sa limite21  ?

 

Takatu

À séra

Elle l’a atteinte.

 


 

Partie chantée VII

Dɔ̀nkili n° 13 — Chant n° 13

 

Bamoro

À mán nyì ń dá rá,

Ce discours n’est pas bon dans ma bouche,

Mɔ̀gɔ wɛ́rɛ kà à fɔ́ ò yá dí ń yé.

Mais si quelqu’un d’autre le tient, cela me fait plaisir.

À mán nyì ń dá rá,

Ce discours n’est pas bon dans ma bouche,

Mɔ̀gɔ wɛ́rɛ kà à fɔ́ ò yá dí ń yé.

Mais si quelqu’un d’autre le tient, cela me fait plaisir22 .

Bádenya rá mɔ̀gɔ wɛ́rɛ kà à fɔ́, òle yá dí ń yé.

Dans ma famille, si quelqu’un d’autre le tient, cela me fait plaisir.

Ń kó mɔ̀gɔ wɛ́rɛ kà à fɔ́, à yá dí ń yé.

Je dis que si quelqu’un d’autre le tient, cela me fait plaisir.

Bádenya rá mɔ̀gɔ wɛ́rɛ kà à fɔ́, òle yá dí ń yé.

Dans ma famille, si quelqu’un d’autre le tient, cela me fait plaisir.

Ń kó mɔ̀gɔ wɛ́rɛ kà à fɔ́, à yá dí ń yé.

Je dis que si quelqu’un d’autre le tient, cela me fait plaisir.

 
Partie parlée VII

Historique n°1 (premier épisode)

 

Bamoro

Cɛ̀ dɔ́ lè tí bɛ́ yèn. À kà kó nyùman kɛ́ í yé bì, ò dùgugbe é kó júgu ké í rá. Òle dò mán dí Ála yé.

Il était une fois un homme23 . S’il agissait bien envers toi un jour, le lendemain il te faisait du mal. Cela pourtant ne plaît pas à Dieu.

Ní í kó í yé nyànin kɛ́, í yé nyànin kɛ́, ní í kó í yé kɛ́ fén júgu yé, í yé kɛ́ à yé, fìla kàfu nyɔ́gɔn nyá tí nyà.

Si tu veux faire le bien, il faut faire le bien, si tu veux être un être mauvais, il faut l’être, mais vouloir être les deux à la fois n’est pas bon.

Cɛ̀ nàna wúri kà tága yaára kóngo rá.

Cet homme est parti, et est allé faire un tour en brousse.

Lá mín Ála kó à yé à káwadi,

Le jour où Dieu décidera de le conseiller24 ,

 

Takatu

yó ?

Eh bien ?

 

Bamoro

ní à bɛ́ Ála fɛ, kɔ́ni é síran.

s’il respecte Dieu, peut-être qu’il éprouvera de la crainte25 .

 

Takatu

yó.

Bien.

 

Bamoro

À tágara yáara fúruru, à má jí yé kà à mìn. Ála nàna kó à yé à káwadi, à kà tága jínin dɔ́ yé kà jí mìn.

Il est allé se promener un bon moment, et il n’a pas trouvé d’eau à boire. Quand Dieu eut décidé de lui venir en aide, il a fini par avoir un tout petit peu d’eau, et il en a bu.

 

Takatu

yó.

Bien.

 

Bamoro

kà dɔ́ mìn. À fàra túma mín ná, à kà tó kó bwò26 bɛ́ ń ná. À má tága bín ná, à kà sònsori jí kàn kà bwò kɛ́.

Il en a bu. Quand il n’a plus eu soif, il a eu envie de faire une crotte. Il n’est pas allé dans l’herbe, il s’est accroupi pour faire une crotte dans l’eau.

 

Takatu

Ála tàna27 .

Dieu ne veut pas de ça.

 

 

Partie chantée VIII

Dɔ̀nkili n° 14 — Chant n° 14

 

Bamoro

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé à lɔ́n í mà.

Dieu, lui t’en sera reconnaissant.

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé à lɔ́n í mà.

Dieu, lui t’en sera reconnaissant28 .

Bároraka cɛ̀bari, ári yé nyɔ́gɔn bàto

Notables du quartier Barola, respectez-vous les uns les autres,

Mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n, Ála yé à lɔ́n í mà.

Si personne ne le reconnaît, Dieu t’en sera reconnaissant.

Dúnunya dò yá gbɛ̀lɛ bì,

Le monde est difficile aujourd’hui,

Refrain

Lámɔgɔya29 kó rá.

Du fait de la question de la fraternité.

Refrain

Ári yé nyɔ́gɔn mìna bì,

Unissez-vous aujourd’hui,

Refrain

Bádenya bón ná.

A l’intérieur de la famille.

Refrain

Ári yé nyɔ́gɔn bàto,

Respectez-vous les uns les autres,

Refrain

Kìyama lá rá,

Au jour du jugement,

Refrain

Ála yé ári bònya lè.

C’est Dieu qui vous récompensera.

Refrain

Lámɔgɔya bón ná,

Dans la grande famille,

Refrain

í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé à lɔ́n í mà.

Dieu, lui, t’en sera reconnaissant.

 
Partie parlée VIII

 

Bamoro

í kà nyànin kɛ́, Álahara í yé à tɔ̀nɔ sɔ̀rɔ,

Si tu agis bien, dans l’au-delà tu en trouveras le profit,

Í kà tyɛ́nnin kɛ́.

Mais si tu agis mal…

Ń kàrira Ála rá tyɛ́nninkɛbagaba ò yɛ̀rɛ kà fàga,

Je jure par Dieu que le grand malfaiteur lui-même sera mort,

À lú tí fà

Sa cour ne sera jamais pleine.

 

Takatu

ò bɛ́ tèn lè.

C’est ainsi.

 

Bamoro

Bàri lè kónbo à lú rá lá ó lá.

Ce sont les chèvres qui pleurent chaque jour dans sa cour.

Ɔ̀nhɔn, dén nyàman tí wúri àle lú rá kà bón lwɔ̀ yèn.

Oui, il n’y aura aucun enfant dans sa cour pour construire de maison.

Kábini dùgu cìra, à sàn jòri lè yé ? Sàn kɔ̀nɔntɔ,

Depuis qu’on a rasé des maisons du village30 , il y combien d’années déjà ? Neuf ans,

Dɔ́ri bɛ́ yèn, òri tì yé káwa: àri yɛ̀rɛ mà kó

Certains étaient là qui s’étonnaient: ils disaient

Báraka bɛ́ òri lè rá31 , òri byɛ́ lú bɛ́ yèn bón

Que soi-disant la bénédiction était sur eux, et dans aucune de leur cours, il n’y avait de

tɛ́ à rá.

maison

Àri kó í yɛ̀rɛ mán nyì32 .

Ils disent que c’est toi qui n’es pas bon.

Ári yé à tó kà télen ní Ála síra yé.

Cessez d’agir ainsi et prenez la voie de Dieu.

 

Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 

 

Partie chantée IX

Dɔ̀nkili n° 14 bis — Chant n° 14 bis

Nous avons numéroté ce chant 14 bis, puisqu’il n’est que la reprise, à une infime variante près, de la première unité du chant précédent. Le procédé qui consiste à intercaler un discours parlé à l’intérieur d’un chant est familier à Bamoro.

 

Bamoro

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le connaît,

Ála yé à lɔ̀n bì.

Dieu, lui, le saura aujourd’hui.

 

Dɔ̀nkili n° 15 — Chant n° 15

Bamoro báranin fɛ́rɛ.

Regardez le petit bàra de rien du tout33 de Bamoro.

Ári kána tólon kɛ́ báranin ò kó rá túgun,

Ne vous moquez plus à propos du petit bàra de rien,

Ń yé à lɔ̀n báranin ò tɛ́ tólon ná túgun.

Je sais que ce n’est plus une chose pour rire.

 


 

Partie parlée IX
 
Bamoro

Ɔ̀nhɔn, à kó kà tólon dàn.

Oui, ce n’est plus un sujet de plaisanterie34 .

Ɔ̀nhɔn, àyiwa, tùbabucɛ má kɛ́ ń tá pálanti dɔ́

Oui, eh bien, est-ce qu’aujourd’hui le blanc n’est pas

Yé bì wà ?

Devenu un de mes apprentis 35 ?

 

 

Partie chantée X

Dɔ̀nkili n° 14 ter — Chant n° 14 ter

Ce chant a été numéroté 14 ter, car il s’agit d’une reprise du chant 14: même distique de départ, même principe dans la suite.

 
Bamoro

í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle ma ́ à lɔ́n

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Refrain

Ála yé à lɔ́n í mà.

Dieu, lui t’en sera reconnaissant.

Tùbabucɛ,

Le Blanc,

Refrain

Kà nyùman kɛ́.

A bien agi36 .

Refrain

Tarawere yé í fò37 .

Traore te remercie

Refrain

 
Partie parlée X

Histoire n°1 (deuxième épisode)

 
Bamoro

Cɛ̀ kà bwò kɛ́ jí rá. À wúrira kà yé nà kà nà sé só kwɔ́.

L’homme a fait sa crotte dans l’eau. Il a décidé de revenir,

Jága à kà mùru sàn. Í dò kà fén mín sɔ̀rɔ kúra yé,

Et est arrivé derrière chez lui.

Ò dò kó yá dí í yé lè. Kóngoyaara kà gbàn, mùru tí nà

Or, il avait acheté un couteau. Ce que tu as acquis nouvellement, tu y tiens,

Lá í kwɔ́ yàn wà ?

Quand la chasse bat son plein, est-ce que le couteau ne se met pas au côté ici38  ?

 
Takatu

À yé lá yèn.

il se met là.

 
Bamoro

À kà mùru yɔ́rɔ nyíni, à má à yé.

l’homme a cherché le couteau partout, il ne l’a pas vu.

 
Takatu

Ála kà à dògo39 .

Dieu l’a caché.

 
Bamoro

Jága mùru dògonin bɛ́ yèn.

Or le couteau est caché là.

 
Takatu

Cɔ́, à té à yé.

Certes, il ne le voit pas.

 
Bamoro

À kà tó kó ń mùru fìrira lè tá. Í má à myɛ́n ?

il s’est dit que son couteau était perdu. Tu comprends ?

Cɛ̀ kó ń mùru fìrira kóngo rá. Jága mùru má fìri.

L’homme s’est dit que son couteau était perdu en brousse. Or le couteau n’est pas perdu.

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 
Bamoro

À bɛ́ kó júgu mín kɛ́, Ála kó à yé à jùru sàra à rá.

La mauvaise action qu’il a faite, Dieu a l’intention de la lui faire payer.

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 
Bamoro

Jága mùru dògonin bɛ́ yèn.

Par conséquent le couteau est caché ici.

 
Takatu

Cɔ́.

Assurément.

 
Bamoro

À wúrira kà nà sé dùgu só kwɔ́,

Arrivé au village, derrière chez lui,

À má mùru yé.

il n’a pas retrouvé son couteau.

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 
Bamoro

À kà tó ń má sìgi yɔ́rɔsi; ń kà jí mìn yɔ́rɔ
Mín, mùru bɛ́ yèn lè.

Il s’est dit: je ne me suis arrêté nulle part; c’est à l’endroit où j’ai bu l’eau que se trouve le couteau.

Jága mùru dùnnin bɛ́ kúrusi kólon ná.

Or le couteau était enfoui dans son pantalon usagé.

 
Takatu

Ála tɛ́ à tó à yé à yé àbada.

Dieu ne lui permet pas de le voir du tout.

 
Bamoro

Òle kɔ̀sɔn í kà yé kó júgu kɛ́ yàn, í tɛ́ à lɔ́n Í bɛ́ koh júgu kɛ́ra.

C’est pour cela que si tu as fait une mauvaise action ici bas, tu ne sais pas que tu as fait une mauvaise action.

 
Takatu

Ɔ́nhɔn.

Non.

 
Bamoro

Fó nyínikari lá má nà sé. Cɛkɔrɔba júgu dɔ́ri yé mìna ò lá yé.

Sauf le jour où le jugement dernier arrive. C’est le jour où on prendra certains méchants vieillards40 .

 
Takatu

Ó bɛ́ tèn lè.

C’et ainsi.

 
Bamoro

Kà màlo yàn, kà tó yèn, kà tága màlo Álahara.

Se déshonorer ici bas, et en plus aller se déshonorer dans l’autre monde.

Í tɛ́ ní láduga nyùman yé, í tɛ́ ní dónin díman yé.

Tu n’as pas une bonne couche, tu n’as pas non plus une bonne chère.

 
Takatu

Cɔ́.

Assurément.

 
Bamoro

Í kána tága í yɛ̀rɛ yé jàkanama rá.

Et tu es en enfer.

 
Takatu

Ò bɛ́ tèn lè.

C’est ainsi.

 
Bamoro

Í séri kɛ́ra fúw.

Ta prière a été vaine.

 
Takatu

Íle dò tì yá bòn yàn.

Tu te trouvais grand personnage ici-bas.

 
Bamoro

Íle dò tì kúma kà yàda yàn: ń lè bɛ́ hɔ̀rɔncɛba yé.

Toi, tu parlais pour te vanter ici-bas: c’est moi qui suis le grand homme libre41 .

 
Takatu

Cɔ́, hɔ̀rɔn bwò dó tɛ́ Álahara.

Certes, il n’y a pas de crotte d’homme libre dans l’autre monde.

 
Bamoro

Kútubu, í yé kìyama rá, wólosocɛ júgu42 .

Sapristi, dans l’autre monde, tu seras un mauvais esclave.

 
Takatu

Cɔ́, hɔ̀rɔn màlobari43 .

Assurément, un homme libre sans retenue.

 

 
Partie chantée XI

Dɔ̀nkili n° 16 — Chant n° 16

Le chant, qui a pour base un lámara (proverbe) bien connu, comprend deux parties principales: une première qui consiste à énoncer le proverbe, et une deuxième qui consiste à en présenter le kɔ́rɔ, c’est-à-dire le sens qu’il convient de lui attribuer dans le contexte particulier d’énonciation où il apparaît. Une telle pratique est très classique des dɔ̀nkili qui font intervenir des lámara.

 
bamoro

Kón kólon cɛ́ á nyì bà bòn dá rá,

Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres,

Bà dò bɛ́ à rá, bà tɛ́ à rá, ń báden.

Qu’il y ait une chèvre, qu’il n’en ait pas, mon frère.

Kón kólon cɛ́ á nyì bà bòn dá rá.

Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres,

Kón kólon cɛ́ á nyì bà bòn dá rá, ń téri.

Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres, mon ami,

Kón kólon cɛ́ á nyì bà bòn dá rá, bì.

Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres, aujourd’hui.

Bà dò bɛ́ à rá, bà tɛ́ à rá, ń báden

Qu’il y ait une chèvre, qu’il n’y en ait pas, mon frère,

Kón kólon cɛ́ á nyì bà bòn dá rá44 .

Le battant de porte usagé fait bon effet à l’entrée de la maison des chèvres.

Féntigi cɛ́ á nyí fàgandan kɔ́rɔ (bis)

Le riche aura bonne mine à coté du pauvre. (bis)

Fén bɛ́ án bóro bì, fén tɛ́ án bóro sá

Que nous ayons quelque chose aujourd’hui, ou que nous n’ayons rien,

Féntigi cɛ́ á nyí fàgandan kɔ́rɔ. (bis)

Le riche a bonne mine à coté du pauvre. (bis)

Òle kó má kɛ́ra, í tí í júgu lɔ́n, ń téri,

Tant qu’on ne t’a rien fait, tu ne connais pas ton ennemi, mon ami;

Ń kà ń tá lɔ́n nyìnan sàn ná lè.

C’est cette année que j’ai connu le mien45 .idem commentaire précédent

 
Partie parlée XI
 
Bamoro

ɔ̀nhɔn, kó má í sɔ̀rɔ dùgu rá, í tɛ́ í júgu

Oui, si tu n’a spas eu de problème au village,

Ní í nyì lɔ́n.

Tu ne connaîtras ni ton ami ni ton bienfaiteur.

 
Takatu

Ò bɛ́ tèn lè.

C’est ainsi.

 
Bamoro

Ɔ̀nhɔn ń kó koh yé dámina nyánibagatɔ lè kàn dùgu rá. Dùgu cì dáminana né Bamoro lè kàn.

Oui, je dis que c’est sur le malheureux que les problèmes commencent toujours à tomber au village. Ainsi c’est avec moi, Bamoro, qu’a commencé la démolition des maisons du village46 .

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai

 
Bamoro

À bɛ́ dì bì ? Àri kà tó ń mà kó à yé. Kánya ní né yé. À má kánya ní án byɛ́. Yé bì ?

Quelle est la situation aujourd’hui ? On m’a dit que c’était bien fait pour moi. Est-ce qu’aujourd’hui ça n’a pas été bien fait pour nous tous?

 

 
Partie chantée XII

Dɔ̀nkili n° 17 — Chant n° 17

Ce chant évoque la destruction de Kong par le célèbre chef de guerre Samori Touré en 1897 (cf. DERIVE, Jean, 1987, vol. 2, p. 44.). Pour en comprendre le début, il faut savoir que Samori est arrivé à Kong par la route de Dabakala. Voilà pourquoi cette route a fait le malheur des mères, puisque Kong fut rasé et qu’il y eut beaucoup de morts.

Le thème du chant reste en rapport avec la thématique générale: Bamoro évoque la dialectique entre fortune et infortune et traite particulièrement du grand malheur que connaîtront certains au jugement dernier. Ceux-là verront leur ruine totale, comme Kong au passage de Samori.

 
bamoro

Án kó síraba bɔ́ra lá mín ná,

Nous disons que le jour où la grande route a été faite,

Dabakala47 síraba bɔ́ra lá mín ná,

Le jour où la route de Dabakala a été faite,

Mùsori kòmbo àri tí sé ó48 .

Les femmes ne peuvent même plus pleurer, ô.

Dénworomuso, mùso kòmbo àri tí sé ó,

Les mères de famille, les femmes ne peuvent même plus pleurer, ô,

Mùsodenkelen yé kòmbo nyáji.

La mère de l’enfant unique versera des larmes.

Samori nà lón, dénkelentigi byɛ́ kà kó lɔ́n.

Le jour où Samori est arrivé tous ceux qui avaient un enfant ont eu un problème.

Sé tì bɛ́ ń yé, bì Mori tɔ́gɔ tí lá ń dén ná.

Si j’en avais le moyen, aujourd’hui, mon enfant ne s’appellerait pas Mori.49 

Samori kɛ̀rɛ lè kà ń fàso cì kà à tɔ́gɔ lá kpɔn tómbo.

C’est la guerre de Samori qui a détruit mon village natal50 et a donné à Kong le nom de ruine.

 
Partie parlée XII

Histoire n°1 (troisième épisode)

 
Bamoro

Í má à myɛ́n ? Cɛ̀ gbàsira à kwɔ́ síra kàn.

Est-ce que tu m’écoutes ? L’homme a rebroussé chemin.

À yé súran nyá mùru fìri yɔ́rɔ,

Quand il est arrivé près de l’endroit où le couteau était perdu,

Í má à myɛ́n ?

tu m’écoutes51  ?

 
Takatu

Cɔ́.

Bien sûr.

 
Bamoro

Ála kà jíminlɔgɔ dɔ́ gbàsi à kàn.

Dieu a envoyé la soif sur lui.

Ò ká júgu gálen té yé.

Elle était encore plus forte qu’avant.

 
Takatu

Cɔ́.

Sans doute.

 
Bamoro

Háli à dáradaji à tɛ́ à sɔ̀rɔ kà à kùnun.

Au point qu’il ne pouvait plus avaler sa salive.

 
Takatu

Ɔ̀nhɔn.

Oui.

 
Bamoro

Jága mùru bɛ́ à sòro rá yèn.

Pourtant le couteau est là, sur ses reins.

 
Takatu

mùru bɛ́ yèn.

Le couteau est là.

 
Bamoro

À tágara sé kà à sɔ̀rɔ bwò kɛ́nin kúra.

A son arrivée, il a retrouvé la crotte qu’il avait faite u peu avant.

 
Takatu

Cɔ́.

Bien.

 
Bamoro

À kà lɛ́ri52 kélen tágama mín kɛ́, bwò kùmunna kà jí dátugu53.

Après l’heure de marche qu’il a faite, la crotte s’est décomposée et a condamné cette eau54 .

Í kó àri kà dɛ̀gɛ55 kɛ́ kà lónda56 kɔ̀nɔn.

On dirait qu’on a fait de la sauce à l’intention d’un invité.

Ò séra, à nyá bɛ́ bwò rá jí kùn ná.

Quand il est arrivé il a vu la crotte57 à la surface de l’eau58 .

 
Takatu

Mìnlɔgɔ bé à rá.

Il a soif.

 
Bamoro

Mìnlɔgɔ dò bɛ́ à rá. À dò má jí mìn, à tí sé kà tága.

Pourtant il a soif. S’il ne boit pas d’eau, il ne peut pas partir.

Òle kɔ̀sɔn mɔ̀gɔ yé nyànin lè kɛ́, òle ká nyì.

C’est pour cela qu’un homme doit faire le bien, c’est ce qui convient.

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 
Bamoro

Í kà kɛ́ tyɛ́nninkɛbaga yé dùgu rá,

Si tu es malfaisant au village,

Ála yé í lú cì lè, kà sɔ̀rɔ kà í fàga.

Dieu détruit ta cour59 avant ta mort.

 
Takatu

À bɛ́ tèn lè.

C’est ainsi.

 
Bamoro

À kà nà kɛ́ íle sù dònbaga byɛ́ ta ́gara

Si ceux qui doivent enterrer ta dépouille t’ont tous abandonné pour partir

Bijan kà í tó, kó má tyɛ́n60  ?

à Abidjan, est-ce que ce n’est pas une honte ?

 
Takatu

Kó tyɛ́nna.

C’est une honte.

 

 
Partie chantée XIII

Dɔ̀nkili n° 14 quater — Chant n° 14 quater

 
Bamoro

 

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé ab lɔ́n í mà.

Dieu, lui, t’en sera reconnaissant.

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé ab lɔ́n í mà.

Dieu, lui, t’en sera reconnaissant.

 

Dɔ̀nkili n° 18 — Chant n° 18

Án kó Álahara, lwɔ̀ lón, lwɔ̀ lón yá gbɛ̀lɛ káwa yé.

Nous disons que, dans l’autre monde, le jour du jugement, le jour du jugement est plus dur qu’une pierre.

Álahara, lwɔ̀ lá, lwɔ̀ lá yá gbɛ̀lɛ káwa yé.

Dans l’autre monde, la date du jour du jugement, la date du jugement est plus dur qu’une pierre.

Álahara, lwɔ̀ lón, lwɔ̀ lón yá gbɛ̀lɛ káwa yé.

Dans l’autre monde, le jour du jugement, le jour du jugement est plus dur qu’une pierre.

Álahara, lwɔ̀ lá, lwɔ̀ lá yá gbɛ̀lɛ káwa yé.

Dans l’autre monde, la date du jour du jugement, la date du jugement est plus dur qu’une pierre.

Álahara, lwɔ̀ lón, lwɔ̀ lón yá gbɛ̀lɛ káwa yé.

Dans l’autre monde, le jour du jugement, le jour du jugement est plus dur qu’une pierre.

Dén tɛ́ à fà lɔ́n,

Ce jour-là l’enfant ne connaîtra pas son père,

Jága à fà tɛ́ à dén lɔ́n, bì.

de même que le père ne connaîtra pas son enfant.

Án byɛ́ lè kòmbo.

Nous pleurerons tous.

Ń kó àri yé jùrumu kɛ́ kà gbán Ála kwɔ́.

Je dis qu’on est dans le péché, et qu’on suit Dieu61 .

Kìyama lá rá, byɛ́ yé nà fɔ́ri kɛ́.

Le jour du passage dans l’au-delà, tout le monde parlera62 .

 
Partie parlée XIII
 
Bamoro

Ò bɛ́ síra dá rá sìgibagari yé.

Ce sont ceux qui s’asseyent au bord du chemin63 .

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 
Bamoro

Cɛ̀ba dɔ́ bɛ́ yèn, à yé sìgi síra dá rá kà à kɛ́ mɔ̀gɔ kɔ́rɔfɔ yé.

Il y a des hommes importants qui s’asseyent au bord du chemin pour critiquer les gens.

 
Takatu

Ò bɛ́ tèn lè.

C’est ainsi

 
Bamoro

Háli àri ye ́ nà serifana wátari, à tí tága.

Même quand on fait l’appel de la première prière64 , un tel homme n’y va pas.

 
Takatu

À tɛ́ à myɛ́n, mɔ̀gɔden nɛ̀ni fɛ̀.

Il n’entend pas, occupé qu’il est à médire du monde.

 
Bamoro

À bɛ́ mɔ̀gɔ mányiminna

Il est en train de calomnier les gens.

 

 
Partie chantée XIV

Dɔ̀nkili n° 14 quintum — Chant n° 14 quintum

Cinquième et dernière reprise du chant 14. Cette récurrence est tout à fait significative, car il représente le noyau sémantique qui donne son unité à cette partie du discours. Toutes ces diverses paroles (chants, récits, commentaires) manifestent une intention didactique et morale évidente, et, comme une sorte de leitmotiv, la thématique du chant 14, par son retour régulier vient nous rappeler l’essentiel de la leçon: notre vie, bonne ou mauvaise, prend son sens, non par rapport aux hommes, mais par rapport à Dieu, qui saura toujours nous récompenser ou nous punir en son temps.

 
Bamoro

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé à lɔ́n í mà.

Dieu, lui, t’en sera reconnaissant.

Í kà nyùman kɛ́, mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Si tu fais le bien et que personne ne le reconnaît,

Ála yé à lɔ́n í mà.

Dieu, lui, t’en sera reconnaissant.

Ń kó mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n,

Je dis que si personne ne le reconnaît,

Ála yé à lɔ́n.

Dieu le reconnaîtra.

Bàdenya rá,

Dans la famille,

mɔ̀gɔ béle má à lɔ́n, Ála yé à lɔ́n.

Si personne ne le reconnaît, Dieu le reconnaîtra.

 
Partie parlée XIV

Histoire n°1 (quatrième et dernier épisode)

 
Bamoro

Cɛ̀ nàna jí yé. À dò tí sé kà tága kà jí tó, mìnbari. Bwò dò bɛ́ à rá.

L’homme est venu et a vu l’eau. Il ne peut pas repartir sans en prendre, assoiffé comme il est. Mais il y a la crotte dedans.

 
Takatu

Tyɛ̀n.

C’est vrai.

 
Bamoro

À kó ń tì kà à lɔ́n ń bɛ́ nà sɔ́kɔ yàn,

Il se dit: si j’avais su que j’allais revenir ici,

Ń tì má bwò kɛ́ jí rá.

Je n’aurais pas fait ma crotte dans l’eau.

 
Takatu

Cɔ́.

Certainement.

 
Bamoro

À dén mɛ̀lekɛ kó tɛ̀mbɛ à fɛ̀.

Son ange créateur lui a dit: « Surmonte ton dégoût65 . »

 
Takatu

À mìn.

Bois !

 
Bamoro

Í kà kú dòn, í yé kú lè bɔ́, à tí kɛ́ bánanku yé. Í kà bánanku dòn, í yé òle bɔ́, ò té kɛ́ kàwa yé.

Si tu as planté de l’igname, c’est de l’igname que tu récolteras, ça ne deviendra pas du manioc. Si tu plantes du manioc, c’est ça même que tu récolteras ça ne deviendra pas du maïs.

 
Takatu

Tyɛbn. À bɛ́ tèn lè ?

C’est vrai, c’est comme ça.

 
Bamoro

Í kà kàwa sɛ̀nɛ, í yé kàwa lè tìgɛ, ò tí kɛ́ bínbiri yé. Í kà bínbiri dòn, í yé bínbiri lè bɔ́66 .

Si tu sèmes du maïs, c’est du maïs que tu récolteras, cela ne deviendra pas du mil. Si tu sèmes du mil, c’est du mil que tu récolteras.

 
Takatu

À bɛ́ tèn lè.

C’est comme ça.

 
Bamoro

À tí kɛ́ màlo yé.

Cela ne deviendra pas du riz67 .

 
Takatu

Cɔ́.

En effet.

 
Bamoro

Tɛ̀mbɛ kà bíri à fɛ̀.

Surmonte ton dégoût et penche toi.

 
Takatu

À yé à mìn.

Il va boire68 .

 
Bamoro

À kà bíri kà jí mìn.

Il s’est penché pour boire.

 
Takatu

Cɔ́.

Bien.

 
Bamoro

À fàra túma mín ná, à kà gìrindi.

Quand il fut rassasié, il a vomi.

 
Takatu

Bwò jí.

L’eau de la crotte.

 
Bamoro

À kó à yé sì kà nɛ́nɛkiri, jága mùru bɛ́ à jú cɛ́. À kó à yé sìgi, mùru kà gbán à kwɔ́.

Il a voulu s’allonger pour se reposer, et le couteau était entre ses fesses. Quand il a voulu s’asseoir, le couteau était planté derrière lui.

 
Takatu

À kà tó: é !

Il a dit: Hé !

 
Bamoro

À kà tó: kútubu, jága mùru bɛ́ ń fɛ̀, ń kà nà bwò jí mìn.

Il a dit: Sapristi, mais le couteau est avec moi, et je suis venu boire l’eau de la crotte.

 
Takatu

Íle dò kab à kɛ́ yèn.

C’est bien toi qui as fait ça là-bas.

 
Bamoro

À kó ń tígi nyùman íle Ála, ní í bɛh ń fɛ̀, í yé sáwari dí ń mà, kà lìmaniya dí ń mà. Né kána kó júgu ó yé, kà nyà bɔ́ à mà túgun. Òle kɔ̀sɔn, í kà Ála dári kó ó kó rá. À yé ò kɛ́ í yé.

Il a dit, toi Dieu, mon bon maître, si tu m’aimes, accorde-moi ton pardon, accorde-moi ta confiance. Il ne faut pas que je ne puisse plus distinguer le mal et du bien. C’est pour cela que tu pries Dieu, à un propos ou à un autre. Il fait cela pour toi.

 
Takatu

À yé ò kɛ́ í yé lè.

C’est pour toi qu’il fait cela.

 
Bamoro

Háli mùso kà myɛ́n mùsobanaya rá, í kà Ála dári fúru rá, Ála ye ́ à dí í mà.

Même quand une femme reste longtemps célibataire, si elle prie Dieu pour le mariage, Dieu le lui accordera69 .

 
Takatu

Jóona.

Rapidement.

 
Bamoro

Ń má à fɔ́ kó àri yé mɔ̀gɔri márasa, ń yé70 nà fúru í mà, í kà ò wári dómu kà ò bán í yé bán ò rá.

Je n’ai pas dit qu’on devait tromper les gens, dire je vais me marier à toi, et dès que tu as épuisé son argent, tu l’abandonnes.

 
Takatu

Kà tága dɔ́ fɛ̀.

Pour partir chez un autre.

 
Bamoro

Fàtigimuso nyánama lè yé tá.

C’est le propre de la véritable catin.

 
Takatu

À nyánaman lò.

C’est véritablement elle.

 
Bamoro

Ní ò tɛ́, mùsogbanan ò tɛ́ fàtigimuso yé.

Sinon, toute femme célibataire n’est pas pour autant une catin.

 
Takatu

Mùsogbanan tɛ́ fàtigi yé.

La célibataire n’est pas (forcement) catin.

 
Bamoro

Fàtigimuso nyánama lè yé tá.

Le propre de la véritable catin,

 
Takatu

Cɔ́ ?

eh bien ?

 
Bamoro

À tɛ́ sìgi kà fúru bàro kɛ́ à dá rá. À kà wári yé mín fɛ̀, ò kà bán, à yé fáran ò rá, ká tága dɔ́ wɛ́rɛ dámini.

elle ne parle jamais de mariage. Si elle en voit un avec de l’argent et qu’elle a réussi à le ruiner, elle recommence avec un autre.

 
Takatu

… dɔ́ wɛ́rɛ dámina.

… recommence avec un autre.

Corpus inédit, © copyright Jean Dérive.

 

Notes:

1 Kpɔ́ngin et yɛ̀lɛkɛn sont des adverbiaux antinomiques désignant un comportement respectueux ou désinvolte.

2 jáheli : dans un sens plus courant, ce terme désigne le voyou, le médisant. Ici, il s’agit de celui qui agit par hypocrisie, d’où notre traduction.

3 fítirimawale : le premier sens de ce mot est « ingrat ». Dans la mesure où il est question ici d’un ingrat hypocrite, nous l’avons traduit par « flatteur ».

4 -bari est un suffixe privatif. Lɔ́nbari : celui qui ne sait pas, celui qui ignore. Kó nyùman lɔ́nbari « c’est celui qui ignore le bien [qu’on lui fait] », c’est-à-dire l’ingrat. Il s’agit donc d’une périphrase qui est à peu près synonyme du mot fítirimawale, employé dans le commentaire qui a suivi le chant n° 4.

5 Mot à mot, « est-ce que nous n’avons pas sorti quatre hommes ? ». Il faut comprendre quatre hommes dignes de ce nom, c’est-à-dire quatre personnalités. Il se trouve que le quartier de Barola est divisé en quatre grandes sections, et ce sont les chefs de ces sections, présents au spectacle auxquels Bamoro fait ainsi allusion.

6 Après la présence des chefs, est évoquée la présence du Blanc (la mienne) qui se trouve être en l’occurrence le promoteur du spectacle. Elle apparaît comme un autre facteur de prestige. Cette façon pour l’interprète de se dire honoré de la personnalité qui lui a commandé la séance, est une louange traditionnelle du bàra.

7 Il faut sous-entendre: bien sûr que oui. Les cadeaux ou les bienfaits des hommes sont éphémères, mais ceux de Dieu sont durables. C’est donc de Dieu, selon Bamoro, que viendrait le bàra. Il est intéressant de remarquer que d’entrée de jeu, l’interprète cherche à donner à son art une origine transcendante.

8 Il faut comprendre: si tu veux me prendre le bàra, c’est Dieu qui t’attrapera, c’est-à-dire qui te punira.

9 La nature de ces trois bienfaits va être précisée dans la suite du chant: la richesse, la bonne entente dans la famille (lámɔgɔya l’ensemble de la famille étendue, par opposition à bádenya qui s’applique à la famille plus restreinte), et la bonne épouse.

10 Les esclaves de Dieu sont naturellement des hommes. Il s’agit d’une périphrase tout à fait classique que nous retrouverons dans de nombreux chants, pour désigner l’humanité envisagée dans ses rapports avec la divinité.

11 Entre ce verset, le précédent et le suivant, il n’y a qu’un changement de temps.

12 Mot à mot: « la mort n’épargne pas quelqu’un qui dit: “ j’ai des enfants” ».

13 Le début de l’intermède parlé est encore une reprise pure et simple du discours contenu dans les chants. On constate simplement que dans ce discours les trois éléments du chant ont été réduits à deux. Ce n’est qu’après cette première phrase que Bamoro va développer sa pensée par un commentaire sur le caractère inéluctable et aléatoire de la mort.

14 Il s’agit bien entendu du pèlerinage à la Mecque.

15 Cɔ́ est une marque d’assentiment.

16 Cette dernière phrase du discours parlé est une façon d’introduire le chant qui va suivre, et qui prolonge le thème général abordé.

17 Mot à mot: « le jour de l’au-delà ».

18 C’est une reprise des grands thèmes du chant précédent.

19 Le verset est une formule de salut stéréotypée empruntée à l’arabe et évoquant le prophète Mahomet. C’est à dessein que nous ne l’avons pas traduit, car il forme un corps étranger dans le texte dioula et nous avons voulu conserver le même effet en français.

20 C’est-à-dire le jugement de Dieu qui ne leur accordera pas le paradis.

21 La mort a atteint sa limite puisqu’il s’agit d’une double mort: la mort terrestre, et la mort éternelle de la damnation.

22 Il faut comprendre: « le discours que je tiens n’est pas bon à entendre pour vous », puisqu’il annonce la menace du châtiment éternel (la deuxième mort). Pourtant, cela est vrai, et c’est pourquoi Bamoro dit qu’il aime à entendre ce discours dans la bouche de ses proches, car s’ils sont conscients de la menace du châtiment, peut-être feront-ils leur salut.

23 Nous avons traduit par cette formule stéréotypée, car la phrase cɛ̀ (ou mùso, ou dén) dɔ́ lè tì bɛ́ yèn « il y avait une femme, un homme, un enfant… » est une des façons les plus classiques et conventionnelles de commencer un conte chez les Dioula.

24 Mot à mot: « le jour où Dieu [dit] qu’il le conseillera ». Cette construction avec kó exprime très souvent, le désir, l’intention.

25 Même si cette histoire commence tout à fait comme un conte, genre au répertoire duquel elle pourrait très bien appartenir, Bamoro Traore utilise une technique de narration qui est en général peu familière au conteur.

26 Kà bwò kɛ́ est une expression très familière en dioula pour expliquer l’action de déféquer, d’où notre traduction.

27 Le substantif tàna désigne l’« interdit », le « totem »; l’expression signifie donc mot à mot: « interdit de Dieu ».

28 Le chant qui suit l’extrait de ce premier récit garde un rapport thématique avec lui, puisque toute l’introduction tournait autour du problème du bien et du mal. D’autre part, le personnage de l’histoire vient de faire une mauvaise action sans témoin: personne ne le sait, mais Dieu, lui, le sait.

29 Après avoir lancé le refrain en début de chant, l’interprète l’intercale cette fois, non plus entre des phrases, mais entre des syntagmes à l’intérieur à l’intérieur d’une même phrase. Le couplet est donc réduit à sa plus simple expression, et il en faut souvent deux, voire trois pour avoir une phrase entière. Parfois, comme au début et à la fin, le couplet a besoin du complément du refrain pour former un énoncé complet.

30 Mot à mot: « depuis que le village a été cassé ». Bamoro fait allusion à une mesure qui a été prise à l’échelon gouvernemental et dont les effets ont commencé à se faire sentir à Kong, neuf ans auparavant.

31 Báraka, de l’arabe, désigne la « chance providentielle » qu’on a, lorsqu’on est bénit de Dieu.

32 I yɛ̀rɛ « toi-même », désigne ici Dieu, auquel s’adresse l’artiste.

33 Le suffixe ‑nin est un suffixe du diminutif. Dans ce contexte particulier, il prend une valeur prédicative, ce qui explique notre traduction. Quand il parle « du petit bàra », Bamoro reprend la formulation de supposés détracteurs qui ne le prendraient pas assez au sérieux. Il faut donc comprendre: « Regardez ce qu’est devenu maintenant [ce que vous appeliez] le petit bàra de Bamoro ».

34 C’est-à-dire que le bàra est devenu quelque chose de trop important pour qu’on continue à le prendre à la légère (mot à mot: « son affaire a dépassé la plaisanterie »).

35 Pálanti est un emprunt au français « apprenti ». Il s’agit encore d’une allusion à moi, qui, par intérêt que je manifeste au bàra, devient comme une sorte de disciple de l’artiste. Evoquer régulièrement celui qui a commandé le spectacle est une caractéristique du bàra. Et cette évocation est toujours flatteuse: il apparaît ici que l’intérêt que le Blanc porte au bàra a valorisé le genre, ce qui est une manière indirecte de faire un compliment au personnage.

36 Toujours la louange traditionnelle à l’égard du promoteur de la séance. Mais en même temps l’artiste tire profit pour lui-même. Il est clair en effet, dans le contexte, que le « Blanc a bien agi » en s’intéressant au bàra. Selon la problématique induite par le chant, il en sera donc récompensé par Dieu.

37 Le verbe kà fò signifie « saluer », mais aussi « remercier » ou « féliciter ». C’est ce dernier sens qu’il prend ici. Bamoro me remercie (félicite) de l’intérêt que j’ai porté au bàra.

38 Le narrateur met la main à son côté, ce qui explique la présence du déictique.

39 C’est la première fois qu’on rencontre une intervention de Takatu Saganogo qui est une anticipation de l’information, au lieu d’être, comme c’est le plus souvent le cas, une simple répétition d’une information déjà donnée.

40 La punition que va subir le héros de l’histoire apparaît comme une préfiguration du châtiment qui doit intervenir au jugement dernier, d’où cette apparente diversion thématique.

41 Bamoro s’en prend ici à ceux qui, comme le personnage du récit, se prévalent de leur condition de hɔ̀rɔn (c’est-à-dire d’homme libre) pour adopter une conduite sans retenue aucune, et notamment sans souci des règles sociales élémentaires.

42 « Mauvais esclave » (wólosocɛ júgu) s’oppose naturellement à « grand homme libre » (hɔ̀rɔncɛba).

43 ‑bari est un suffixe privatif accolé à màlo, la honte, la pudeur. Le hɔ̀rɔn, selon la norme culturelle, ne doit jamais se montrer màlobari, type de comportement qui est le propre du wóloso. C’est toujours une allusion au personnage de l’histoire en cours. On voit que toute la fin de cet intermède n’est plus une narration, mais un commentaire de la narration.

44 On peut remarquer que cette troisième unité est l’inversion symétrique de la première.

45 La façon dont Bamoro termine ce chant indique qu’il s’agit d’une œuvre de circonstance, puisqu’il donne une signification liée à son destin personnel.

46 L’artiste fait allusion à une mesure gouvernementale portant sur la renovation de l’habitat rural, thème qu’il a déjà abordé au chant n° 14.

47 Dabakala est une autre sous-préfecture de Côte d’Ivoire, située à 112 kilomètres au sud de Kong.

48 Mot à mot: « les pleurs des femmes, ils n’arrivent pas ».

49 Les parents ont envie de débaptiser tous ceux qui s’appellent Mori dont le nom leur rappelle celui de l’ennemi qui les a anéantis.

50 Fàso désigne très exactement la « maison du père ». On aurait pu traduire par patrie, mais le terme de « patrie » s’applique plutôt à un vaste territoire qu’à un petit terroir. C’est pourquoi nous avons préféré « village natal ».

51 Cet aspect phatique de la communication est assez répandu chez les bons conteurs dioula. On retrouvera des expressions semblables au cours des soirées de contes données par les hommes.

52 lɛ́ri: « heure », du français.

53 Mot à mot: « et a fermé l’eau ».

54 C’est-à-dire qu’elle n’est plus potable.

55 Dɛ̀gɛ est une sorte de bouillie qu’on obtient en mêlant de la farine à du lait. Elle est généralement de couleur jaunâtre.

56  Lónda désigne l’hôte étranger à la famille.

57 La complaisance évidente pour les détails scatologiques, appelés par la thématique générale de l’histoire qui tourne autour de la défécation est une caractéristique du mode de conter wóloso. En principe un hɔ̀rɔn ne raconterait pas ce genre d’histoire en public, et si d’aventure il s’y risquait, sa pudeur devrait lui interdire des images et des comparaisons douteuses.

58 On voit donc que si le propos est ici fort sérieux, et même moralisant, Bamoro n’en conserve pas moins un répertoire et un style propre à sa caste, qui lui donnent une liberté que n’aurait pas un hɔ̀rɔn.

59 C’est-à-dire ta maisonnée dont la cour est le siège.

60 Tyɛ́n signifie « abîmer, gâter » comme on dit souvent dans le français de Côte d’Ivoire. L’expression kó má tyɛ́n ? se traduit donc mot à mot par: « est-ce que l’affaire (la situation) n’est pas détériorée ? ».

61 Il faut comprendre ici qu’il y a des gens qui sont dans le péché, et qui prétendent tout de même suivre Dieu au plus près.

62 C’est-à-dire « tout le monde devra rendre des comptes ».

63 Bamoro commente son chant. Il va désigner plus clairement ceux auxquels il faisait allusion quand il parlait de gens qui étaient dans le péché.

64 sírifana: prière rituelle du début de l’après-midi dans le culte musulman.

65 Mot à mot: « surmonte ça ».

66 De même qu’il y a eu une distinction entre dòn « planter » et sɛ̀nɛ « semer », le narrateur distingue deux termes pour expliquer l’action de récolter: bɔ́ « sortir » s’appliquant aux tubercules enterrés, et tìgɛ « couper » pour les plantes à l’air libre. Curieusement, il n’applique pas les bons termes pour le mil à propos duquel on devrait avoir sɛ̀nɛ et tìgɛ.

67 Le plus remarquable, dans ce passage, ce n’est pas l’idée qu’on récolte ce qu’on a semé, lieu commun de bien des cultures populaires, mais l’exceptionnel effet d’insistance, par la variation des figures.

68 Quelques exemples de ce fragment d’histoire nous montrent que la fonction de Takatu ne se borne pas toujours à celle d’un écho. Il peut aussi commenter ou préparer l’action, et créer, comme ici, de véritable effets de « suspense ».

69 A partir de cette réplique, l’histoire proprement dite est finie, et il s’agit plus que d’un commentaire. On voit que ceux-ci prennent beaucoup plus d’importance dans les récits du bàra que dans les contes, par exemple. Bamoro donne en quelque sorte la leçon de son histoire. Brusquement, elle prend alors un sens assez étroit et très circonstancié, puisque le comportement répréhensible du héros (un homme) devient la métaphore du comportement de la femme infidèle, ce qui n’a pourtant qu’un rapport assez lointain avec les circonstances de l’histoire.

70 Nous avons ajouté cette cheville, afin de permettre une meilleure compréhension du texte. Celles qui trompent les gens sont les femmes qui tiennent le discours qui suit.

Ntalen jula — Contes dioula

 

 

Ntalen jula – Contes dioula

 

 

Mots-clés:
mandingue, dioula — oralité, textes narratifs, contes — coépouses, fratrie, orphelin, sorcier, animaux
Éditeur scientifique:
Marie-José Derive

 

Production du corpus:
Conteuses: Matulen Barro, Masogona Barro, Mamagangan Barro, Mawa Coulibaly
Conteurs: Baladyi Barro, Fakari Barro, Diabagaté Bassounkari
Édition du corpus:
Collecte: contes enregistrés entre 1974 et 1977 à Kong (Côte d’Ivoire) par Marie-José Derive et Jean Derive.
Transcription: Balemori Barro, Marie-José Derive.
Traduction: Marie-José Derive


Descriptif:
Ce recueil de 185 pages est précédé d’une introduction sur les contes et le contage (pp. 9-11), ainsi que d’une note sur la transcription et sur la traduction (pp. 12-17). Des notes infrapaginales donnent des informations linguistiques et ethnolinguistiques utiles à la compréhension des contes.

 

Référence de l’œuvre:
DERIVE, Jean & DERIVE, Marie-Jo, 1980, Ntalen jula. Contes dioula, Abidian, CEDA, Collection bilingue, 185 p.


Bibliographie

    • DERIVE, Jean, 1987, Le fonctionnement sociologique de la littérature orale: l’exemple des Dioula de Kong,collection “Sciences Humaines”, série “Arhiveset documents”, Paris, Institut d’Ethnologie.

 

 

Ntalen jula — Contes dioula
Extrait
« Les trois prétendants rivaux » (pp. 18-23)

 

 

[…] Súnguru dɔ́ lè tì̀ bɛ́ yèn […], à cɛ́ á nyì. Kánbele bɛ́ à fɛ̀ kínda sàwa lá. Lá dɔ́ rá à le kánbele sàwa kà wíri kó àri yé tága Kumasi. Á kà tó kélen mà: ní í kà sé sípɛ mín sí má yé, é yé dɔ́ sàn ń yé. Kà à fɔ́ tɔ̀ ́ kélen yé: ní í kà sé súliye mín sí má yé, é yé dɔ́ sàn ń yé. Kà tó kélen mà: ní í kà sé dùgalen mín sí má yé, é yé dɔ́ sàn ń yé.

[…] Il était une fois une jeune fille […] très belle. Elle avait un prétendant dans trois quartiers différents.  Un jour, les trois jeunes hommes se mirent en route en disant qu’ils partaient à Koumassi. Elle dit au premier: « si tu trouves une sorte de «sipè»[1] très rare, achètes-en pour moi » et elle demanda à l’autre: « si tu trouves des souliers très rares, achète-les pour moi » et au troisième elle demanda: « si tu vois une sorte de miroir très rare, achète-le pour moi ».

Kánbele sàwa kà tága Kumasi. Àri séra, àri byɛ́ kà àri tá sànnin fén sàn. Dùgalentigi kà à dùgalen fɛ́rɛ òle rá kà à yé súnguru sàra òle rá. Sípɛtigi ò kà tó: é né dò kɛ́ dì kà sé Kpɔn ? Súlyetigi kà à súlye tà òle rá kà à dí sípɛtigi mà. Sípɛtigikà sèn gbànya  kélen kɛ́ kà sé Kpɔn kà tága súnguru lánin yé. Àri má sù dòn bá. À kà sípɛ sí òle rá. Súnguru kà tìsew (…) kà wíri.  Ò mɔ̀gɔ sàwa, álori tá fɔ́ rá túgu , jùman lè kà súnguru  kúnun ? […]

Les trois jeunes hommes sont partis à Koumassi. Une fois arrivés, ils ont chacun fait leurs achats. Celui qui avait le miroir a vu grâce à celui-ci que la jeune fille était décédée au village. Celui qui avait le « sipè » a déclaré: « Hé, comment pourrais-je faire pour parvenir à Kong ? ». Celui qui avait les souliers les a pris et les a donnés à celui qui avait le médicament. Le possesseur du sipè, d’un seul pas, est arrivé à Kong et a vu la jeune fille étendue. On n’avait pas encore enterré son cadavre. Il a frotté le médicament sur elle et l’a étalé près de son nez. La jeune fille a éternué (…), s’est  levée. A votre avis lequel de ces trois hommes a ressuscité la jeune fille ? […]

[1]    Médicament traditionnel.

Kanuya Wale — Un acte d’amour

 

 

Kanuya Wale — Un acte d’amour 1
de Samba Niaré

 

 

Mots-clés:
mandingue, bambara, écriture littéraire, roman, Mali, critique sociale, corruption, mariage.
Contexte:
Samba Niaré a été assisté par Thera Job qui l’a aidé à mettre en forme son texte en bambara. En effet, bien que de langue maternelle bambara, l’auteur a préféré écrire d’abord son roman en français — langue dans laquelle il a des repères pour ce genre, avant de le transposer en bambara pour la version définitive.
Le mot « roman » ne figure ni sur la couverture ni sur la quatrième. Il apparaît seulement sur la page de garde à l’occasion d’une brève biographie de l’auteur où on nous précise que « Kanuya Wale (Un acte d’amour) est son premier roman ». Aucun mot bambara n’est par ailleurs proposé pour désigner le genre.

 

Note :        Le titre français figure sur la couverture de l’ouvrage.

 

 

 

Résumé:


Le roman, qui entremêle plusieurs histoires en trois volumes, est un prétexte pour aborder les questions des mariages arrangés, de la polygamie, de la stérilité, du sida, de la corruption des villes, de l’exploitation des petites bonnes, de l’éducation des filles, questions de société ardemment débattues au Mali.
Un bref résumé du roman, volume par volume, est proposé par l’auteur en bambara et en traduction française sur la quatrième de couverture de chacun des tomes.

 

a) Kanuya Wale I, ye dennin dɔ ka maana ye, min furula k’a sɔrɔ a ma wolo. A fa banna ka kundi. A ba ma den wɛrɛ bange a kelen kɔ, o y’a tɔgɔ da Dajuru.
Kanuya Wale I (un acte d’Amour) raconte l’histoire d’une jeune fille mariée avant sa naissance. Son père refuse de lui donner un nom. Sa mère, dont elle est l’unique enfant, l’appelle Dajuru (la parole donnée).

 

b) Kanuya Wale II, sinsinnen bɛ togodala mɔgɔw ka diɲɛlatigɛ kan. Olu min bɛ taa-ni-ka-segin banbali la duguba n’u ka yɔrɔ cɛ, u dahirimɛ ɲininni na, i n’a fɔ parantikɛ Seriba.
Kanuya Wale II évoque également une tranche de vie, celle d’un milieu rural à la recherche du minimum vital dans un incessant va-et-vient, symbolisé par Sériba, un jeune garçon déscolarisé qui exerce le métier tant honni d’apprenti chauffeur, paantikè.

 

c) Kanuya Wale III, kɔnɔ, a bɛ dɔn ko donseteliyabana taara ni Mamuru ye; a muso Fata banna ka firiyafini ta.
Kanuya Wale III montre enfin la réticence d’une femme à porter la repoussante tenue de veuvage, pourtant bleue ! (Firiyato).

 

Référence de l’œuvre:
Le roman est publié par la Société Malienne d’Edition, Bamako en 1996, en 3 volumes respectivement de 55, 56 et 52 pages, intitulés: Kanuya Wale I (avec pour sous-titre Dajuru); Kanuya Wale II (sous-titre Parantikɛ), Kanuya Wale III (sous-titre Firiyatow, [les veuves]).


Bibliographie

    • DERIVE, Jean, 2006, Le parcours sinueux d’un roman bambara: « Kanuya Wale [Un acte d’amour] de Samba Niaré (1996) » in GARNIER, Xavier, RICARD, Alain (eds.), L’effet roman: l’arrivée du roman dans les langues d’Afrique, Paris, Karthala, pp. 265-286.

 

 

 

Kanuya Wale — Un acte d’amour
Extrait
Première page du roman.

L’auteur ne note pas les tons

 


Bajɛ wolodugu man jandugubala. I k’a don, dugubakɔnɔmɔgɔw y’u dia. Mansimafɛn camande b’u bolo. I dan ye ka bitɔnnindɔ digi, yeelen bɛ sin ka du kɛnɛ n’a boya bɛɛ minɛ.
Sokɔnɔna fana bɛ o cogo kelen na. I mana segin k’o bitɔn kelendigi, dibi bɛ segin a nɔ na o yɔrɔ bɛɛ.
Bajɛ ninnu ka dugu la, fitinɛwde bɛ tugu sow kɔnɔ. A dɔw faratika bon kosɛbɛ. Bajɛ man’a sigi k’a miiri duguba bitɔnnin n’a yeelen na ka fitinɛ ninnu filɛ, a dabali bɛ ban. A tɛ dan si sɔrɔ o la.
Dafɛdugu tɛ u ka dugu laminina Bajɛ ma don min na.Tuma kelen-kelen, Bajɛ ka dugutagaw senfɛ a kulu yɛlɛnto mana sɛgɛn, a b’i jɔ k’a ɲɛ fili duguba kan. A bɛ to kulu sanfɛ ka duguba fɛnsɛnnen ye a senkɔrɔ i ko sankolo dabirilen. A be yeelenw tomi-tomitɔ ye i ko doolow bɛ sanfɛ cogomin.
Bajɛ mana fa dugu filɛli la, a bɛ kaariba tu k’a ɲɛsin duguba ma, ka nɛgɛso ta ka sira minɛ. Nɛgɛso in tun ye faciyen ye.

 

 


Traduction de l’extrait
par Jean Derive

 


Le village natal de Badjè n’est pas loin de la grande ville. Tu sais, les gens de la ville ont la vie belle. Ils disposent de beaucoup de confort. Il te suffit d’appuyer sur un petit bouton, la lumière éclaire aussitôt la cour, si grande soit-elle.
A l’intérieur de la maison, c’est la même chose. Au cas où tu retournes appuyer sur ce bouton, l’obscurité revient remplacer partout la lumière.
Au village de ce Badjè, ce sont les lampes à huile qu’on allume dans les maisons. Le danger de ce genre de lampes est très grand. Si Badjè se met à penser au petit bouton de la ville et à sa lumière, par comparaison à ces petites lampes à huile, leur magie pense-t-il est infinie. Il la trouve extraordinaire.
Il n’y a pas de village des alentours où Badjè ne soit entré. De temps en temps au cours de ses promenades à pied dans les villages, s’il en vient à peiner en gravissant la montagne, il s’arrête pour jeter un coup d’œil sur la ville. Il reste au sommet pour la voir étendue à se pieds comme un ciel renversé. Il voit les lumières en points minuscules come sont les étoiles dans le ciel.
Pour ce qui concerne le village paternel de Badjè, il n’est pas du tout situé du côté de la ville, il doit y aller à bicyclette. Cette bicyclette était un héritage paternel.

La prise de Dionkoloni

 

La prise de Dionkoloni

Classiques africains

 

 

 

Mots-clés:
mandingue, bambara, oralité, épopée, griot, royaume de Ségou, Da Monzon
Éditeurs scientifiques:
Gérard Dumestre et Lilyan Kesteloot, avec la collaboration de Jean-Baptiste Traoré
Production du corpus:
Sissoko Kabinè, griot (jèli en bamanakan), disciple de Ban Zoumana, le plus célèbre griot du Mali de l’Indépendance.
Édition du corpus:
Collecte: Lilyan Kesteloot
Transcription: Gérard Dumestre et Jean-Baptiste Traoré
Traduction: Gérard Dumestre, Amadou Traoré et Jean-Baptiste Traoré

 

 

 

Descriptif:


Relation d’un épisode du royaume de Ségou (XVIIIe siècle) sous le règne de Da Monzon où la ville de Dionkoloni, qui défie le pouvoir central, est finalement prise par le héros peul Silamakan, qui, parce qu’il a défié le roi, sera finalement défait à son tour par traîtrise.
Le texte a été enregistré par Lilyan Kesteloot en 1968 à Bamako. Il a été publié en 1975 dans la collection « Classiques Africains » (n° 16) diffusée à l’époque par Armand Colin.
Volume de 183 pages comprenant une introduction présentant l’empire de Ségou, le griot et son style, des considérations sur le système de transcription, le récit épique en version bilingue annoté et commenté, une bibliographie. Ce fragment épique appartient à une geste plus vaste qui comprend un ensemble de récits tous relatifs au royaume bambara de Ségou. Son exécution orale par Sissoko Kabinè a été en l’occurrence sollicitée par Lilyan Kesteloot. Elle s’est donc déroulée dans des conditions artificielles, en dehors de l’auditoire naturel de l’épopée. La performance obéit cependant, d’après les informations données dans l’introduction, aux règles d’énonciation propres au genre: le griot a déclamé l’épopée selon une diction particulière à ce type d’énoncé (voix de tête, débit rapide) en s’accompagnant de sa kóra (harpe-luth à cordes), selon des séquences prosodiques qui ont conduit les éditeurs du recueil à la présenter sous forme versifiée, la versification n’étant pas en l’occurrence entendue comme une suite d’unités isométriques, mais plutôt comme un enchaînement d’unités inégales entretenant entre elles des rapports de symétrie.

 

Référence de l’ouvrage:
DUMESTRE, Gérard, KESTELOOT, Lilyan, 1975, [avec la collaboration de TRAORE, Jean-Baptiste], La Prise de Dionkoloni : épisode de l’épopée bambara, raconté par Sissoko Kabinè, Paris, Armand Colin, « Classiques africains n° 16 », 183 p.

 

Bibliographie

  • DERIVE, Jean, 1997, « Eléments de poétique de l’épopée manding », in LÉTOUBLON, Françoise (ed.), Hommage à Milman Parry. Le style formulaire de l’épopée homérique et la théorie de l’oralité poétique, Amsterdam, Gieben, pp. 369-377.
  • DERIVE, Jean, 2012, L’Art du verbe dans l’oralité africaine, Paris, L’Harmattan, collection « Oralités », 224 p. [voir surout le chapitre 4 (pp. 99-142): « Poétique des genres. L’exemple de l’épopée mandingue »].
  • DUMESTRE, Gérard, 1998, « L’accentuation d’un texte épique bambara: le cas des « Trois Amadou » de Bakoroba Koné » [Colloque de l’African Studies Association, 1989], in VYDRINE, Valentin & KIBRIK, Andrej (eds), pp. 221-236.
  • JANSEN, Jan, 2001, Epopée, histoire, société. Le cas de Soundjata. Mali et Guinée, Paris, Karthala, 307 p.
  • KESTELOOT, Lilyan, 2010, [avec la collaboration de TRAORÉ, Amadou et TRAORÉ, Jean-Baptiste], L’épopée bambara de Ségou, Paris, Orizons, 328 p.
  • VYDRINE, Valentin & KIBRIK, Andrej (éds), 1998, Les Peuls. Recueil d’articles dédiés à Antonina Koval, St. Petersbourg, Moscou, Evropejskij Dom, 358 p. [bilingue russe français].

 

 

La Prise de Dionkoloni
Extrait
(Incipit — pp.38-39)

 

 

 

à bé Jɔnkolonin wéle

Je chante ici l’histoire de Dionkoloni !

à bé Mariheri wéle Jɔnkolonin

Je chante Marihéri de Dionkoloni !

à bé Kɔlɔnjugujiri wéle Jɔnkolonin

Je chante Kolondiougoudyiri de Dionkoloni !

à bé Cɛkɔrɔbabugɔnci wéle Jɔnkolonin

Je chante Tièkoroba Bougondyi de Dionkoloni !

à bé Nturanin Farinman wéle Jɔnkolonin

Je chante Ntourani Fariman de Dionkoloni !

à bé Nkilinti Nkɔlɔntɔ wéle ò tùn bé Jɔnkolonin

Je chante Nkilindi Nkolondo de Dionkoloni !

Mariheri tùn yémàsakɛ yé Jɔnkolonin

Marihéri régnait à Dionkoloni.

nì mínw tɔ́gɔ fɔ́len yé nìn yé

Ceux qu’on vient de nommer,

òlu tùn yé à ká cɛ̀ fárinw yé

ceux-là même étaient ses preux.

nìn mɔ̀gɔ kélen kélen bɛ́ɛ tùn yé sé mɔ̀gɔ kɛ̀mɛ ná Jɔnkolonin kɔ́nɔ

Chacun à lui seul pouvait vaincre cent hommes.

ɔ̀ npári tùn bé fɔ́ òlu dè yé Jɔnkolonin kɔ́nɔ

C’est pour eux qu’on jouait le mpar1 à Donkoloni ;

ù kó póyi ní páyi

ils disaient : poyi et payi,

nɛ̀gɛ sɛ̀ngɛrɛn dɔ́ bé à jí mìn

la bouillie de fer, qui en boit le jus

ò tɛ́ à nyàga nyími

n’en mangera pas la pâte,

nyàganyími Nsan àni nyàganyími Nsan

l’un mange le résidu, l’autre boit le jus,

Nsan kùnba àni Nsan dába

l’un est une forte tête, l’autre est une grande gueule !

 

Notes:

1  Le mpari est une sorte de jeu de dames. Autrefois, avant un combat, il était d’usage de faire une partie de mpari.

Des hommes et des bêtes. Chants de chasseurs mandingues

 

 

Des hommes et des bêtes. Chants de chasseurs mandingues

 

Classiques africains

 

 

 

Mots-clés:
mandingue, bambara, oralité, chants, récits, chasseurs


Éditeurs scientifiques de l’ouvrage:
Jean Derive et Gérard Dumestre


Production du corpus:
Récits de chasseurs:
– Karamogo Doumbia (dònsomaana 1: Manou Mori);
– Dyimba Diakité (dònsomaana 2: Dakouda);
– Dyoma Moussa Sangaré (dònsomaana 3: Dyifinbamba).
Chants de chasseurs de Kong (narratifs):
Ba Yegi Ouattara et Tidyani Traoré (dàndaga dɔ̀nkiri et kóngokiri).
Manou Mori et la Montagne-qui-prend-les-mariées a été interprété à Kanbiasso en 1975 dans le Kabadougou (Côte d’Ivoire). Dakouda a été interprété en 1979 à Bala (Mali). Dyifinbamba a été interprété en 1994 à Nyagassola (Préfecture de Siguiri, Guinée). Les chants de chasseurs, dàndagadɔnkiri et kóngokiri, ont été interprétés à Kong (sous-préfecture de Côte d’Ivoire) entre 1975 et 1979.


Édition du corpus:
Collecte: Marie-José Derive (Manou Mori); Brahima Camara (Dakouda), Ansoumane Camara (Dyifinbamba), Jean Derive (chants de chasseurs de Kong).
Transcription: Marie-José Derive (Manou Mori) Brahima Camara (Dakouda), Ansoumane Camara (Dyifinbamba), Balemori Barro et Jean Derive (chants de chasseurs de Kong). Les transcriptions ont été revues par Gérard Dumestre.
Traduction: Marie-José Derive (Manou Mori), Brahima Camara (Dakouda), Ansoumane Camara (Dyifinbamba), Jean Derive (chants de chasseurs de Kong). Les traductions ont été revues par Jean Derive et Gérard Dumestre.

 

 

Descriptif:


Ensemble de récits de chasseurs (appelés aussi couramment « chants de chasseurs », même si tous ne sont pas chantés). Les œuvres appartenant à ce genre oral sont appelées dans les parlers mandingues dònsomaana [récits de chasseur] ou dònsodɔnkili [chant de chasseur] ou encore dàndagadɔnkili (dàndaga étant le nom donné au chasseur dans certains dialectes dioula). Ils ont été interprétés par différents sérewa (appelés aussi sóra au Mali ou dònsongɔnifɔla [joueur du ngɔ̀ni des chasseurs] au Manding oriental), tous noms qu’on donne aux artistes spécialisés dans l’interprétation de ce genre au Manding.
Ce volume de 281 pages comprend une série de textes (récits et chants) en version bilingue bambara, dioula malinké/français. Ils sont précédés d’une introduction générale de 53 pages présentant le genre des récits de chasseurs leurs interprètes et leurs conditions de collecte ainsi que les particularités dialectales des différents parlers, plus des introductions spécifiques à chaque type d’énoncé.
Le premier récit relate le combat d’un chasseur légendaire, Manu Mori, avec un génie qui loge dans une montagne et qui emprisonne les nouvelles mariées que Manu Mori finira par délivrer en anéantissant le génie. Le second récit relate un épisode d’une geste qui en comprend 44 où l’on voit l’avènement d’un héros chasseur. Le troisième récit raconte l’affrontement en un crocodile génie et d’un autre héros chasseur Santien et Karotien. Quant aux chants plus brefs qui suivent, ils se rapportent tous à divers épisodes de chasse. L’exécution des récits de chasseurs a été sollicitée par les collecteurs. Les chants de chasseurs de Kong ont quant à eux été recueillis dans des conditions naturelles sans sollicitation préalable.

 

Référence de l’ouvrage:
DERIVE, Jean et DUMESTRE, Gérard, 1999, Des hommes et des bêtes. Chants de chasseurs mandingues, Paris, Classiques africains, 281 p. [diffusé par Karthala]


Bibliographie

  • BIRD Charles, « Heroic Songs of the Mande Hunters », African Folklore (R. M. Dorson, ed.), New-York, Anchor books, 1972, pp. 275-295 et 441-477.
  • BIRD Charles, Keita Mamadou, Sumaoro Bourama, Kante M., The Songs of Seydou Camara: “Kanbili”, vol. 1, African Studies Center, Indiana University, Bloomington, 1974, xiii + 120 p.
  • CAMARA Brahima, Jägerliteratur in Manden, Bayreuth, Schultz & Stellmacher, 1998, viii + 285 p.
  • CISSÉ Youssouf Tata, Notes sur les sociétés de chasseurs malinké, Journal de la Société des Aricanistes, XXXIV, 2, 1964, pp.175-226.
  • CISSÉ, Youssouf Tata, La confrérie des chasseurs malinké et bambara, mythes, rites et récits initiatiques, Paris, Editions Nouvelles du Sud-ACCT, 1994, 391 p.
  • COULIBALY Dosseh Joseph et GÖRÖG-KARADY Veronika, Récits de chasseurs du Mali, Paris, edicef, CILF, 1985, XXXX.
  • DERIVE Marie-José, « Bamori et Kowulen, chant de chasseurs de la region d’Odienné », Recueil de littérature manding, ACCT, 1980, pp. 74-107.
  • KEITA, Dramane, 1994, [en collaboration avec AEBERSOLD, Denise, KOUYATÉ, Ahmadou et KULIBALI, Porè Kolon], Manden Bori fasa, Conakry, Bibliothèque franco-guinéenne, tome 1: 97 p., tome 2: 85 p.
  • THOYER Annick, Récits épiques des chasseurs bamanan du Mali de Mamadu Jara, Paris, L’Harmattan, 1995, 255 p.
  • THOYER-ROZAT Annick, Chants de chasseurs du Mali par Mamadu Jara, Paris, Uni-Edit., 1978, 265 p.

 

 

Des hommes et des bêtes.
Chants de chasseurs mandingues
Extrait
[Chant de chasseurs de Kong]

Chant de brousse 3, pp. 260-263.

 

 

 

Sánbiri yé é è é !

Sanbiei yé !

cɛ̀ mínri cɛ̀ kán fɔ́,

Hommes qui proférez une parole virile,

ń bɛ́ ári kírira.

je proclame votre nom.

Fàjari lòlo wé,

Ô vous, étoiles du petit matin[1],

Kó ári yé wóroma !

je vous dis: « Démarquez-vous ! ».

Sɔ̀gɔma fɔ́nyon wúri cɛ̀ri kélen kélen,

Hommes qui vous levez un à un dans le vent du matin,

dòndo fɔ́lɔ wúri cɛ̀ri,

hommes debout au premier chant du coq,

ń bɛ́ ári kírira.

je proclame votre nom.

Kɔ́nbi júgu cɛ̀bagari,

Vous qui essuyez la mauvaise rosée,

ń kó ári yé wóroma !

je vous dis: « Démarquez-vous ! ».

Jí júgu mìn cɛ̀ri,

Hommes qui buvez l’eau sale,

ń bɛ́ ári kírira.

je proclame votre nom.

Lɛ́n júgu sɔ̀mina wé kélen kélen

Un à un venez, vous qui endurez les mauvaises mouches tsé tsé

Jàra júgu yébagari

vous qui affrontez le terrible lion,

Kó ári yé wóroma !

je vous dis: « Démarquez-vous ! ».

Sòli júgu yébagari,

Vous qui affrontez la terrible panthère,

ń kó ári kírira,

je proclame votre nom,

kó nyánaman mìna dònsori wé,

chasseurs qui capturez des bêtes vivantes,

kó ári ní kóngo !

salut à vous !

nyánaman mìna dònso wé,

Chasseurs qui capturez des bêtes vivantes,

ń kó kúba tìgɛ dònso.

chasseurs qui, dis-je, glanez des exploits !

 

[1] Périphrase métaphorique pour désigner le chasseur qui se lève à l’aube.

La geste de Ségou

 

La geste de Ségou

Classiques africains

 

 

 


Mots-clés:
mandingue, bambara, oralité, épopée, griot, royaume de Ségou
Éditeur scientifique:
Gérard Dumestre
Production du corpus:
Ces textes ont été enregistrés entre 1965 et 1971 à Bamako ou à Ségou. Ils ont été publiés en 1979 dans la collection « Classiques Africains », n° 19, diffusée à l’époque par Armand Colin, et aujourd’hui par Karhala.
Édition du corpus:
Collecte: Gérard Dumestre (les deux récits de Baba Cissoko et le second récit de Taïrou Bambéra); Lilyan Kesteloot (le récit de Sory Kamara); Sékou Traoré (le premier récit de Taïrou Bambéra).
Transcription: Gérard Dumestre
Traduction: Gérard Dumestre

 

 

Descriptif:


Ce volume de 419 pages comprend cinq textes en version bilingue bambara-français. Ils sont précédés d’une introduction de 60 pages et suivis d’annexes et d’une bibliographie. Tous sont des fragments d’une geste plus vaste qui comprend un ensemble de récits relatifs au royaume bambara de Ségou, d’où le titre donné au volume.
Les deux premiers récits, donnés par Baba Cissoko se rapportent à un héros de Ségou, Bakari Dian. Le troisième, interprété par Sory Kamara, raconte la victoire du jeune Da, le fils de Monzon, sur Douga de Koré, roi d’une ville voisine qu’il avait défié à la demande de son père. Les deux derniers récits, dits par Taïrou Bambéra, racontent, pour le premier, l’avènement de Da et, pour le second, un épisode du règne de Biton.
L’exécution orale de tous ces récits épiques a toujours été sollicitée par les collecteurs. Toutes les performances se sont donc déroulées dans des conditions artificielles, en dehors de l’auditoire naturel de l’épopée. Elles ont obéi cependant aux règles d’énonciation propres au genre quant à la diction (voix de tête, déclamation rapide) et à l’accompagnement musical (kóra ou ngɔ̀ni, deux variétés de harpes-luths à cordes), selon des séquences prosodiques qui ont conduit l’éditeur du recueil à les présenter sous une forme versifiée, la versification n’étant pas en l’occurrence entendue comme une suite d’unités isométriques, mais plutôt comme un enchaînement d’unités inégales entretenant entre elles des rapports de symétrie.
Ce volume peut être mis en relation avec La Prise de Dionkoloni, un récit épique relatant un épisode particulier de l’histoire de Ségou sous le règne de Da Monzon, également publié aux « Classiques Africains» (n° 16). Cette autre œuvre épique est répertoriée sur le site.

 

Référence de l’ouvrage:
DUMESTRE, Gérard (éd.), 1979, La geste de Ségou racontée par des griots bambara, traduite et éditée, Paris, Armand Colin, « Classiques africains », 419 p. [diffusé par Karthala].


Bibliographie

  • DERIVE, Jean, 1997, « Eléments de poétique de l’épopée manding », in LÉTOUBLON, Françoise (ed.), Hommage à Milman Parry. Le style formulaire de l’épopée homérique et la théorie de l’oralité poétique, Amstredam, Gieben, pp. 369-377.
  • DERIVE, Jean, 2012, L’Art du verbe dans l’oralité africaine, Paris, L’Harmattan, collection « Oralités », 224 p. [voir surout le chapitre 4 (pp. 99-142): « Poétique des genres. L’exemple de l’épopée mandingue »].
  • DUMESTRE, Gérard, 1998, « L’accentuation d’un texte épique bambara: le cas des « Trois Amadou » de Bakoroba Koné » [Colloque de l’African Studies Association, 1989], in VYDRINE, Valentin & KIBRIK, Andrej (eds), pp. 221-236.
  • JANSEN, Jan, 2001, Epopée, histoire, société. Le cas de Soundjata. Mali et Guinée, Paris, Karthala, 307 p.
  • KESTELOOT, Lilyan, 2010, [avec la collaboration de TRAORÉ, Amadou et TRAORÉ, Jean-Baptiste], L’épopée bambara de Ségou, Paris, Orizons, 328 p.
  • VYDRINE, Valentin & KIBRIK, Andrej (éds), 1998, Les Peuls. Recueil d’articles dédiés à Antonina Koval, St. Petersbourg, Moscou, Evropeiskiy Dom, 358 p. [bilingue russe français].

 

 

La geste de Ségou
Extrait
La trahison de Bakari Dian (pp. 62-63)

L’un des récits de la Geste de Ségou

 

ɔ̀ Segu yé náani yé
maraka dùgu kɔ̀nɔntɔ
sìdo Jara àni bálansando
bálansan bà tán ní náani àni bálansan kɔ́ kùrunnin kélen.
ɔ̀ dón dɔ́ Tinyɛtigiba Dantɛ àni jèliGoroli bé nìn yɔ́rɔ nìn ná kà à fɔ́
Bakari yé
A kábùon kɔ́nɔ.
dón dɔ́ Bkari Jan sìgilen kó jèliw mà
á yé nkɔ̀ni tɛ́liya
né Bakari bé à fɛ̀ kà ń dɔ̀n Segu
ń bé ń dɔ̀n bì.
ɔ̀ jèliw yé nkɔ̀ni tɛ́liya
ɔ̀ jèliw kó Bakari mà í ní dɔ̀n ká kán
Kɔda àni Jɛnɛba mɔ̀den
Quatre villages forment Ségou,
les villages marka sont au nombre de neuf.
Diara d’entre les karités et les acacias,
quatorze mille acacias et un acacia tordu.
Un jour Tientiguiba Danté et le griot Goroli jouaient cet air-ci [1]
à Bakari
dans son vestibule;
ce jour-là, Bakari dit aux griots:
« Cadencez vos ngoni, [2]
moi, Bakari, je vais danser ici à Ségou,
je vais danser aujourd’hui ».
Alors les griots cadencèrent leurs ngoni,
ils dirent à Bakari: tu mérites de danser,
petit-fils de Koda et de Diènèba.

Notes:

[1] C’est-à-dire l’air que le griot qui narre l’épopée est en train de jouer à l’occasion de la performance.

[2] Instrument à cordes qui accompagne l’épopée.

 

Chanter l’amour en pays dioula

 

 

Chanter l’amour en pays dioula (Côte d’Ivoire)

édité par Jean Derive

Classiques africains

 

 

 

 

Mots-clés:
mandingue, dioula, oralité, chants, femmes, mariage
Éditeur scientifique:
Jean Derive
Production du corpus:
Communauté des femmes de Kong.
Ces chants ont été enregistrés à Kong (sous préfecture de Côte d’Ivoire) entre 1975 et 1981, dans des conditions naturelles, en ce sens que leur énonciation n’a pas été artificiellement provoquée par un enquêteur. Elle est toujours à l’initiative des usagers. Cette anthologie thématique a été publiée en 2012 par l’association des « Classiques Africains » sous le n° 32 (aujourd’hui diffusée par Karthala).
Édition du corpus:
Collecte: Marie-José Derive, Jean Derive, Banassi Barro
Transcription: Balemori Barro, Marie-José Derive, Jean Derive
Traduction: Jean Derive

 

 

Descriptif:


Ce volume présente des chants dits collectivement par des femmes, sélectionnés sur le critère du thème de l’amour. Ils relèvent de plusieurs genres qu’elles sont amenées à interpréter à différentes étapes de leur vie: chants dits de clair de lune dans le français local (bóndolon dɔ̀nkiri) à l’adolescence; divers types de chants nuptiaux (kɔ́nyɔn dɔ̀nkiri) au moment de passer de l’état de jeune fille (súnguru) à celui de femme mariée (mùso), d’autres chants dits de danse (dɔ̀n dɔ̀nkiri) – dont six variétés sont présentées – à leur âge mûr. A cet échantillon s’ajoutent des chants dits par des femmes d’origine captive (appelés wóloso dɔ̀nkiri) dont la particularité est de faire des parodies grossières des autres chants en les orientant systématiquement vers des motifs de sexualité paillarde. Cette succession permet de saisir l’évolution du traitement littéraire de l’amour tout au long de la vie féminine.
Ce volume de 250 pages comprend une série de chants d’amour interprétés par des femmes et relevant d’une quinzaine de genres différents en version bilingue dioula/français. L’objectif de l’ouvrage est de mettre en exergue l’évolution du traitement thème de l’amour en fonction des différents âges et statuts de la femme. Les textes sont présentés selon une mise en page versifiée correspondant aux unités d’énonciation qui suivent le moule mélodique. Ils sont précédés d’une introduction générale de 30 pages présentant les grands traits de la culture orale des Dioula de Kong et situant les conditions de production des chants féminins au sein de ce contexte. Chaque genre représenté fait en outre l’objet d’une brève introduction particulière pour en expliquer les circonstances conventionnelles d’énonciation et la fonction culturelle.

 

Référence de l’œuvre:
DERIVE Jean (éd.), 2012, Chanter l’amour en pays dioula, Paris, Classiques africains, 251 p. [diffusé par Karthala].


Bibliographie

    • BERNUS, Edmond, 1960, Kong et sa région. Abidjan, Etudes éburnéennes, 8, pp. 239-324.
    • DERIVE, Jean, 1987, Le fonctionnement sociologique de la littérature orale. L’exemple des Dioula de Kong (Côte d’Ivoire), collection « Sciences Humaines », série « Archives et Documents », Paris, Institut d’Ethnologie, 987 + 1339 p.
    • DERIVE, Marie-José, DIABATÉ, Tiégbé Victor (dir.), 1977, Table ronde sur les origines de Kong, Annales de l’université d’Abidjan, série J, 1, Traditions orales, 504 p.
    • SANGARÉ, Aby, 1984, Dioula de Kong (Côte d’Ivoire): phonologie, grammaire, lexique et textes (3 vol.), Université de Grenoble III, 432 + 85 + 51 p.

 

 

Chanter l’amour en pays dioula (Côte d’Ivoire)
Extrait
Chant de clair de lune n°3 (p. 42-45)
L’un des chants des jeunes filles sur le mari idéal

 

 

 

Dɔ́ri yé à yé ń jàrabi yé,

Certains reconnaissent comme mon bien-aimé

kàlanbaga bɛ́ kólɛzi rá,

celui qui est élève au collège,

lɛ́irdimankalanbaga bɛ́ kólɛzi rá.

celui qui m’écrit des lettres séduisantes est au collège.

Refrain:

 

Dɔ́ri yé à yé ń jàrabi yé,

Certains se rendent compte que c’est mon bien-aimé

Ń yɛ̀rɛ yé à yé ń jàrabi yé.

Et moi-même, je le vois que c’est mon bien-aimé.

Dɔ́ri yé à yé ń jàrabi yé,

Certains reconnaissent comme mon bien-aimé

kàlanbaga bɛ́ kólɛzi rá.

celui qui est élève au collège.

Fɔ́baga bɛ́ ń jàrabi lè yé,

C’est un beau parleur qui est mon bien-aimé,

ń tá kúmadimanfɔbaga bɛ́ ń jàrabi yé.

celui qui me fait de beaux discours est mon bien-aimé.

Refrain:

 

Dɔ́ri yé à yé ń jàrabi yé,

Certains se rendent compte que c’est mon bien-aimé

Ń yɛ̀rɛ yé à yé ń jàrabi yé.

Et moi-même, je le vois que c’est mon bien-aimé.

Dɔ́ri yé à yé ń jàrabi yé,

Certains se rendent compte que c’est mon bien-aimé.

Fɔ́baga bɛ́ ń kànuncɛ yé,

C’est un beau parleur qui est mon chéri.

ń tá kúmadimanfɔbaga bɛ́ ń kànuncɛ yé.

Celui qui me fait de beaux discours est mon chéri.

Refrain:

 

Dɔ́ri yé à yé ń jàrabi yé,

Certains se rendent compte que c’est mon bien-aimé

Ń yɛ̀rɛ yé à yé ń jàrabi yé.

Et moi-même, je le vois que c’est mon bien-aimé.

Stylistique

 

 

Le substantif désigne une discipline à laquelle on a recours dans le cadre de l’approche des textes, en particulier littéraires. Elle a pour objet de caractériser le style d’un énoncé, c’est-à-dire d’étudier les procédés d’expression qui lui confèrent une originalité propre en termes d’expressivité. De ce point de vue, le concept est proche de ceux de poétique et de rhétorique avec lesquels il entretient des relations étroites. La stylistique est une science qui s’attache plutôt quant à elle à une approche microstructurale des textes.

Norme et écart

L’acception du terme a connu une importante évolution au cours de l’histoire de la critique littéraire. D’abord conçue comme l’analyse d’un écart par rapport à une norme énonciative (Charles Bally, 1951) en vue de créer un effet expressif, la stylistique est aujourd’hui devenue une science plus structurale. Considérant que la théorie de l’écart était bien artificielle dans la mesure où il n’y a jamais de degré zéro de l’expression.

Effet expressif

Les stylisticiens contemporains, depuis au moins Michaël Riffaterre, se sont attachés à étudier non pas l’effet expressif des figures stylistiques prises séparément, mais l’effet expressif de l’ensemble des figures d’un texte, envisagé comme un système dans lequel chaque procédé d’expression trouve sa légitimité par rapport aux autres. Cette position théorique fait aujourd’hui office de doxa dans la discipline.
Il convient d’adopter cette stratégie dans le cas de l’approche formelle des textes littéraires écrits en langue africaine. En effet, pour ces langues qui n’ont pas de longue tradition écrite, les notions de registres littéraires et de niveaux d’expressivité n’ont que très peu été étudiées et il n’y en a pas de nomenclature vraiment établie. C’est donc dans la cohérence de la combinaison des procédés d’expression au sein d’un même énoncé qu’il convient de faire émerger le « style » d’un texte en langue africaine.

Figures du signifié, figures du signifiant

Pour définir les pièces de ce système, il sera certes possible de se référer à la taxonomie des figures connues et recensées par la discipline stylistique, qu’on trouve dans tous les dictionnaires spécialisés : tropes ou figures du signifié (métaphores, métonymies etc.) aussi bien que figures du signifiant (jeux sonores, figures rythmiques : répétitions, parallélismes, chiasmes, anaphores, épiphores etc.). Les figures (notamment à propos du rythme et de la prosodie) ne sont pas forcément toutes transculturelles. Il en existe souvent qui sont spécifiques à la langue dans laquelle le texte est écrit. De ce fait, il conviendra, dans l’étude stylistique de ce type de texte, de ne pas se contenter de plaquer artificiellement le catalogue connu des figures recensées dans la culture occidentale. Il faudra aussi veiller à interroger la conception autochtone de l’expressivité verbale telle qu’elle est révélée par le lexique et les usages de la langue africaine concernée, pour créer des catégories propres à la culture de référence.
La science stylistique peut aussi s’appliquer à un ensemble de textes, pour mettre en évidence ce qui les rapproche d’un point de vue formel, en termes de procédés d’expression. Cela peut concerner par exemple les textes provenant d’un même auteur ou d’une même époque au sein d’une culture donnée : on parlera alors de « style d’auteur » ou de « style d’époque ».

Analyse stylistique de la littérature orale

Quant à l’analyse stylistique des textes de littérature orale, elle prend en compte la différence fondamentale de l’expressivité en contexte d‘écriture littéraire et d’oralité. En effet, dans le premier cas, elle ne concerne que le texte. En revanche en oralité, elle agit sur les deux niveaux de l’oeuvre : l’énoncé ou le texte, et tous les éléments accompagnant sa production. En effet, la présence physique ou « corporéité » de l’énonciateur (P. Zumthor 1994) offre des ressources spécifiques d’expressivité. Si la critique ne prend pas en considération cette réalité, elle peut conclure, à tort, que le texte de littérature orale serait « moins élaboré », « plus rudimentaire » qu’un texte écrit. Or, l’accoutrement et les accessoires, la voix, la mimique, la gestuelle, la posture et l’accompagnement musical ou les échanges avec le public sont des niveaux d’expressivité spécifique. Ils accompagnent, illustrent, complètent et commentent l’énoncé ou se substituent partiellement à celui-ci. Quant à l’enoncé lui-même, il présente aussi bien les figures du signifié concernant l’expression du sens, que les figures du signifiant. Outre ces figures stylistiques, selon les cas, les textes oraux enrichissent les figures du signifiant par des ressources stylistiques particulièrement efficaces en oralité, par exemple, les mots expressifs : des intensificateurs, des onomatopées et des idéophones. Ces derniers interviennent dans la définition de styles propres aux genres littéraires, mais également à des styles pouvant varier selon les énonciateurs. A ce niveau se manifeste, entre autres, leurs créativité.

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Bibliographie:

  • BALLY Charles, 1951, Traité de stylistique française I et II, Paris, Klincksieck, (rééd. de 1921).
  • CRESSOT Marcel, 1951, Le Style et ses techniques, Paris, PUF.
  • FROMILHAGUE, Catherine & Anne SANCIER-CHÂTEAU, 2005, Analyses stylistiques, formes et genres, Paris, Armand Colin.
  • GARDES-TAMINE Joëlle, 2004, La Stylistique, Paris, Armand Colin, (rééd de 2001).
  • GUIRAUD Pierre, 1985 , Essais de stylistique, Paris, Klincksieck.
  • KARABATIAN Pierre, 2000, Histoire des stylistiques, Paris, Armand Colin.
  • KOUADIO Kobenan, NGUETTIA Martin, 2009, « Essai d’analyse stylistique et poétique d’une poésie urbaine chantée de Côte d’Ivoire : texte, contexte et signification », En-quête n° 22, Abidjan, EDUCI, , pp. 41-45.
  • MOLINIÉ Georges, 1993, La Stylistique, Paris, PUF.
  • RIFFATERRE Michaël, 1971, Essais de stylistique structurale, Paris Flammarion.
  • ZUMTHOR Paul, 1994, « Poésie et vocalité au Moyen Âge », Cahiers de Littérature orale, 36 – Oralité médiévale, Paris, p. 10-34.

Jean Derive

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